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nature humaine et aux croyances du sens com­mun, pour être longtemps pris au sérieux ; il ne pouvait être qu’une réduction à l’absurde du sys­tème de Kant. Son auteur lui-même, dans les der­nières années de sa vie, reconnut ce que sa doc­trine avait de contraire à la raison et au bon sens, et il essaya de la modifier. Il eut recours aussi à la distinction de la foi et de la science, mais sans montrer le lien qui les unit. En outre, après avoir fait sortir du moi la nature et Dieu, il nt rentrer le moi humain dans le moi divin infini et absolu. Cette conception devait être la base d’un nouveau système, celui de Schelling.

Fichte ne pouvait fondfer une école ; mais sa philosophie n’en exerça pas moins une grande in­fluence, qui se fit sentir non-seulement dans la science, mais dans la littérature. L’école humo­ristique de Jean Paul, celle qui développa le prin­cipe de Yironie dans l’art, Solger, Frédéric de Schlegel se rattachent à l’idéalisme subjectif ; tandis que d’un autre côté l’effort que fait le moi pour sortir de lui-même, l’aspiration de l’âme vers l’infini et l’absolu engendrent le mysticisme de Novalis.

Après Fichte commence une nouvelle phase pour la philosophie allemande. L’idéalisme trans— cendantal de Kant et de Fichte abandonne la forme subjective pour prendre avec Schelling le caractère objectif et absolu. Schelling fut d’abord disciple de Fichte ; peu à peu il s’éloigna de sa doctrine et s’éleva par degres à la conception d’un nouveau système qui prit le nom de système de Yidentité. Kant, niant l’objectivité des idées de la raison, ramène tout au sujet, à ses formes et à ses lois. Fichte fait du moi le principe de toute existence, il tire l’objet du sujet. Schelling s’élève au-dessus de ces deux termes et les identifie dans un principe supérieur, au sein duquel le su­jet et l’objet s’unissent et se confondent. A ce point de vue la différence entre le moi et le non— moi, le fini et l’infini s’efface ; toute opposition disparaît ; la nature et l’homme, sortant du même principe, manifestent leur confraternité, leur unité et leur identité. De même au-dessus de la réflexion, qui n’atteint que le fini, se place un autre mode de connaissance, la contemplation intellectuelle, Yintuition, qui saisit immédiate­ment l’absolu. L’absolu n’est ni fini ni infini, ni sujet ni objet, c’est l’être dans lequel toute dif­férence et toute opposition s’évanouissent, Y Un, qui, se développant, devient l’univers, la nature et l’homme.

Il suit de laque la nature n’est pas morte, mais vivante. Dieu est en elle; elle est divine, ses lois et celles du monde moral sont identiques. Nous ne pouvons donner ici même une légère esquisse de ce système. Il est impossible de méconnaître ce qu’il renferme d’élevé et d’original, la fécondité et la richesse de ses résultats. Schelling avait su s’approprier les idées de plusieurs philosophes, de Platon, de Bruno, de Spinoza, et y rattacher les découvertes plus récentes de Kant, de Jacobi et de Fichte. A l’aide d’un principe supérieur, il en avait composé un système séduisant, surtout ar la facilite avec laquelle il expliquait les pro— lèmes les plus élevés, jusqu’alors insolubles. Ce panthéisme allait d’ailleurs si bien au génie alle­mand, qu’il ne pouvait manquer d’être accueilli avec enthousiasme. Schelling fut le chef d’une grande école, et l’on peut compter parmi ses prin­cipaux disciples Oken, Stefens, Goerres, Baader, Hegel lui-même, qui devait bientôt fonder une école indépendante.

Quoique la philosophie de Schelling embrassât l’objet entier de la connaissance, il l’appliqua principalement au monde physique. Elle prit le nom de philosophie de la nature : son influence ne s’exerça pas seulement sur les sciences natu­relles, elle s’étendit à la théologie, à la mytho­logie, à l’esthétique et à toutes les branches du savoir humain. Mais, malgré ses mérites et le gé­nie de son auteur, elle présentait des lacunes et de graves défauts qui, tôt ou tard, devaient frap­per les regards et provoquer une réaction.

Schelling n’a jamais exposé son système d’une manière complète et régulière ; il s’est borné à des esquisses, à des vues générales et à des tra­vaux partiels ; il ne sait pas pénétrer dans les détails de la science, en coordonner toutes les parties, former sur chaque question une solution nette et positive. La faculté qui domine chez lui est l’intuition ; il n’a pas au même degré l’esprit logique qui analyse, discute, démontre, qui dé­veloppe une idée et la suit dans toutes ses appli­cations ; son exposition est dogmatique et sa mé­thode hypothétique. Il s’abandonne trop à son imagination, son langage est souvent figuré ou poétique. En outre, il a plusieurs fois modifié ses opinions, et il n’a pas toujours su établir le lien entre les doctrines qu’il voulait réunir et fondre dans la sienne. Ces défauts devaient être exagérés par ses disciples. Ceux-ci se mirent à parler un langage inspiré et mystique, à dogma­tiser et à prophétiser, au lieu de raisonner et de discuter. Le mysticisme et la poésie envahirent la science ; la philosophie entonna des hymnes et rendit des oracles. Ce fut alors que parut Hegel.

ALLE— 36= ALLE = Esprit sévère et méthodique, logicien et dialec­ticien avant tout, Hegel vit le danger que courait la philosophie, et il entreprit de la ramener aux procédés et à la forme qui constituent son es­sence. Son premier soin fut de bannir de son domaine tout élément étranger, d’écarter la poésie de son langage, d’organiser la science dans son ensemble et toutes ses parties, de créer des for­mules exactes et précises. Dans ce but, il donna pour base à la philosophie la logique : c’est là ce qui constitue principalement l’originalité de son système ; mais il faut bien saisir son point de vue. La logique d’Aristote est une analyse des formes de la pensée et du raisonnement, telles qu’elles sont exprimées dans le langage. La lo­gique de Kant reprend et continue l’œuvre d’Aris­tote, c’est une analyse des formes de l’entende­ment et de la raison, considérées dans l’esprit humain lui-même ; mais ces formes et ces lois sont celles de la raison humaine, elles n’ont qu’une valeur subjective. Pour Hegel, au contraire, ces idées et ces formes, au lieu d’être de pures con­ceptions de notre esprit, sont les lois et les formes de la raison universelle. Elles ont une valeur absolue, c’est la pensée divine qui se développe conformément à ces lois nécessaires. Les lois de l’univers sont leur manifestation et leur-réalisa­tion ; le monde est la logique visible. Hegel refait donc le travail d’Aristote et de Kant, mais dans un autre but, celui d’expliquer, à l’aide de ces formules, Dieu, la nature et l’homme. D’un autre côté, la logique de Hegel n’est pas, comme celle d’Aristote et de Kant, une simple juxtaposition et une succession d’idées et de formes ; elle repré­sente le développement de la pensée universelle dans son évolution et son mouvement progressif, comme constituant un tout organique et vivant. Il part de Yidée la plus simple et la suit à travers ses oppositions, dans tous ses développements, jusqu’à ce qu’elle atteigne à sa forme dernière. Ainsi ces formules abstraites contiennent le secret de l’univers, c’est la science a priori et en abrégé. Toutes les parties du système de Hegel ont pour base et pour lien la logique et elles sont enchaî­nées avec un art et une vigueur d’esprit admira­bles. D’ailleurs, indépendamment du système, les ouvrages