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due, se sont adressés à l’intervention divine pour exciter dans l’àme les phénomènes correspondant aux divers états du corps, et dans le corps les mouvements nécessaires pour exécuter ou traduire aux yeux les pensées de l’âme. Tel est, en sub­stance, le système des causes occasionnelles, dont l’invention appartient à l’école cartésienne. Leib­niz, ainsi que Descartes, établit un abîme entre les deux principes de la nature humaine ; il va même jusqu’à nier d’une manière générale toute influence d’une substance finie sur une autre. Mais, croyant au-dessous de la sagesse et de la majesté divines d’interven.r directement dans tous les phénomènes de notre existence, il a imaginé que dès l’instant où ils furent créés, l’âme et le corps ont été tellement organisés, que les phéno­mènes de l’un fussent en accord parfait avec les phénomènes de l’autre. Ce sont deux pendules fa­briquées avec tant d’art, qu’elles marchent tou­jours ensemble et n’offrent jamais la plus petite différence dans l’indication des heures. Voilà ce qu’on a appelé le système de l’harmonie prééta­blie ; système qui n’est qu’une simple application de celui des Monades. Enfin, la plupart des phi­losophes spiritualistes se sont contentés d’admet­tre, sans l’expliquer, l’influence naturelle (in­fluxum, physicum) que les deux substances exercent l’une sur l’autre. Mais ce n’est pas là, comme on l’enseigne presque généralement, un système de plus ; c’est simplement l’expression du fait dont on a cherché à se rendre compte. Quant aux trois opinions précédentes, il n’est pas difficile d’apercevoir au premier coup d’œil ce qu’elles ont de faux et d’imaginaire. La pre­mière ne fait qu’ajouter au fait qu’il s’agit d’ex­pliquer une hypothèse tout aussi inexplicable. Les deux autres, non moins arbitraires, ont en outre le tort de supprimer la liberté humaine et de rendre Dieu responsable de toutes nos actions. Toutes trois sont en opposition directe avec le té­moignage de la conscience ; car c’est pour moi une conviction intime, indestructible, un fait aussi évident que celui de mon existence, que ma vo­lonté est la vraie cause, la cause immédiate de certains mouvements dé mon corps, et que, d’un autre côté, les impressions de mes sens sont trans­mises jusqu’à mon intelligence et à ma sensibi­lité. La physiologie me désigné les organes qui concourent à cette opération, et me prouve par de nombreuses expériences que leur destruction entraîne avec elle celle des phénomènes dont ils sont les agents. Si l’on veut maintenant respecter les faits sans renoncer à comprendre le mystérieux commerce de l’âme et du corps, on y parviendra peut-être en se pénétrant de cette idée que l’es­sence, le principe constitutif de la matière ne con­siste pas plus dans l’étendue que l’essence de l’âme dans les phénomènes si fugitifs de la conscience. En effet, quand nous voulons faire de l’étendue autre chose qu’un phénomène, quand nous vou­lons en faire le principe de la realité extérieure et la réduire à ses éléments les plus simples, aus­sitôt elle fuitdevantnous comme une ombre vaine : elle échappe à la fois à nos sens et à notre raison par sa divisibilité infinie. Je dis sa divisibilité in­finie, car nous ne pouvons pas en admettre une autre. Là où cesse la divisibilité, cesse également l’étendue et par conséquent la matière. Non, la matière est une force, ou plutôt un système de forces subordonnées les unes aux autres, et se manifestant dans l’espace sous des formes éten­dues et divisibles comme l’âme se manifeste par dei faits de conscience. Mais il ne s’agit pas ici de la matière en général ; il est question d’un corps organisé et vivant : car ce n’est que sur un tel corps que l’âme peut exercer une action immé­diate. Or, partout où se montrent l’organisation et la vie, il y a des formes intelligibles et des principes immatériels. Voy. Matière, Vie, Force, etc.

2° On a demandé dans quelle partie du corps la substance spirituelle avait en quelque sorte fixé sa demeure, ou, pour me servir des termes consacrés, quel était le siège de l’âme. Juscju’à ces derniers temps, les philosophes et les méde­cins se sont montrés très-occupés de cette ques­tion. Ceux qu reconnaissent plusieurs âmes, par exemple Platon, Pythagore et leurs disciples, admettaient pour chacune d’elles un siège diffé­rent. Ainsi, comme nous l’avons déjà dit, l’âme raisonnable était placée dans le cerveau, l’âme irascible dans la poitrine, et l’âme concupiscible ou sensitive dans le bas-ventre. Aristote seul, re­gardant le cerveau comme un organe très-froid, destiné seulement à rafraîchir le cœur par les va­peurs qu’il en faisait naître, a renfermé dans ce dernier organe le principe de toute vie et de toute intelligence. Ceux qui se bornaient à une seule âme la logeaient dans la poitrine ou dans la tête, selon qu’elle passait à leurs yeux pour le principe de la vie animale ou pour une force tout à fait distincte de l’organisme. Les modernes, non con­tents de placer l’âme dans le cerveau, ont voulu encore la circonscrire dans une partie déterminée de ce viscère. Descartes avait choisi la glande pinéale, sous prétexte qu’elle est seule dans le cerveau, et qu’elle y est comme suspendue de manière à se prêter facilement à tous les mouve­ments exigés par les phénomènes intérieurs. D’au­tres, pour des raisons tout aussi péremptoires, ont donné la préférence soit aux ventricules du cerveau, soitau centre oval, soit au corps calleux. Aucune de ces hypothèses n’a pu résister long­temps au sens commun et à l’expérience. Aujour­d’hui la question même qui les avait provoquées a disparu complètement. Les philosophes ont la conviction que l’âme, ne pouvant être contenue dans un point particulier de l’espace, ne doit pas non plus être circonscrite dans une partie déter— minee du corps ; mais qu’elle tient dans sa puis­sance le corps tout entier et se manifeste par ses mouvements. Les physiologistes ont pense qu’au lieu d’assigner à l’âme un siège imaginaire, il valait mieux rechercher quels sont les organes par lesquels elle reçoit les impressions du corps et lui fait subir à son tour sa propre influence. C’est ainsi que Bichat a découvert en nous deux sortes de vies parfaitement distinctes : l’une or­ganique, sans conscience ; l’autre de relation, accompagnée de conscience et de sensibilité. N’est-ce pas la vie végétative et la vie sensitive des anciens, placées l’une et l’autre au-dessous de l’âme proprement dite ? Des expériences plus récentes ont établi une autre distinction non moins digne d’intérêt, celle des nerfs qui servent au mouvement, et des nerfs uniquement consacrés à la sensation. Que le cerveau soit le centre et le point de départ de tous ces agents de com­munication entre les deux principes, c’est encore un fait qui ne saurait être contesté. Mais lors­qu’on a voulu aller plus loin, quand on a voulu assigner à chaque faculté, à chaque ordre d’idées, à chaque direction de l’activité morale, un or— ane séparé dans l’encéphale, alors on est tombé ans le vieux matérialisme qu’on a vainement essayé de rajeunir par un amas d’anecdoles et de commérages contradictoires, décorés du nom de phrénologie (voy. ce mot).

3° On a demande d’où vient l’âme, quelle est son origine et de quelle manière elle pénètre dans le corps poury fixer momentanément sa demeure. La première de ces questions ne peut être résolue que par des vues générales sur l’origine des ch’ses, sur l’essence absolue des êtres et les rap­ports