les régions les plus pures de l’espace, est l’é— ther, lequel, si nous en croyons Aristote [de Cœlo, lib. I, c. m ; Meteor., lit. II, c. vu), n’est pas autre chose que le feu. C’est l’éther qui, en pénétrant dans les cavités ou les pores de la terre, devient la cause des commotions qui l’ébran— lent/lorsque, se dirigeant par sa tendance naturelle vers les régions supérieures, il trouve toutes les issues fermées. A la formation des éléments, nous voyons succéder celle des corps célestes, du soleil, de la lune et des étoiles. L’éther, par la force du mouvement circulaire qui lui est propre, enlève de la terre des masses pierreuses qui s’enflamment dans son sein et deviennent des astres. Cette hypothèse, conservée dans le recueil du faux Plutarque et littéralement reproduite par Stobée, s’accorde à merveille avec l’opinion attribuée à Anaxagore, que le soleil est une pierre enflammée plus grande que le Péloponèse, et que le ciel tout entier, c’est-à-dire les corps célestes, sont composés de pierres (Diogène Laërce, liv. II, ch. vin etix). D’après un bruit populaire, il aurait prédit la chute d’une pierre que l’on montrait sur les bords de l’Égée, et que l’on disait détachée du soleil. Ne pourrait-on pas, sur cette tradition que Pline (liv. II, ch. lxviii) nous a conservée, fonder la conjecture très-probable qu’Anaxagore s’est occupé des aérolithes, et que ces corps étranges lui ont suggéré sa théorie sur la nature du soleil et des autres corps célestes ? Les paroles suivantes de Diogène Laërce (liv. II, ch. xii et xiii ) sembleraient confirmer cette supposition : « Silène rapporte, dans la première partie de son Histoire, que, sous le gouvernement de Di— myle, une pierre lomba du ciel, et à cette occasion, ajoute le même auteur, Anaxagore enseigna que tout le ciel est composé de pierres qui, maintenues ensemble par la rapidité du mouvement circulaire, se détachent aussitôt que ce mouvement se ralentit. » Ayant découvert que la lune est éclairée par le soleil, Anaxagore ne devait pas croire qu’elle fût embrasée comme les autres étoiles ; mais elle lui parut être une masse de terre, entièrement semblable à celle que nous occupons. Aussi disait-il qu’il y a dans la lune, comme ici-bas, des collines, des vallées et des habitants (Diogène Laërce, ubi supra). Il a été le premier, si nous en croyons Platon, qui ait trouvé la véritable cause des éclipses, et, substituant partout les phénomènes naturels aux fables mythologiques, il enseignait que la voie lactée est la lumière de certaines étoiles, devenue sensible pour nous quand la terre intercepte la lumière du soleil (Arist., Meteor., lib. I, c. viii). Toute cette partie de la doctrine d’Anaxagore, concernant les rapports qui existent entre le soleil et les autres corps célestes, a quelques droits à notre admiration ; mais il était loin de comprendre encore la rotation de la terre, qu’il se représentait comme immobile au centre du monde [de Cœlo, lib. I, c. xxxv). Les comètes lui semblaient une apparition simultanée de plusieurs planètes qui, dans leur marche, se sont tellement rapprochées, qu’elles paraissent se toucher [Meteor., lib. I, c. vi). Les corps célestes une fois formés, nous voyons naître les plantes qui ne pouvaient exister auparavant, puisque le soleil en est appelé le père, comme la terre en est la mère et la nourrice (Arist., de Plant., lib. I, c. 11). Enfin, après les plantes, ou en même temps qu’elles, viennent les animaux, engendrés pour la première fois du limon de la terre échauffée par le soleil, et doués dans la suite de la faculté de se reproduire (Diogène Laërce, liv. II, ch. îx etx). Les animaux €tant venus les derniers, les éléments dont ils se composent sont aussi les plus simples ; car c’est en eux que la séparation des éléments physiques ou des homéoméries se trouve la plua avancée. Anaxagore, voulant démontrer cette théorie par l’expérience, invoquait en sa faveur le fait de la nutrition : quand nous considérons, disait-il^ les aliments qui servent à notre nourriture, ils nous font l’effet d’être des substances simples, et cependant c’est d’eux que nous tirons notre sang, notre chair, nos os et les autres parties de notre corps (Plut., de Placit. philos., lib. I, c. ni).
Quand les animaux et les plantes sont sortis de l’épuration de tous les éléments, le principe intelligent vint, pour ainsi dire, mettre la dernière main àson œuvre. Jusqu’alors l’axe du ciel passait par le milieu de la terre ; maintenant la terre est inclinée vers le sud, et les étoiles prenant. par rapport à nous, une autre place, il en résulta cette variété de température et de climats sans laquelle plusieurs espe-.es de plantes et d’animaux étaient vouées à une destruction inévitable. Un tel changement, ajoutait notre philosophe, est au-dessus de toutes les forces physiques et ne peut s’expliquer que par une sage intervention de la cause intelligente. Mais, arrivé ainsi à son dernier période, ce monde, dans la génération duquel l’éther ou le feu joue le principal rôle, doit aussi périr par le feu. Cependant il n’est pas certain qu’Anaxagore ait adopte cette opinion. Aristote [Phys., lib. I, c. v) lui attribue positivement l’opinion contraire : le monde une fois formé, ses éléments ne doivent plus rentrer dans le chaos ; car la cause intelligente ne peut pas permettre le désordre, et une fois l’impulsion donnée à la matière, les principes confondus dans son sein doivent de plus en plus se dégager les uns des autres.
Il nous reste, pour avoir achevé l’exposition de la doctrine a’Anaxagore, à déterminer le principe logique sur lequel elle s’appuie. Quoi que l’on fasse, on est obligé ; sitôt qu’on émet un système, a’avoir une opinion arrêtée sur les sources de la vérité et la légitimité de nos facultés. Anaxagore n’a probablement rien écrit sur ce sujet ; mais il nous est impossible de douter qu’il ait reconnu la raison comme moyen d’arriver aux principes des choses ou à la vérité suprême. C’est uniquement sur la foi de la raison qu’il a pu admettre, à côté des éléments physiques, un principe immatériel et intelligent. Mais ce qui est plus remarquable encore, c’est que même les éléments matériels, dans leur purete et leur simplicité, sont insaisissables pour nos sens ; notre raison seule peut les concevoir. Il ne pouvait donc pas admettre, avec Démocrite ; que la vérité est seulement dans l’apparence ; il disait, au contraire, que nos sens nous trompent et qu’il ne faut pas les consulter toujours. Là est le véritable, le plus grand progrès dont on puisse lui faire nonneur. Quant à cette maxime que les choses sont pour nous ce que nous les croyons, il faut remarquer d’abord que la tradition seule l’a mise dans la bouche d’Anaxagore ; ensuite ne pourrait-elle pas s’appliquer au sentiment, et ne voudrait-elle pas dire que le bonheur des hommes et une grande partie de leurs misères dépendent beaucoup de leurs opinions ? Comprises dans un autre sens, ces paroles sont en contradiction manifeste avec toutes les opinions que nous venons d’exposer.
Pour trouver l’origine du système d’Anaxagore, nous ne remonterons pas, comme l’abbé Le Bat— teux [Mém. de l’Acaa. des inscript.), jusqu’à la cosmogonie de Moïse ; nous ne la chercherons pas non plus, avec un savant de l’Allemagne, dans
- antique civilisation des mages. Nous ne croyons