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historique sur l’université de Coimbre, publié par l’ordre du roi, petit in-f°, en portugais, Lisbonne, 1771). Un appendice contient, en outre, la réfutation des doctrines morales et politiques les plus blâmables qu’avait soutenues la Société dans les ouvrages qu’elle publiait, soit à Coïmbre, soit ailleurs.

Les seuls qui doivent nous intéresser ici sont ceux qui concernent la philosophie. Ils sont au nombre de vingt-deux, de 1542 à 1726. Ils portent sur la logique, la physique, la métaphysique, la morale, la politique et la philosophie générale. On peut en voir le catalogue exact dans les Annales de la Société de Jésus en Portugal, par Antonius Franco, in-f°, Augsbourg, 1726. Parmi tous ces ouvrages, il n’y en a point un seul de vraiment illustre. Les plus importants sont ceux de Fonseca sur l’Introduction de Porphyre, et surtout sur la Métaphysique d’Aristote. Le Cours de philosophie générale qu’on enseignait au collège de Coïmbre est d’Emmanuel Goës. Il a été publié en 1599, in-4, à Cologne, et il comprend la physique, le ciel, les météores, la morale, les parva naturalia, le traité de la génération et de la corruption, et le traité de l’âme. Les véritables commentaires de Coïmbre sur la Logique d’Aristote sont de 1607, in-4, Lyon. Trois ans auparavant, Frobes avait publié un ouvrage apocryphe, qu’on attribuait aux Coïmbrois. Cet ouvrage était tout à fait indigne d’une si haute parenté : indigna tali parente proles, dit Ribadeneira ; et ce fut pour l’étouffer que la Compagnie publia ses propres commentaires, dont la rédaction fut confiée à Sébastien Contus ou Conto.

Les œuvres des Coïmbrois n’ont rien de bien original pour la pensée philosophique ; mais c’est cette absence même d’originalité qui leur donne le caractère qui leur est propre. Ils sont uniquement fidèles à la tradition péripatéticienne. Le besoin d’innovation qui, à la fin du xve siècle, travaillait les esprits, leur est tout à fait étranger, et, de plus, il leur est tout à fait antipathique. Ils défendent Aristote et l’Église avec une égale ardeur ; et le péripatétisme ne leur est pas moins cher que la doctrine catholique. Ils se bornent donc, en général, à de simples commentaires ; et lors même qu’ils n’adoptent pas cette forme, c’est toujours la pensée du maître qu’ils reproduisent. Mais ils la reproduisent aussi avec des développements que la scolastique lui avait donnés. Ils sont en ceci encore les représentants très-fidèles de la tradition dont ils n’osent guère s’écarter, et qui les rattache surtout à saint Thomas. Toutes ces questions, en nombre presque infini, les unes subtiles, les autres profondes, la plupart ingénieuses, que la scolastique avait soulevées à propos des principes péripatéticiens, surtout en logique, sont reprises par les Coïmbrois. Ils parcourent avec le plus grand soin et une exactitude vraiment admirable toutes les solutions qui y ont été données par les écoles et les docteurs les plus renommés ; ils les classent avec une méthode parfaite ; ils les subordonnent selon l’importance qu’elles ont, et ils arrivent à les exposer et à les discuter toutes sans confusion, sans prolixité, et sans perdre un seul instant de vue la question principale à travers les mille détours de cette minutieuse analyse. Puis, après avoir noté toutes les phases diverses et souvent si délicates par lesquelles a passé la discussion, ils la résument et donnent leur solution propre, conséquence souvent heureuse de toutes celles qui ont précédé. Ils n’ajoutent pas beaucoup, si l’on veut, aux travaux antérieurs ; mais ils les complètent en les rapprochant les uns des autres, et en en laissant voir le résultat dernier. Malheureusement ce labeur si patient n’est pas toujours achevé ; et, pour la logique en particulier, les commentaires de Coïmbre, qui, à certains égards, sont un véritable chef-d’œuvre, présentent des lacunes considérables. Les premières parties de l’Organon ont été traitées avec un soin exquis et des développements exagérés ; les dernières, au contraire, ont été mutilées, soit que le temps, soit que la patience peut-être ait manqué aux auteurs. Les commentaires de Fonseca sur la Métaphysique d’Aristote sont pleins de sagacité et de solidité tout à la fois, et ils pourront être toujours consultés avec fruit.

Les Coïmbrois tiennent donc, en philosophie, une place assez considérable ; ils maintiennent l’autorité d’Aristote par des travaux fort estimables, si ce n’est fort nouveaux, à une époque où cette autorité est menacée de toutes parts. Ils instituent les plus laborieuses études sur cette grande doctrine à une époque où elle est décriée, et ils cherchent à conserver dans toute leur rigueur des habitudes qui ne conviennent plus à l’esprit du temps. Ce sont des scolastiques dans le xvie et le xviie siècle. Ils n’imitent point les écoles protestantes, qui ne veulent connaître Aristote que dans Aristote lui-même. Les Coïmbrois veulent étudier Aristote avec l’arsenal entier de tous les commentaires qu’il a produits. Les Jésuites n’ont fait, du reste, en cela, que ce que faisaient les autres ordres plus anciens que le leur, et qui gardaient les traditions scolastiques avec la plus scrupuleuse fidélité. Brucker les en a blâmés, peut-être avec un peu d’injustice. La Société de Jésus, avec les principes qu’elle devait défendre, ne pouvait faire en philosophie que ce qu’elle a fait. Le rôle de novateurs appartenait aux esprits libres qui, comme Ramus, Bacon et Descartes, cherchaient des voies nouvelles dans la science et dans la philosophie. Les Coïmbrois, pour leur part, ont rajeuni autant qu’ils l’ont pu la scolastique appuyée sur Aristote ; ils ne pouvaient aller au delà. Cette réserve a eu certainement son côté faible ; et, prolongée trop tard, elle put avoir au xviiie siècle son côté quelque peu ridicule. Mais elle a eu aussi ses avantages ; et c’est elle en partie qui a conservé pour l’antiquité ces souvenirs de respect et d’étude que Leibniz appréciait tant, et que notre âge a ravivés avec succès. Brucker est plus juste, en pensant que l’histoire complète de la scolastique devrait comprendre les Coïmbrois. C’est un jugement équitable qui doit démontrer et circonscrire à la fois l’importance de leurs travaux.

B. S.-H.

COLEBROOKE (Henri-Thomas), né à Londres, le 15 juin 1765, mort en 1837, a aidé plus que personne aux progrès des études orientales en Europe, du moins en ce qui concerne la philosophie. Envoyé dans l’Inde en qualité de secrétaire de la Compagnie, et préparé par une solide éducation à profiter de son séjour pour s’initier à l’histoire de cette antique civilisation, il en apprit la langue sacrée et en recueillit partout les monuments écrits. Il se fit aussi la plus riche bibliothèque du temps en ouvrages sanscrits, et s’attacha surtout à recueillir les écrits philosophiques dont personne jusqu’alors ne s’était sérieusement occupé. Après plusieurs travaux sur le droit et la législation des Hindous, il entreprit de faire connaître leur philosophie et publia de 1824 à 1829 les deux premiers volumes des Transactions de la Société Asiatique, une série de mémoires qui révèlent aux savants les principales doctrines, dont les noms apparaissaient pour la première fois, et qui furent longtemps l’unique source où l’on pût puiser quelques renseignements sur l’histoire de la philosophie indienne. Abel Rémusat en donna de longs ex-