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de mon être, c’est-à-dire mon àme, dont l’idée m’est fournie par la raison dans un fait de con­science. De la la nécessité, comme nous l’avons dit en commençant, d’ajouter à la définition psy­chologique de l’âme, ou à la simple énumération de ses facultés, une autre définition plus élevée, ayant pour but de nous faire connaître son es­sence, son principe constitutif et vraiment inva­riable.

Ceux qui ont confondu l’âme tout entière avec le moi, ont dû nécessairement se tromper sur son essence ; car, dans le cercle étroit où ils se sont renfermés, ils nepouvaient rencontrer que les fa­cultés et les modes dont nous avons immédiate­ment conscience, c’est-à-dire, pour parler la lan­gue de l’école, des propriétés et des accidents, des faits variables ou de simples abstractions. Aussi, les uns ont-ils cru voir l’essence de l’âme dans la pensée : tels sont tous les philosophes de l’école cartésienne ; les autres, nous voulons parler de Locke et de Condillac, l’ont cherchée dans la sensibilité, et dans un seul mode de la sensibi­lité, dans la sensation ; enfin un penseur plus ré­cent, Maine de Biran, a tenté de la ramener à. l’acte de volonté, à la volition proprement dite, désignée sous le nom d’effort musculaire. Les conséquences qui résultent de chacune de ces opi­nions (car ce n’est pas ici le lieu de les soumettre à un examen plus approfondi) achèvent de nous démontrer combien il est nécessaire d’étendre au delà des limites de la conscience le principe réel ou l’essence invariable de notre âme. En effet, avec Descartes, notre pensée finie, sans autre sub­stratum qu’elie-même, c’est-à-dire que les idées, devient nécessairement un mode de l’intelligence infinie et une manifestation passive de l’essence divine. La première moitié de cette conséquence a été reconnue parMalebranche, et la conséquence tout entière par Spinoza. Avec le système de Con­dillac, qui est sans contredit la plus complète, ou du moins la plus franche expression du sensua­lisme, toute unité disparaît, la conscience de notre identité est une illusion, l’activité en général, et, à plus forte raison, l’activité libre, ne peut être admise que par une flagrante inconséquence ; il ne reste plus en face de la conscience ; que des modes fugitifs et involontaires ; le moi devient une collection de sensations. La troisième opi­nion est sans doute bien plus près de la vérité, mais ce n’est pas elle encore ; car, soit qu’il s’a­gisse de l’acte volontaire ou de la volonté elle— même, il est impossible que nous y trouvions l’es— sence ; le principe constitutif de notre àme, le fond identique et invariable de notre être : l’acte de volonté, la volition ou l’effort musculaire est un simple phénomène, un mode variable et fugi­tif, bienqu nous en soyons les auteurs. Un acte n’ést certainement pas identique à un autre acte, et la volonté, c’est-à-dire une faculté du moi, un certain mode d’activité qui exige la plus parfaite conscience, est sujette à des interruptions et à des absences. Elle n’existe pas, ou, ce qui revient au même, elle ne se révèle pas encore dans le nou­veau-né ; elle est absente dans la léthargie et le sommeil profond ; elle manque entièrement chez l’idiot.

Ilne suffit pas de démontrer que l’âme ne peut être contenue tout entière ni dans le moi, ni dans aucune des facultés du moi ; il faut encore, en prenant pour guide la raison à la place de la con­science qui nous fait défaut, que nous sachions positivement ce qu’elle est, j’entends en elle-mê­me, dans son principe le plus intime. D’abord elle est comme le moi une et identique ; car l’unité et l’identité de notre personne, quoique connues d’une manière immédiate, ne sont pas simple­ment des faits de conscience, mais les conditions internes, les conditions absolues de c ?.s faits et du moi lui-même. Or de telles conditions, je veu* dire de telles qualités, ne peuvent avoir leur siég*· ue dans le principe réel, dans le véritable centre e notre existence. Mais cela n’est pas assez : l’unité, par elle-même, n’est qu’une abstraction, et l’identité, comme nous l’avons démontré pré­cédemment, n’est que la persévérance de l’unité, ou l’unité continue. Rien n’existe véritablement, rien ne sort du cercle des abstractions ou des ap­parences, que ce qui agit ou en soi ou hors de soi ; ce qui a quelque vertu, quelque pouvoir, en un mot, ce qui est une cause efficiente. Or toute cause distinguée de ses actes, distinguée de ses modes ou de ses différents degrés d’activi­té, c’est ce qu’on appelle une force. Donc, l’âme est une force indivisible et identique, c’est-à-dire immatérielle ; une force susceptible de sentiment, d’intelligence et de liberté, quoiqu’elle n’ait pas toujours la jouissance ou la possession actuelle de ses facultés ; par là enfin elle est aussi une force perfectible, et nul n’oserait fixer la limite où cette perfectibilité s’arrête ; car, d’une part, l’expérience, lorsque nous n’avons pas renoncé à nous-mêmes, nous montre toujours en avance sur le passé, et de l’autre la raison, la conception de l’idéal et de l’infini ; nous ouvre un champ sans bornes dans l’avenir. Cette théorie, nous avons hâte de le dire, n’est pas nouvelle ; elle était dans la pensée de Platon quand il définissait l’âme un mouvement qui se meut lui-même, κίντ, σις έαυ— ττ, ν κινούσα (Leg., lib. X) ; elle était entrevue par Aristote, quoiqu il ait compris très-imparfaite­ment, dans l’homme, la distinction de l’organisme et du principe spirituel. Elle a été surtout déve­loppée par Leibniz, dont le tort est de l’avoir ap­pliquée, d’une manière absolue, à tous les objets de l’univers. Enfin, grâce à des travaux plus récents, elle est devenue l’une des bases de la psychologie moderne.

Nous pourrions sur-le-champ démontrer l’im­mortalité de l’âme comme une conséquence im­médiate de son caractère métaphysique, de son immatérialité, de sa perfectibilité indéfinie ; mais, la preuve de ce dogme important ne pouvant être complète sans l’appui de certains principes et de certains faits qui ne seraient point ici à leur place, nous avons cru nécessaire d’y consacrer un article à part (voy. Immortalité). Nous nous bor­nerons, dans celui-ci, à passer en revue les di­verses questions auxquelles a donné lieu l’idée d’une âme immatérielle unie à un corps, et à in­diquer sommairement les résultats de ces recher­ches plus ou moins utiles à la science.

1° On a demandé comment l’âme et le corps, l’esprit et la matière, si complètement différents l’un de l’autre, peuvent cependant agir l’un sur l’autre ; comment, sans étendue, par conséquent sans occuper aucun point de l’espace, le moi de­vient la cause de certains mouvements des or­ganes, et les organes de certaines sensations du moi, qui devrait, par sa simplicité indivisible, être entièrement à l’abri de leur grossière in­fluence ? Différents systèmes ont été imaginés pour résoudre cette question : les uns ont eu re­cours à une substance intermédiaire, à un être d’une double nature, qui, tenant à la fois de l’âme et du corps, peut servir de médiateur entre ces deux principes opposés. Cet être imaginaire a reçu le nom de médiateur plastique. Mais on le reconnaît aussi dans les esprits animaux, ad­mis par les physiologistes et les philosophes du xviie siècle, dans Varchée de Van-Helmont et la flamme vitale de Wiilis. Les autres, ne voyant aucun lien possible entre l’esprit qu’ils faisaient consister exclusivement dans la pensée, et la ma­tière à laquelle ils donnaient pour essence l’étan.