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HOBB
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Cambridge, entreprit de soutenir publiquement ces thèses : Que le droit est fondé sur la force ; — Que la justice dépend de la loi positive ; — Que l’écriture ne fait loi que par la volonté du magistrat ; — Qu’il faut obéir à la loi de l’État, même quand elle est opposée à la loi divine : toutes propositions, en effet, conséquentes aux principes de Hobbes, mais qu’il n’aimait pas se voir attribuer de cette façon, parce qu’elles ne pouvaient que lui attirer de nouvelles inimitiés.

Déjà, dans une circonstance antérieure, dans son débat avec l’évêque Bramhall sur la liberté, la nécessité et le hasard, il avait vu avec déplaisir son adversaire donner de la publicité au sujet de leur dispute et aux opinions qu’il avait été amené à émettre.

Ce nouvel incident accrut son dégoût pour l’éclat de la ville, et il résolut (1674) de vivre désormais aux champs et de ne plus revenir à Londres.

Il passa dans cette solitude les cinq dernières années de sa vie, occupé d’études littéraires, physiques et historiques, et y composa aussi sa Biographie en vers latins. Il mourut en 1679.

Ce qu’on voit, en général, dans Hobbes, c’est le moraliste et le publiciste ; ce sera le métaphysicien que nous considérerons principalement.

Il commence par parler de la philosophie en général, et, pour la définir, il s’applique à en déterminer le caractère et l’objet, ou, ce qui est la même chose, à dire ce qu’elle est en elle-même, et quant aux choses dont elle traite.

Or, en elle-même, elle est une connaissance acquise, à l’aide du droit raisonnement, des effets par les causes et des causes par les effets, et se distingue à ce titre, non-seulement de la sensation, qui n’est que la notion des faits, non-seulement de la mémoire, qui n’est que la sensation rappelée, mais aussi de l’expérience, qui n’est que la mémoire étendue, multarum rerum memoria, et même de la prudence, qui est plus que l’expérience, mais n’est pas encore la science. La philosophie est la science elle-même ou, mieux encore, la sagesse, qui est à la science ce que la prudence est à l’expérience : car, si beaucoup d’expérience fait la prudence, beaucoup de science fait la sagesse. Du reste, la philosophie est en nous comme le vin et le blé dans la nature ; elle nous est en quelque sorte innée, comme aux vignes et aux épis les fruits qu’ils doivent porter (Log., p. 1, et préface de la Log.).

La philosophie est dans chacun de nous, mais informe et confuse, tant qu’elle n’y a pas été développée et dégagée par la réflexion, comme le monde, dont au reste elle est l’image, est lui-même en pareil état avant d’être tiré du chaos. Pour la constituer, nous devons donc imiter le statuaire, ou plutôt le Créateur, donner une forme à nos pensées, et répandre notre raison sur cet abîme obscur d’idées vagues que nous avons en nous. Alors naîtra l’ordre, et avec l’ordre la science qui en est l’expression ; et comme l’ordre a été dans la création, la lumière, la distinction du jour et de la nuit, l’espace, les astres, les choses sensibles, et l’homme, et après l’homme la loi qui doit le gouverner, l’ordre de contemplation devra être la raison, la définition, l’espace, les corps célestes, les propriétés sensibles, la nature humaine, et enfin la cité. D’où la division de la philosophie, premièrement en logique : c’est là, selon l’expression de Hobbes, qu’il allume le flambeau de la raison : Accendo lucem rationis ; secondement en philosophie première : il y définit, il y distingue, ainsi qu’il le dit lui-même, les idées des choses les plus communes, comme le temps, l’espace, la cause, etc. ; troisièmement en géométrie, astronomie et physique proprement dite ; quatrièmement, enfin, en philosophie civile, en laquelle partie il traite de la nature humaine et de la cité.

Quant à l’objet de la philosophie, c’est le corps, et ce n’est que le corps, soit naturel, soit artificiel : Subjectum philosophiæ, sive maleria circa quam versatur, est corpus omne cujus generatio aligna concipi potest, etc. (Log., p. 5). Ce sont les termes mêmes de Hobbes, c’est son opinion ferme et nette ; et les assertions en ce sens abondent dans ses ouvrages.

Sont expressément exclus du champ de la philosophie, Dieu, sa nature et ses attributs, parce qu’il n’y a rien en Dieu qui se prête à la science, parce qu’il n’est pas, comme le corps, susceptible de composition, de décomposition et de génération (Log., p. 5). En effet, si Dieu était admis dans la philosophie, ce ne serait qu’à titre d’infini ; or, l’infini, dans le système de Hobbes, n’est que le fini indéterminé, n’est réellement que le fini ; et le fini, le seul du moins dont il nous accorde la notion, c’est le corps ou l’étendue : Dieu ne serait ainsi que l’étendue non mesurée, non définie ; il ne serait que la matière à l’état vague.

Mais cette hypothèse Hobbes ne la fait pas ; cette conséquence il ne la tire pas ; il se contente d’affirmer que Dieu ne relève pas de la philosophie, parce qu’il est incompréhensible, et de laisser à la théologie le soin d’en disserter. Des esprits et des âmes il en affirme tout autant : car ce sont de vaines images, comme celles que nous voyons en songe, des apparences sans consistance et qui n’ont rien de réel, ou ce sont des substances ; et les appeler incorporelles, est se contredire dans les termes : car il n’y a de substance que le corps lui-même.

Voilà donc ce que Hobbes retranche de l’objet de la philosophie ; on voit, par conséquent, à quoi il le réduit : encore une fois, le corps et ses accidents, c’est là tout ce qui est à connaître.

Mais comme, avant de rien connaître, il faut avoir un moyen ou instrument de connaissance ; que cet instrument, selon Hobbes, est le raisonnement, un premier traité qui aura pour titre la Logique ou le Calcul, devra précéder ceux qui sont consacrés à la science elle-même.

C’est qu’en effet si philosopher n’est que raisonner, raisonner n’est que compter, additionner et soustraire (Log., p. 2 ; de Homine, p. 20). Ainsi, par exemple, un corps s’offre à vous de loin et obscurément, ce n’est encore à vos yeux qu’un corps ; mais il s’approche et se meut, c’est un corps animé ; il s’approche encore et il parle, il donne signe de raison, c’est donc un corps animé et raisonnable. Corps animé, raisonnable, voilà les éléments à ajouter ; ajoutez-les, vous avez homme : faites le contraire, retranchez successivement raisonnable et animé, et il vous restera corps. Appliquez ce double procédé à toutes les différentes propriétés du corps, aux lignes, aux figures, aux mouvements, aux degrés de rapidité et de puissance, etc. ; appliquez-le également aux lois, aux devoirs, et en général à la cité, et, avec les géomètres et les physiciens, vous aurez la science du corps naturel ; et, avec les moralistes et les politiques, celle du corps civil ou artificiel.

Le procédé est bien simple ; cependant suivez-le de la proposition qu’il constitue par l’addition de deux noms, dans le syllogisme qu’il compose par celle de deux propositions, dans la démonstration qui, à son tour, résulte de plusieurs syllogismes, et vous verrez qu’il satisfait à toutes les conditions de la science, puisqu’il donne dans la proposition la définition ou le principe ;