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ENTI — 451 — ÉPIG institutions durables des législateurs et des con- quérants. Si donc la morale a négligé jusqu’ici l’étude de cette noble passion, et si un Descartes a pu l’o- mettre dans son analyse de toutes celles qui agitent l’homme, ce n’est pas que l’enthousiasme ne mérite la plus sérieuse attention, et par sa grandeur et par ses périls; mais c’est que la morale, étudiant les facultés ordinaires de l’homme et leurs développements réguliers, a passé sous silence un état exceptionnel après tout, qui n’a rien de normal, quelque admirable qu’il soit. Pourtant les exceptions mêmes, quand elles sont aussi éclatantes que celles-là, quand elles peuvent séduire et perdre les plus nobles cœurs, doivent être signalées avec les dangers qu’elles présentent; et la morale, après avoir fait la part austère et vraie du devoir, doit faire aussi celle du dévouement, qui n’est que le luxe du devoir si l’on veut, mais qui peut en être l’achèvement le plus beau, de même qu’il en est aussi parfois recueil. C’est une morale incomplète que celle qui ne va pas jusque-là, et qui ne sait ni com- prendre ni restreindre l’enthousiasme, tout en l’approuvant. L’enthousiame n’est pas nécessaire à l’homme, sans doute; mais sans l’enthousiasme, l’àme de l’homme n’a jamais toute sa puissance, la pensée toute sa force, l’action toute son éner- gie. C’est surtout la jeunesse qui est accessible à l’enthousiasme. D’abord elle est plus rapprochée de l’enfance, que domine exclusivement la spon- tanéité; et en elle, l’intelligence est plus vi- vement émue du spectacle encore nouveau que lui donnent les grandes idées du juste, du saint, du vrai ; plus tard, l’âme les sent moins, parce qu’elle en a contracté la noble habitude ; mais la vieillesse n’exclut pas même les plus ardentes aspirations de l’enthousiasme; seulement alors, les organes, atteints déjà par l’âge, répondent moins aisément à l’esprit qui les veut mouvoir. Ils résistent, ou plutôt ils n’obéissent point. L’en- thousiasme peut être intérieurement tout aussi ardent ; au dehors, les signes qui l’expriment et le manifestent sont moins complets et moins puissants. L’origine de l’enthousiasme est donc bien di- vine, comme l’a cru la philosophie grecque, qui, la première, l’a nommé. Il vient de la sponta- néité, qui est vraiment la partie divine dans l’homme; toutes les âmes peuvent le ressentir, mais toutes ne le ressentent pas au même degré. Les causes apparentes en peuvent être les plus diverses; mais au fond, il n’en a jamais qu’une seule : le bien, qui attire et agite l’âme quand elle le sent ou le conçoit. Il arrache l’homme à lui-même; et, par là, s’il le pousse le plus sou- vent aux grandes choses, il peut aussi le con- duire aux plus mauvaises. Enfin c’est un élément précieux de notre nature, que nous ne saurions tout à la fois ni conserver avec trop de soin, ni surveiller avec trop de sollicitude, parce qu’il n’est jamais à demi bienfaisant ou redoutable. On peut consulter de V Enthousiasme, discours d’ouverture prononcé par M. Damiron à la fa- culté des lettres de Paris en 1846. B. S.-H.


ENTITÉ, terme de philosophie scolastique, synonyme d’essence ou de forme. Au premier coup d’œil jeté sur la nature, on n’y aperçoit que des individus qui paraissent aux sens épuiser toute la réalité. Mais la raison pénètre plus loin que la sensation. Dans ces in- dividus, elle distingue deux sortes d’éléments, les uns particuliers, les autres généraux . les différences qui déterminent la nature propre de chaque chose, les ressemblances qui forment les espèces et les genres. C’est ainsi que toute figure humaine a sa physionomie propre et certains traits généraux qu’elle emprunte à l’humanité. Or, l’élément général se distingue par la per- manence des individus qui en l’ont partie ; ceux- ci ne font que paraître et s’évanouir, pendant que l’élément général se perpétue avec l’en- semble de ses caractères fondamentaux. Com- bien d’hommes ont passé, combien passeront sans que l’humanité elle-même ou périsse ou s’altère dans cette fuite rapide de notre existence personnelle! Les êtres particuliers n’épuisent donc pas la réalité, comme les sens nous por- tent à le croire ; à côté, au-dessus d’eux existe le genre, le modèle suprême imparfaitement re- produix par les individus, la nature commune et indéterminée, qui revêt passagèrement toutes les formes, et qui ne se confond avec aucune. Cette nature, ce modèle, ce genre, cet ensemble de caractères propres à chaque espèce, l’essence prise à part et posée, pour ainsi dire, en dehors des individus, voilà ce que les docteurs scolas- tiques appelaient entité. Les animaux avaient leur entité, c’était Y animalité; les hommes avaient la leur, Yhumanité. Ces termes, objet de ridicule pour la philosophie moderne, ca- chaient une idée vraie et profonde, on peut en juger par les indications qui précèdent; mais la subtilité scolastique commit ici une double mé- prise, cause principale du discrédit où elle est tombée. Premièrement, elle assimile trop sou- vent les vrais genres, les vraies essences à de simples qualités abstraites, séparant, par exemple, le son du corps sonore, la couleur du corps co- loré, et transformant ces vaines abstractions en autant d’entités. Secondement, elle regarda, ou du moins parut regarder ces entités, quelles qu’elles fussent, comme de véritables êtres, comme des substances dans toute la force du terme ; de manière que le genre humain aurait constitué une réalite ontologique, distincte des individus appelés hommes : hypothèse insou- tenable à la prendre en elle-mênie, et plus in- soutenable encore à en suivre les conséquences. La raison n’a pas besoin de recourir à de pa- reilles chimères pour expliquer la présence et le rôle de l’élément général au sein des choses ; il lui suffit de se représenter le monde comme la manifestation régulière d’un plan éternel- lement conçu par la sagesse de Dieu, et réalisé par sa puissance. Hors de là, la philosophie s’égare dans un labyrinthe de rêveries et d’ab- surdités inextricables, et finit par compromettre, aux yeux du vulgaire, les grandes vérités dont elle a le dépôt. Voy. les articles Réalisme et NOMINAUSME. ÉPICHARME de Cos, surnommé le Mégariquc ou le Sicilien, parce qu’il passa la plus grande partie de sa vie à Mégare en Sicile, florissait pendant la seconde moitié du v e siècle avant l’ère chrétienne. Il est surtout célèbre comme poète comique; toute l’antiquité le regardait comme un modèle en ce genre ; mais il mérite aussi une place dans ce Recueil comme disciple de Pythagore et comme auteur de plusieurs écrits philosophiques, parmi lesquels plusieurs cri- tiques ont voulu compter les Vers dorés de Py- thagore. A part cette dernière composition, que rien ne nous autorise à lui attribuer, il ne reste d’Épicharme que quelques fragments et les titres de quarante de ses comédies. Malheureusement ces débris ne sont pas d’une grande utilité pour l’histoire de la philosophie. On peut consulter sur Épicharme : Sextus Em- piricus. Adv. Mathem., lib. I, p. 273 et 284; — Jamblique, Vita Pylhag., c. xxxiv et xxxvi; — Diogène de Laërte, liv. III, ch. ix-xvm ; liv. VIII, ch. Lxxvm; — Cicéron, Tuscul., lib. I, c. vin. X.