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une nation à empêcher l’ensemble de l’humanité d’accéder à un grand avantage, parce que son obtention par eux constituerait, par voie de conséquence, dans quelque éventualité envisageable, la cause d’inconvénients ? Une nation a-t-elle la liberté d’adopter comme maxime pratique, que ce qui est bon pour la race humaine est mauvais pour elle-même et, en vertu de ce principe, de s’y opposer ? Qu’est-ce sinon déclarer que ses intérêts et ceux de l’humanité sont incompatibles — et que jusque là au moins, elle est l’ennemie de la race humaine ? Et sur quelle base peut-elle porter plainte si en réaction la race humaine décide de devenir son ennemie ? Un principe aussi abominable, affirmé et mis en pratique par une nation, autoriserait le reste du monde à se liguer contre elle, et à ne pas faire la paix tant qu’ils n’auraient, sinon réussi à la réduire à l’insignifiance, au moins détruit suffisamment sa puissance pour l’empêcher de placer son propre intérêt égoïste avant celui de la prospérité générale de l’humanité.

De tels sentiments abjects n’existent pas chez les Britanniques. Ils ont coutume de voir leur avantage en poussant vers l’avant la croissance du monde en richesse et en civilisation et non en la maintenant en arrière. L’opposition au canal de Suez n’a jamais été une opposition de la nation. Avec son indifférence habituelle aux affaires étrangères, le public en général n’y a pas réfléchi, mais l’a laissée de la même façon qu’il laisse (à moins d’y être particulièrement incité) la gestion de ses affaires étrangères à ceux qui, pour des raisons et des causalités liées uniquement à la politique interne, se trouvent être au pouvoir au moment présent. Quoi qu’ait pu être fait au nom de l’Angleterre dans l’affaire de Suez a été l’acte d’individus, principalement, c’est probable, d’un seul individu, dont pratiquement aucun de ses compatriotes n’encourage ou ne partage les buts, la plupart de ceux qui se sont intéressés au sujet (malheureusement un fort petit nombre) s’étant, selon toutes apparences, opposés à lui.

Mais (dit-on) le projet ne peut être réalisé. Si tel est le cas, pourquoi nous en préoccuper ? Si le projet ne peut aboutir à rien, pourquoi proférer gratuitement des propos immoraux et subir une haine gratuite qui cherche à prévenir leur mise en pratique ? Que le projet réussisse ou échoue est une considération totalement hors de propos ; sauf au moins ceci : que s’il est certain qu’il échoue, il y a dans notre opposition à son encontre la même immoralité, avec une dose supplémentaire de folie ; puisque, sur cette supposition nous affichons face au monde la croyance que notre intérêt est incompatible avec son bien, alors que si l’échec du projet était réellement à notre avantage, nous sommes certains d’obtenir cette avantage en conservant simplement notre attitude pacifique.

En tant qu’opinion privée, l’auteur de ces lignes, pour autant qu’il a pris connaissance des éléments du dossier, tend à être d’accord avec ceux qui pensent que le projet n’est pas réalisable, du moins avec les moyens et les financement proposés. Mais c’est aux actionnaires d’y réfléchir. Le gouvernement britannique ne considère pas que c’est son rôle d’empêcher des individus, fussent-ils citoyens britanniques, de dépenser en vain leur propre argent dans des spéculations non couronnées de succès, tout en n’excluant pas la possibilité d’une grande utilité publique en cas de succès. Et si, au prix de leur propre propriété, ils agissaient en tant que pionniers ouvrant la voie à d’autres, et si le projet, tout en étant un échec pour les premiers qui l’ont entrepris, devait entre les mêmes mains ou entre d’autres mains procurer au monde en général la totalité des avantages escomptés, ce ne serait pas la première ou la centième fois qu’un investissement non rentable ait un tel résultat final.

Il semble qu’il ne soit pas peu nécessaire de réexaminer l’ensemble de la doctrine de non-ingérence dans les affaires des nations étrangères, pour autant que l’on puisse dire qu’elle ait jamais été examinée en tant que véritable question morale. Nous avons entendu dernièrement quelque chose sur la volonté d’entrer en guerre pour une idée. Entrer en guerre pour une idée, si la guerre est une guerre d’agression et non une guerre défensive, est tout aussi criminel qu’entrer en guerre pour un territoire ou des revenus ; car il est aussi peu justifiable d’imposer nos idées à d’autres que de les contraindre à se soumettre à notre volonté dans tout autre domaine. Mais il y a assurément des cas où il est permis d’entrer en guerre, sans avoir nous-mêmes été attaqués, ou menacés d’une attaque ; et il est très important que les nations se décident à l’avance quant à savoir quels sont ces cas.