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pouvons rien dire qui soit digne de lui, que nous ne pouvons ni le connaître, ni le concevoir, ni même le nommer. »

Il est impossible de nier que ce ne soit au nom d’une noble pensée que l’on défende ainsi à l’homme de parler de Dieu pour ne pas s’en faire une idée indigne de sa grandeur et par consé­quent erronée.

Il est encore impossible de ne pas reconnaître combien certains esprits abusent de ce procédé commode pour déterminer la nature de Dieu qui consiste à lui attribuer presque pêle-mêle tout ce qu’ils trouvent dans l’homme ou même dans la nature, avec l’addition le plus souvent contra­dictoire de l’infinité. Mais s’ensuit-il que la rai­son humaine soit condamnée à l’admiration muette •et stérile d’un Dieu dont elle ne pourrait rien connaître, sous peine, dès qu’elle ouvrirait la bouche, ae le représenter grossièrement à notre image et de diviniser l’homme ou d’humaniser Dieu ? La philosophie spiritualiste ne le pense pas. Elle croit que si nous ne pouvons prétendre à comprendre la nature de Dieu, la connaissance <le notre propre nature peut nous aider à conce­voir dignement, quoique imparfaitement, celle de Dieu. Elle croit que Dieu n’est pas l’être indéter­miné, égal au néant, qu’il a des attributs ou des perfections, qu’il nous est possible de soupçonner el même de connaître dans une certaine mesure. On doit passer condamnation sur toute idée de Dieu qui transporte sans plus de façons dans la nature divine les qualités ou les facultés de l’homme, telles quelles, fût-ce les moins impar­faites, et se contente de les agrandir pour qu’elles atteignent l’infinité de Dieu. Mais il y a en notre âme quelques attributs de notre essence, quel­ques nobles facultés, qui, en elles-mêmes, débarrassées de toutes les conditions particulières, humaines, contingentes qui les limitent et les déparent, sont bonnes, belles, absolument excel­lentes. Celles-là, il est certainement légitime de concevoir qu’elles ont dans la nature divine et leur type et leur cause, qu’elles représentent en nous, avec toute la disproportion qui sépare la créature du créateur, des attributs vraiment divins. Quoi de meilleur, par exemple, que de connaître le vrai, quoi de plus beau que la scien­ce, quoi de plus excellent que la bonté, quoi de plus grand que la puissance et la liberté ? Ce n’est pas à dire qu’il faille attribuer à Dieu l’intelli­gence humaine, acquérant péniblement par les lents procédés que nous savons une connaissance successive et partielle des choses ; mais nous pouvons et nous devons lui attribuer une science pleine, entière, absolue du vrai, sans nos défauts, nos lacunes, nos détours et nos lenteurs, aussi supérieure à notre ignorance que son infinité l’est à notre petitesse. Est-ce donc une erreur mon­strueuse, un grossier anthropomorphisme que de concevoir de Dieu de telles idées ? Est-ce un ido­lâtre s’adorant lui-même dans son idole que le philosophe qui croit à l’existence d’un Dieu uni­que, éternel, souverainement puissant, sage, bon et libre ? Voy. Dieu. A. L.

ANTICIPATION est la traduction littérale du mot πρόληψις (de προλαμβάνειν, antecapere), d’a­bord mis en usage par Épicure, pour désigner une connaissance ou une notion générale, servant à nous faire concevoir à l’avance un objet qui n’est pas encore tombé sous nos sens. Mais, for­mées par abstraction d’une foule de notions parti­culières, antérieurement acquises, ces idées gé­nérales devaient, selon Épicure, dériver, comme toutes les autres, de la sensation. Le même terme, adopté par l’école stoïcienne, s’appliqua plus tard à la connaissance naturelle de l’absolu, c’est-à-dire à ce qu’on appelle aujourd’hui les principes a priori. Enfin Kant, dans la Critique de la rai­son pure, lui donne un sens encore plus restreint ; car il entend par Anticipation de la perception (.Anticipation der Wahrnehmung) un jugement a priori que nous portons, en général, sur les objets de l’expérience, avant de les avoir perçus ; par exemple, celui-ci : tous les phénomènes sus­ceptibles d’affecter nos sens ont un certain degré d’intensité. Aujourd’hui, dans quelque sens qu’on le prenne, le mot que nous venons d’expliquer a à peu près disparu de la langue philosophique. Voy. Cic., de Nat. Deor., lib. I, c. xvi. — Kernii, Dissert, in Epicuri προλήψεις, etc., Goëtt., 1756. — Kant, ouvr. cit., 7e édit., p. 151.

ANTINOMIE. Kant appelle ainsi une contra­diction naturelle, par conséquent inévitable, qui résulte, non d’un raisonnement vicieux, mais des lois mêmes de la raison, toutes les fois que, franchissant les limites de l’expérience, nous vou­lons savoir de l’univers quelque chose d’absolu : car, selon lephilosophe allemand, nous nous trou­vons alors dans l’alternative, ou de ne pas répondre par nos résultats à l’idée de l’absolu, ou de dépas­ser les limites naturelles de notre intelligence, qui n’atteint que les phénomènes. C’est ainsi que l’on peut soutenir à la fois, par des arguments d’égale valeur, que le monde est éternel et infi­ni, ou qu’il a un commencement dans le temps et des limites dans l’espace ; qu’il est composé de substances simples, ou que de pareilles sub­stances n’existent nulle part ; qu’au-dessus de tous les phénomènes, il y a une cause absolument li­bre, ou que tout est soumis aux lois aveugles de la nature ; enfin, qu’il existe quelque part, soit dans le monde, soit hors du monde, un être né­cessaire, ou qu’il n’y a partout que des existences phénoménales et contingentes. Ces quatre sortes de résultats contradictoires sont appelées les an­tinomies de la raison pure. Chacune d’elles se compose d’une thèse et d’une antithèse : la thèse défend les droits du monde intelligible ; l’anti­thèse nous retient dans les chaînes du monde sensible. Kant reconnaît aussi une antinomie de la raison pratique, qui a sa place dans nos re­cherches sur la morale et sur le souverain bien : d’une part, nous’regardons comme nécessaire l’harmonie de la vertu et du bonheur ; de l’autre, cette harmonie est reconnue impossible ici-bas. Mais cette dernière contradiction n’est pas, comme les premières, absolument sans remède ; elle trouve, au contraire, une solution satisfaisante, quoique dépouillée de la rigueur scientifique, dans la foi d’une autre vie. Pour répondre à cette partie de la Critique de la raison pure où la mé­taphysique est entièrement sacrifiée au scepti­cisme, il faut s’attaquer au principe même de la philosophie de Kant et démontrer que la raison n’est pas, comme il le prétend, une faculté per­sonnelle et subjective. Voy. Raison et Kant.

ANTIOCHUS d’Ascalon, philosophe académi­cien, qui florissait environ un siècle avant l’ère chrétienne. Il enseigna la philosophie avec beaucoup de succès à Athènes, Alexandrie et Rome, où Cicéron fut au nombre de ses audi­teurs, et il eut même la gloire d’être regardé comme le fondateur d’une cinquième Académie Après avoir succédé à Philon à la tête de l’Académie, il devint, dans son enseignement oral aussi bien que dans ses écrits, l’adversaire de son ancien maître, et l’attaqua surtout dans un livre intitulé Sosus, qui ne s’est pas plus con­servé que le reste de ses œuvres. Antiochus ayant aussi écouté les leçons de Mnésarque, c’est peut-être à ce dernier qu’il faut attribuer la direction nouvelle de ses opinions. Il comprit que les intérêts moraux de l homme ne s’accor­dent ni avec le scepticisme, ni avec le probabi-