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éléments multiples qui doivent concourir à la solution.

La philosophie étudie l’homme dans l’individu, elle analyse dans cet exemplaire de l’espèce les faits, les facultés humaines ; elle cherche les lois qui gouvernent la production de ces faits et le développement de ces facultés ; elle s’efforce de découvrir quelle est la destinée de l’homme. De son côté l’histoire étudie l’homme dans la perpétuité de l’espèce ; elle recueille la suite des faits qui constituent la vie politique, intellectuelle et morale d’une nation, d’un siècle ou même de l’humanité tout entière ; elle cherche l’explication de chaque événement ; dans les mœurs, dans les idées, dans les institutions ou dans les faits antérieurs, et puise dons le passé des leçons pour l’avenir. La philosophie de l’histoire, comme le dit M. Jouffroy, néglige les changements eux-mêmes et ne voit que le fait général de la mobilité humaine dont ils sont la manifestation. Comme l’histoire, c’est dans la suite de l’espèce qu’elle étudie l’humanité ; comme la philosophie, elle cherche la cause et la loi de cette marche générale de l’humanité et essaye de connaître sa destinée. Cette croyance qu’au-dessus des causes particulières, passagères, accidentelles, au-dessus des volontés libres des individus qui déterminent chaque événement et suffisent à expliquer chaque anneau de la chaîne, il y a une cause, une loi d’une importance supérieure qui dominent le tout, et la recherche de cette cause et de cette loi, voilà ce qui constitue essentiellement la philosophie de l’histoire, quelque part d’ailleurs que l’on place cette cause, quelque formule que l’on donne à cette loi, qu’on la conçoive une ou multiple. Ainsi Bossuet trouve la raison de la suite des temps et des empires dans la Bible ; cette cause, c’est Dieu lui-même ; cette loi, c’est le gouvernement du monde par la providence en vue d’une certaine fin ; cette destinée, c’est l’établissement de l’Église. Vico cherche cette loi dans l’histoire elle-même, il la trouve dans la nature commune des nations et la formule dans le retour perpétuel et périodique des mêmes révolutions. Herder place cette cause dans le monde extérieur, par exemple, dans le climat qui fait les idées, les mœurs et les institutions, et il compte autant de lois que de peuples, que de combinaisons spéciales d’influences extérieures. Chacun propose donc une solution différente, mais c’est le même problème qu’ils résolvent différemment. Or c’est dans la question à résoudre, non pas dans la solution qu’on lui donne, que consiste la philosophie de l’histoire ; de même que la métaphysique consiste non dans le spiritualisme ou dans le matérialisme, dans le monothéisme, ou dans le dualisme, ou dans le panthéisme, à l’exclusion l’un de l’autre, mais dans la recherche de la nature de l’âme et de Dieu.

On peut consulter : Th. Jouffroy, Réflexions sur la philosophie de l’histoire dans ses Mélanges philosophiques.

Voy. aussi les articles Philosophie et Destinée dans ce Dictionnaire.

HOBBES (Thomas) naquit à Malmesbury, petit village du comté de With, en 1588, l’année où l’invincible armada préparée à si grands frais et pour des desseins si menaçants contre l’Angleterre par Philippe II, fut dispersée par la tempête, et réduite à l’impuissance. On dit même que ce fut par l’effet de la peur qu’éprouva la mère d’Hobbes à l’approche de cette flotte qu’elle le mit au monde avant le terme. Par suite de cette circonstance, il fut longtemps d’une santé assez faible, mais avec l’âge il se fortifia, et, grâce à sa tempérance et à la régularité de ses habitudes, il put prolonger sa vie jusqu’à quatre vingt-onze ans.

Il était fils d’un ministre, qui de bonne heure s’appliqua à cultiver, par l’étude des langues anciennes, son esprit naturellement doué d’une rare aptitude ; à huit ans, il traduisit en vers latins la Médée d’Euripide.

A peine âgé de quatorze ans, il fut envoyé à l’université d’Oxford : il y resta cinq ans, et y poursuivit avec succès le cours de ses études ; on n’y enseignait que la scolastique : il n’en fut pas pour cela un partisan plus dévoué de l’école. Ses dispositions à cet égard furent à peu près celles que Bacon montra en sortant de Cambridge, Descartes, de la Flèche, et Gassendi, du collège de Digne.

A dix-neuf ans, il quitta l’Université, et entra comme précepteur dans la maison du comte de Devonshire, Guillaume de Cavendish, et resta toujours fort attaché à cette famille. Ces relations ne furent même pas étrangères à ses doctrines tant politiques que métaphysiques : car on lit dans l’épître dédicatoire placée en tête du Traité de la nature humaine, et adressée au comte de Newcastle, gouverneur du prince de Galles : « Ces principes, milord, sont ceux que je vous ai déjà exposés dans nos entretiens particuliers, et que, suivant vos désirs, j’ai placés ici selon un ordre méthodique. »

Sa première publication fut une traduction de Thucydide, précédée d’une préface, dans laquelle il exprimait le dessein de donner à son pays, tout prêt à se jeter dans les agitations d’une révolution, une leçon indirecte de modération et de sagesse.

Quatorze ans après, c’est-à-dire en 1642, il fit imprimer le de Cive, mais à un très-petit nombre d’exemplaires destinés seulement à ses amis.

En 1650, il publia son Traité sur la nature humaine, et ce fut pendant son séjour en France, en 1651, qu’il donna son Léviathan, titre qui ne signifie pas, comme on l’a supposé, une bête terrible et monstrueuse, digne symbole de la société humaine, au sens du système de Hobbes ; mais seulement un ouvrage de l’art, Opificium artis, ou la Cité, qui, tout artificielle qu’elle est. est infiniment supérieure en masse et en vigueur à l’homme naturel.

Le Léviathan déplut aux théologiens, parce qu’il leur parut nuisible à la religion et aux royalistes, auxquels il sembla favorable à l’usurpation de Cromwell. Devenu à ce double titre suspect à son parti, Hobbes crut devoir quitter Paris (1653) qu’il habitait depuis 1640 ; il rentra en Angleterre, sans prendre aucune couleur politique ; il s’enferma et vécut dans la société des savants et particulièrement d’Harvey, qui lui légua même à sa mort une petite somme d’argent.

Dans ces nouveaux loisirs, il composa successivement sa Logique (1655), le de Corpore, à peu près à la même époque, et le de Homine en 1658.

Au retour de Charles II (1660) il chercha à rentrer en grâce auprès de son ancien élève, qu’il obtint ; il reçut même de lui des témoignages de faveur, fut admis à des entretiens particuliers ; mais tout se borna à ces manifestations, et il eut le bon sens de ne pas porter inutilement son ambition plus haut, et de se contenter des occupations de sa studieuse retraite. Ce fut alors qu’il fit, comme on dirait aujourd’hui, une édition complète de ses œuvres, sous les titres de Logique, Philosophie première, Physique, Politique et Mathématiques : elle s’imprima en Hollande (2 vol. in-4, Amst., 1668).

Vers ce temps, un partisan des doctrines de Hobbes, bachelier ès arts de l’université de