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d’Ampère, ravivées par une corres­pondance suivie avec le P. Barret, l’un de ses anciens amis lyonnais, devenu prêtre et jésuite, avaient ramené le calme dans son âme. De 1819 à 1820, il faisait à la Sorbonne un cours de phi­losophie sur la classification des faits intellectuels, et il songeait à publier une exposition complète de son système psychologique. Mais l’électro-ma— gnétisme et l’électro-dynamisme lui firent oublier pour un temps la philosophie ; et quand il y revint, ce fut pour l’appliquer à l’ensemble des sciences. Voyons ce qu’était cette philosophie qu’Ampère n’a pas trouvé le temps d’exposer d’une manière suivie et complète.

Le système psychologique d’Ampère, formé peu à peu et bien des fois modifié, appartient à une philosophie de transition, dans laquelle Am­père n’a paru jouer qu’un rôle secondaire à côté de son ami Maine de Biran. Dans ce passage lent du sensualisme au spiritualisme, la part de Maine de Biran paraît plus prédominante qu’elle ne l’a été en réalité, parce qu’il a laissé des œuvres plus étendues, plus suivies et rédigées en un style moins obscur. La part d’Ampère a été plus grande qu’elle ne parait, parce qu’il n’a laissé, en philosophie pure, que des lambeaux d’écrits très-décousus et dont le langage est dif­ficile à comprendre. Les œuvres purement philo­sophiques d’André-Marie Ampère forment la seconde moitié d’un volume publié en 1866, par M. Barthélémy Saint-Hilaire, sous le titre : Phi­losophie des deux Ampère ; elles se composent des Fragments du Mémoire de l’an XII (1803 à 1804), des lettres à Maine de Biran, et de quel­ques fragments réunis par M. Jean-Jacques Am­père et insérés soit dans son Introduction à la philosophie de mon père, soit surtout dans un Appendice à cette introduction qui forme la pre­mière moitié du volume cité.

Quand Ampère écrivait les fragments du Mé­moire psychologique de l’an XII, il ne con­naissait encore Maine de Biran que par la lecture de son Mémoire, purement sensualiste, sur l’ha­bitude. Il empruntait à ce Mémoire la distinction de Vidée et du sentiment, mais il distinguait plus nettement que l’auteur les sentiments et les sen­sations, phénomènes réunis sous un même nom dans le Mémoire sur l’habitude, et il devançait Maine de Biran en constatant l’activité volon­taire comme parfaitement distincte de la sen­sation, du sentiment et de l’idée. Du reste, sur l’analyse des phénomènes intellectuels, il se con­tentait encore des amendements apportés par M. de Gérando au système de Condillac. Mais il hasardait quelques vues métaphysiques hardies jusqu’à la témérité. Par exemple, il posait en principe que tout être fini occupe nécessairement une place da » s un être infini de même nature. Il admettait, avec Newton, que le temps infini et l’espace infini sont des êtres réels ; mais de plus, il voulait que l’étendue de chaque corps fît partie de l’espace infini, et que la durée de chaque être fît partie du temps infini. Ce n’est pas tout : con­séquent jusqu’au bout avec son faux principe, il voulait que chaque être pensant occupât une place dans une pensée infinie, et que chaque changement dans les pensées de cet être fini fût un changement dans la pensée infinie qui em­brasse toutes les pensées, comme chaque mou­vement d’un corps est un changement de lieu dans l’espace infini qui embrasse tous les corps. En un mot, en 1804, pour être panthéiste, il ne manquait à Ampère que de s’apercevoir qu’il l’était. Heureusement cette conception fausse ne se retrouve pas dans ses écrits les plus récents.

Sa rupture de plus en plus complète avec le sensualisme s’est faite de 1805 à 1812, en com­mun avec Maine de Biran. Ampère avait porté le premier son attention sur l’activité volontaire. Maine de Biran en a approfondi la notion sur un point, en concentrant ses études sur l’analyse de la conscience que nous avons de l’effort mus­culaire. Mais, tandis que, pour s’élever au-dessus du sensualisme, Maine de Biran prenait pour point d’appui Reid, Ampère opposait avec succès à Reid Kant mieux compris qu’il ne l’était alors par les autres philosophes français. Ampère avait d’abord été tenté d’admettre le scepticisme sub­jectif de Kant ; mais ensuite il l’avait rejeté, après mûr examen, en attribuant une valeur absolue et objective aux jugements synthétiques à prior i de Kant et à ce que lui-même appela plus tard les conceptions objectives. Il faisait ainsi à la raison une part que Maine de Biran n’a jamais su lui faire. En même temps, il conservait à la perception externe toute sa valeur, sans laquelle les sciences cosmologiques ne seraient qu’un vain jeu de notre esprit avec des fantômes. Pour rendre justice à cette philosophie d’Ampère an­térieure à 1815. il faut constater encore les points suivants : 1° Ampère a aidé Maine de Biran a établir une distinction entre deux choses que ce dernier avait d’abord confondues, savoir : la conscience de l’effort et la sensation du mou­vement musculaire. Ampère a bien vu que cette sensation est rapportée au muscle mis en jeu, et qu’il n’en est pas de même de l’effort volon­taire ; mais il a eu tort de croire que tout homme a naturellement et primitivement conscience de la localisation de l’effort dans le cerveau, tandis que c’est là une notion acquise, notion qui, jus­tifiée par l’observation et l’induction, et vul­garisée aujourd’hui par l’éducation et par les habitudes du langage, était restée étrangère aux croyances populaires* des anciens Grecs et Ro­mains, comme leur langage l’atteste, et qui a été rejetée par la plupart de leurs philosophes.— 2U En restreignant la part trop large que Reid avait faite et que Maine de Biran conservait à la perception immédiate dans l’acquisition de nos connaissances sur les objets extérieurs, Ampère a fait une part légitime à l’induction spontanée et à la raison dans l’acquisition de ces connais­sances. — 3° Maine de Biran avait bien distingué la perception des phénomènes sensibles, la per­ception des rapports entre ces phénomènes, la conception des causes extérieures et de leur re­lation avec les phénomènes sensibles. Mais c’est Ampère qui a appelé l’attention de son ami sur la conception des relations mutuelles qui existent entre les causes extérieures, indépendamment de nous et de nos sensations, conception ration­nelle, sans laquelle les sciences mathématiques et physiques ne pourraient pas exister. — 4° Il a réagi contre l’abus de l’analyse psychologique par ses remarques sur le rôle simultané de la sensibilité, de l’intelligence et de l’activité vo­lontaire aans les phénomènes psychologiques. Mais ces mérites sont difficiles à découvrir dans la correspondance d’Ampère, à cause des tâton­nements de la pensée et du néologisme étrange du langage. Par exemple, il faut savoir que la conscience psychologique se nomme tour à tour émésthèse ou autopsie (pour héautopsie) ; que la nouménalité est le caractère objectif des no­tions, et que \a.phénoménalité est le caractère sub­jectif des perceptions sensibles. Mais, de plus, il faut se familiariser avec la synthétopsie, la con— tuition, le jugement docimastique, le jugement étéodictique, etc. Quant aux mots connus, il faut s’habituer à leur laisser prendre les sens les plus inattendus. Par exemple, que signifient ces mots : « Mouvoir à volonté une intuition dans un ensemble d'intuitions fixes ?  » Ils signifient « mouvoir