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ACON — ACRO

rivé au point d’où l’autre part. Mais si la matière est divisible à l’infini, cela n’est pas possible, parce qu’il faut toujours admettre entre les deux coureurs une distance quelconque, infiniment pe­tite (Arist., Phys., lib. IV, c. ix ; Diog. Laërt., lib. IX, c. xxiii, xxix). Cet argument n’a de valeur et n’a été dirigé que contre les partisans exclu­sifs de l’empirisme, forcés par leurs principes à nier toute continuité et toute unité, par consé­quent le temps et l’espace. Mais, à le prendre d’une manière absolue, c’est une subtilité qui ne mérite pas d’autre réponse que celle de Diogène. Voy. Ecole Éléatique et Zénon.


ACHILLINI (Alexandre), de Bologne (Alex. Achillinus Boloniensis), professait à Padoue, dans le cours du xve siècle, la philosophie aris­totélicienne commentée par Averrhoès, et eut même la gloire d’être surnommé Aristote second.

Il n’eut pourtant d’autre titre à cette distinction que l’habileté de sa dialectique, habileté dont il fit surtout preuve dans la discussion qu’il soutint contre son célèbre contemporain, Pierre Pomponace. Il mourut en 1512, sans avoir laissé aucun écrit qui soit parvenu jusqu’a nous.


ACONTIUS (Jacques), né à Trente au com­mencement du xvie siècle, est très-peu connu et mériterait de l’être davantage. On ignore égale­ment l’année de sa naissance et celle de sa mort. Bayle, qui lui a consacré un article dans son Dictionnaire, affirme qu’il mourut en 1565 ; mais il vivait encore en 1567, puisque Ramus, qui entretenait avec Acontius une correspondance, s’adresse encore à lui en cette année même dans son Proœmium mathematicum et fait allusion à son crédit auprès de la reine d’Angleterre

La vie d’Acontius, comme celle de la plupart des philosophes de ce temps-là, fut semée d’a­ventures. Il nous apprend lui-même qu’ayant embrassé la réforme, il se détermina à quitter sa patrie, en compagnie d’un de ces coreligion­naires, nommé Francesco Betti. Sans doute ils suivirent la route que prenait alors l’émigration italienne, et dont les premières étapes étaient Genève et Zurich, Bàle et Strasbourg. Le séjour d’Acontius dans ces deux dernières villes est mentionné dans une lettre célèbre à son ami Jean Wolf de Zurich (de Ratione edendorum librorum, datée de Londres, 1562). C’est à Bâle qu’il publia ses principaux ouvrages et fit le plus long séjour avant de se réfugier en Angleterre, où la reine Elisabeth l’accueillit avec faveur et le pensionna, sinon comme jurisconsulte, ou comme philosophe, ou même comme théologien, au moins comme ingénieur : car il avait com­posé en italien un traité sur l’art de fortifier les places de guerre, et il entreprit de le mettre en latin par ordre de la reine : « tâche assez mal­aisée, disait-il, pour un homme qui, après avoir passe une bonne partie de sa vie à lire le mau­vais latin (sordes) de Barthole, de Baldus et d’au­tres écrivains de cette espèce (ejus farinœ), avait mené pendant plusieurs années la vie des cours. » Aussi ne paraît-il pas qu’il ait jamais livré à l’impression ce travail.

Acontius a joui, durant le xvie siècle et le xviie siècle, d’une assez grande réputation à cause d’un livre ingénieux, et souvent réimprimé, sur les Ruses de Satan (ou les Stratagèmes du Diable, suivant une autre traduction du titre latin : Stratagematum Satanœ libri octo, Bâle, 1565). Mais nous n’avons à nous occuper ici que du philoso­phe qui eut l’idée de réformer la logique, et non du théologien protestant, accusé par quelques-uns de pousser jusqu’à leurs dernières limites la largeur et la tolérance, et vanté pour cela même par les arminiens, les sociniens et les libres penseurs.

Le principal titre d’Acontius aux yeux de l’his­torien de la philosophie est un petit traité de la méthode, qu’il publia à Bàle en 1558, intitulé : Jacobi Acontii Tridentini de Methodo, hoc est de investigandarum tradendarumque artium ac scientiarum ratione (in-8, 138 pages, plus un errata d’après lequel nous rétablissons le titre) La logique étant définie l’art de découvrir et d’exposer la vérité (recta contemplandi docendique ratio), l’étude de la méthode en fait essen­tiellement partie, et il y a lieu de s’étonner que l’on s’en occupe si peu : car, si la méthode a pour but de nous procurer la connaissance que nous nous proposons d’acquérir, elle nous sert aussi à l’enseigner aux autres. Une telle connaissance n’est pas innée, comme celle des axiomes (p. 18, 19), ni obtenue immédiatement, comme les idées que nous donnent les sens : elle est le fruit du raisonnement, qui seul peut nous découvrir l’es­sence, les causes et les effets de chaque chose (qui sit, quæ sint ejus causæ, quisve effectus). À la recherche de l’essence se rattache la théorie lo­gique de la définition que l’auteur traite avec le plus grand soin (p. 49-83). Pour découvrir les causes et les effets, il distingue deux méthodes, celle de résolution ou d’analyse et celle de com­position, qui convient surtout à l’enseignement, quoiqu’elle contribue aussi à la recherche de la vérité. L’analyse dont il est ici question est celle des géomètres : il ne peut y avoir aucun doute à cet égard, et en général la méthode des mathématiques est l’idéal d’Acontius en logique. Il le déclare à Wolf dans la lettre que nous citions plus haut, et il prétend qu’elle trouve partout son application, voire même en théologie, témoin son livre des Ruses de Satan, où il part de la définition du but de Satan et de principes géné­raux ou axiomes dont il va déduisant les consé­quences jusqu’à la fin de l’ouvrage. On trouve encore, dans le de Methodo d’Acontius, de bonnes règles pour l’emploi de la division et pour la culture de la mémoire ; mais en somme, si l’on excepte l’expression de notions innées et ce qui est dit de l’analyse, on ne voit guère de quoi jus­tifier un rapprochement entre Acontius et Des­cartes. Cependant Baillet rapporte dans sa Vie de Descartes (t. II, p. 138) qu’un cartésien hol­landais, nommé Huelner, signala au P. Mersenne le livre d’Acontius comme le seul qui lui parût digne d’être comparé au Discours de la Méthode : exagération évidente, que Bayle se contente de rappeler, mais que Brucker semble approuver.

Pour rester dans le vrai, il faut dire que le de Methodo d’Acontius est l’ouvrage d’un esprit net et ferme, qu’il est bien compose, écrit d’un style clair et dégagé de toute scolastique. L’auteur est donc, en logique, un des précurseurs de la phi­losophie moderne. Il en avait pressenti les glo­rieux développements, témoin ce beau passage de sa lettre à J. Wolf : « Intelligo etiam me in sæculum incidisse cultum præter modum, nec tam certe vereor eorum, qui regnare nunc viden­tur, judicia, quam exorientem quamdam saeculi adhuc paulo excultioris lucem pertimesco. Etsi enim multos habuit habetque ætas nostra viros præstantes, adhuc tamen videre videor nescio quid majus futurum. » Quel dommage que cela soit dit à propos d’un écrit de Patrizzi !

Outre l’article de Bayle cité plus haut, on peut lire les quelques lignes que Brucker a consacrées à Acontius dans son Hist. critica philosophiœ (vol. V, p. 585, 586). Mais les écrits du théolo­gien italien sont la source la plus riche et la plus sûre pour connaître sa vie et ses opinions.

Ch. W.


ACROAMATIQUE (de άκροάμαι, entendre).