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l’acte, il ne fait guère que dire très-brièvement ce qui se dit d’ordinaire dans les traités de métaphysique ; seulement il faut remarquer qu’il matérialise la cause ; qu’il en fait, au lieu d’une force substantielle et une, et par là même spirituelle, une collection d’accidents ou de propriétés appartenant au corps.

Nous arrivons à ce qu’il appelle la philosophie civile, ou de l’homme, et nous allons exposer ce qu’il enseigne principalement dans le de Homine, le Leviathan, le de Cive, et le Traité de la nature humaine.

La philosophie civile a pour objet l’homme considéré premièrement en lui-même et dans sa nature ; secondement dans sa destination. Nous insisterons presque exclusivement sur l’un de ces points de vue, nous bornant, quant à l’autre, à quelques sommaires indications.

« La nature de l’homme est, dit Hobbes (de Nat. hum., p. 196), la somme de ses facultés naturelles, telles que la nutrition, le mouvement, la génération, la sensibilité, la raison, etc. »

Or, de ces facultés, les unes appartiennent au corps ; Hobbes en dit peu de chose, parce que son but n’exige pas qu’il en parle plus au long ; il se borne sur ce sujet à quelques courtes explications anatomiques et physiologiques.

Les autres sont celles de l’esprit, et ce sont celles-là dont il s’occupe spécialement.

Il n’est pas besoin de faire remarquer que cette distinction ne porte pas sur la substance même et la source de nos facultés, mais simplement sur les caractères qui les nuancent à la surface. On a vu, en effet, plus haut, comment, dans son sentiment, l’objet de la philosophie se réduit au corps et à ses propriétés ; quand donc il divise les facultés qui ne sont que des propriétés, en physiques et morales, il fait une division de manières d’être et non d’êtres, et il ne met sous ces deux noms que deux ordres d’attributs d’une seule et même substance, laquelle est corporelle.

En étudiant surtout les facultés dites de l’esprit, Hobbes les partage en deux espèces distinctes : celles qui sont des principes de conception, et celles qui sont des principes d’affection (de Nat. hum., p. 218). Les premières, qui ont pour cause l’action des objets sur les organes, et par les organes sur le cerveau, avec réaction du cerveau, vers ces mêmes objets ; les secondes, cette même action, mais avec cette différence, qu’au lieu de se développer vers le dehors, elles se déploient par une action continuée et suivie de la tête jusqu’au cœur : celles-ci, qui ont pour effet une certaine impulsion imprimée au corps dans le sens et à la suite du plaisir ou de la douleur ; celles-là, une simple perception, une notion ou une idée (de Nat. hum., p. 218 et 197).

Dans cette division nous ne voyons point de place pour la volonté ; mais ce n’est pas de la part d’Hobbes oubli et omission : c’est plutôt négation, ou, si l’on veut, explication de cette faculté par les affections, considérées comme les principes internes du mouvement volontaire.

Au fond, tout se réduit pour lui à l’intelligence et à la sensibilité, et deux théories composent toute sa philosophie de l’homme, les théories de l’une et l’autre faculté.

Sa théorie de l’intelligence, ramenée à ce qu’elle a de capital, peut se résumer en ces principaux points.

Le fait le plus général de l’intelligence est la conception ou la notion d’un objet extérieur, qualité ou accident d’un corps. Toute conception, à son origine, est sensation, ou impression sensible. Toute sensation vient d’un mouvement, et reste sensation tant que le mouvement est présent ; mais, dès qu’il a cessé, elle devient l’imagination, laquelle n’est ainsi que la sensation affaiblie et comme effacée (de Homine, p. 5, et Phys., p. 196). La mémoire, à son tour, n’est qu’une espèce d’imagination ; toutefois, avec cette différence, que, dans celle-ci, il n’entre pas la considération du passé, qui est, au contraire, essentielle et inhérente à celle-là. Dans l’imagination, en effet, il n’y a que sensation affaiblie ; dans la mémoire, il y a de plus conscience de l’affaiblissement : ce qui fait dire à Hobbes qu’elle peut être regardée comme un sixième sens. La mémoire développée devient l’expérience, et l’expérience, à son tour, quand elle est éclairée, un commencement de science, ou de la prudence, laquelle, élevée elle-même au caractère de philosophie, est la science ou la sagesse.

La conséquence immédiate de cette doctrine, c’est le scepticisme par rapport à l’existence des objets extérieurs, ou l’égoïsme métaphysique : car rien ne nous autorise à affirmer que les sensations que nous éprouvons et les notions qui en dérivent correspondent à des objets réels. Cette conséquence, Hobbes la reconnaît explicitement en plus d’un endroit de ses ouvrages. Ainsi d’abord, dans ses objections aux méditations de Descartes (t. I, p. 460 des Œuvres complètes de Descartes), il dit « que les images ou fantômes que nous avons, étant éveillés, ne sont pas des preuves suffisantes que ces objets (les objets extérieurs) existent. C’est pourquoi si, ne nous aidant d’aucun autre raisonnement, nous suivons seulement le témoignage de nos sens, nous aurions juste sujet de douter si quelque chose existe ou non. » Dans le Traité de la nature humaine, p. 198, il s’exprime à ce sujet d’une manière encore plus claire. Après plusieurs propositions équivalentes à celles que nous venons de citer, il arrive à cette conclusion : « Tous les accidents ou qualités que nos sens nous montrent comme existant dans le monde n’y sont point réellement, mais ne doivent être regardés que comme des apparences ; il n’y a réellement dans le monde que les mouvements par lesquels ces apparences sont produites. » Ainsi, sur la foi de la sensation, seul principe de science dans son système, Hobbes n’admet du monde extérieur que le mouvement par lequel il agit sur nous. Et le mouvement lui-même, pourquoi l’admet-il ? pourquoi ne serait-il pas aussi une simple circonstance, une simple modification de l’image sensible ? C’est en effet là logiquement où aboutit cette théorie, et, à ce terme, elle est jugée et appréciée.

Telle est en somme la théorie de l’intelligence d’après Hobbes. Voyons quelle est celle de la sensibilité ou des affections.

Dans cette théorie, il commence par s’occuper du principe même des affections. A quelques nuances ou développements près, l’explication qu’il en donne est la même dans ses différents ouvrages.

Dans le Traité de la nature humaine, l’idée n’en est présentée que d’une manière assez vague ; mais il est exposé avec plus de précision dans le traité de Homine et la Physique. En effet, dans la Physique (p. 201), il est considèré comme une espèce de sensation, qui, à la différence de la sensation purement perceptive, ne va pas par réaction du dedans au dehors, du cerveau aux divers sens ; mais, par une action continue, va du cerveau au cœur, siége du mouvement vital ; et là, modifiant ce mouvement, le favorisant ou le contrariant, produit, en con-