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dans le christianisme, qu’il altéra^ ainsi que tant d’autres, par ce mélange d’élements étrangers. Il regardait le monde, non comme une création de la Divinité, mais comme l’ouvrage d’une puissance inférieure qui ne connaissait pas l’Être suprême ou qui, du moins, ne le connais­sait que très-imparfaitement et était séparée de lui par une infinité d’éons. On attribue aussi à Cérinthe les sentiments des millénaires sur le règne à venir du Christ, qu’il prétendait devoir durer ici-bas mille ans, pendant lesquels les justes auraient en partage toutes les voluptés charnelles. Voy. Cerdon et Gnosticisme. X.

CERTITUDE. Que tous les hommes se croient capables de parvenir à la vérité, c’est là un fait qui ne saurait être contesté sérieusement, car il ressort de l’expérience de la vie entière.

Si la conscience nous avertit que nous éprou­vons du plaisir ou de la douleur, si la vue ou le toucher nous transmet la notion d’un objet, si la mémoire nous rappelle le souvenir d’un événe­ment, nous ne contestons pas la véracité de la conscience, des sens ni de la mémoire, mais nous jugeons d’après leur témoignage que cet événe­ment a eu lieu, que cet objet existe, que notre âme est affectée en bien ou en mal.

Les conceptions absolues de la raison, telles que les idées de beauté et de perfection, subju­guent notre assentiment avec non moins de force et de rapidité.

Nous considérons aussi comme parfaitement légitime le procédé de l’esprit dans le raisonne­ment, et jamais personne ne douta de la vérité d’une conséquence régulièrement déduite de pré­misses vraies.

Il en est de même à l’égard d’une dernière fa­culté, l’induction : bien que les erreurs où elle tombe soient fréquentes, cependant nous n’hési­tons pas à croire, sur son autorité, que dans tous les lieux de la terre les corps tombent et s’atti­rent, le mouvement se communique, la vie cir­cule, tous les phénomènes se produisent suivant des lois uniformes.

Cette confiance naturelle de l’homme dans le témoignage de ses facultés, cette adhésion vive et profonde à la vérité qu’elles lui révèlent, a reçu le nom de certitude.

La certitude suppose à la fois un objet à con­naître, un esprit qui le connaît, et en troisième lieu, un rapport entre l’esprit et l’objet, rapport qui n’est autre chose que la connaissance ellemême à ses degrés divers. Or si l’esprit ne pos­sédait pas certains pouvoirs appropriés aux diffé­rents ordres de vérités, ou bien si, possédant ces pouvoirs, il ne les appliquait pas, aucune com­munication ne s’établirait de nous aux choses ; nous ne pourrions affirmer qu’elles existent, ni le contester ; étrangers au doute comme à la foi, privés de toute idée, nous n’aurions pas même le sentiment de notre existence personnelle. Il ré­sulte de là que le point de départ de la connais­sance et de la certitude qui en résulte, est l’opé­ration des facultés de l’intelligence. Ce sont elles qui nous mettent en relation avec la réalité ; ce qui échappe entièrement à leur portée, ce qu’elles ne peuvent en aucune sorte ni comprendre, ni entrevoir, ne saurait fournir la matière d’un ju­gement.

Mais cette première condition ne suffit pas pour déterminer 1 adhésion de l’esprit ; elle en appelle une autre du côté de l’objet qui doit pou­voir se manifester à la pensée, et l’éclairer de sa lumière ; sans quoi il n’existerait jamais pour elle. Cette action particulière de la vérité qui la rend visible, cette clarté pénétrante que l’analyse ne saurait définir, mais dont nous nous sentons frappés, est l’évidence. Toutes les fois qu’une vé­rité nous parait évidente, nous ne pouvons nous empêcher de l’admettre ; nous en sommes cer­tains, ou, ce qui revient au même, elle est cer­taine pour nous. La certitude est donc un état de l’âme corrélatif à une propriété des objets, l’évidence. Il y a entre elles le rapport de l’effet à la cause ; celle-ci implique celle-là, et elles s’accompagnent invariablement.

Maintenant faut-il croire qu’elles constituent en elles-mêmes un de ces phénomènes primitifs et irréductibles qu’il est à la fois impossible de supprimer et de confondre avec d’autres ? La cer­titude ne serait-elle pas, au contraire, une sim­ple variété de l’opinion, c’est-à-dire du doute, et considérée dans les choses, le plus haut degré de la probabilité ? Ce point, qui a longtemps par­tagé la philosophie, a dés conséquences trop graves pour ne pas appeler un sérieux examen.

Si nous considérons attentivement ce qui se passe en nous lorsque nous sommes certains d’une vérité, nous serons tout d’abord frappés de l’assurance où nous nous trouvons de ne pas nous tromper. Chacun de nous, par exemple, est certain de son existence personnelle. Or quand il prononce intérieurement cette parole : J’existe, est-ce que son esprit conçoit la possibilité d’une illusion ? Assurément non. Il en est de même quand nous affirmons que les corps sont étendus, qu’ils occupent un lieu dans l’espace, que les évé­nements s’accomplissent dans la durée, qu’ils ont tous une cause : nous portons ces jugements sans nous représenter et sans nous dire à nous-mêmes qu’il pourrait bien se faire que nous fussions victimes d’une erreur des sens ou de la raison.

La certitude est donc une affirmation absolue de la vérité à laquelle l’entendement adhère. Or une affirmation absolue ne saurait l’être plus ou moins. Elle est ou elle n’est pas, sans milieu. II ne peut donc y avoir de plus ou de moins dans la certitude, et en fait il n’y en a pas. Quel est l’homme qui est plus certain de son existence aujourd’hui qu’hier, dans une contrée que dans une autre ? Quel est celui qui commence par avoir une demi-certitude que deux et deux font quatre, puis une certitude plus haute, puis une entière certitude, sauf à voir plus tard l’adhésion de l’entendement entrer dans une période décrois­sante, et venir peu à peu s’effacer et s’éteindre dans les nuances du doute ?

Mais si telle est la nature de la certitude, il est plus clair que le jour qu’elle ne doit pas être con­fondue avec la probabilité, qui présente des ca­ractères tout différents. En effet, quand un évé­nement n’est que probable, il y a beaucoup de chances pour qu’il ait lieu, et d’autres chances pour qu’il n’ait pas lieu. Le jugement que nous en portons ne peut donc pas être absolu. L’affir­mation de l’esprit est, pour ainsi parler, mêlée d’une négation ; ou plutôt, on n’affirme pas, 011 conjecture, on hasarde, on hésite, en un mot, on n’est pas certain.

Il y a plus ; cette chance contraire qui subsiste en dehors de notre jugement, et qui l’infirme, 11e reste pas, ne peut pas rester constamment la même. Tantôt elle est très-considérable, tantôt elle l’est ou le paraît beaucoup moins. Dans le premier cas, nous disons que le fait en question est peu probable : il le devient de plus en plus dans le second. La probabilité parcourt ainsi tous les degrés d’une écnelle immense, là plus haute, ici moins élevée, suivant que les occasions d’er­reur sont plus ou moins nombreuses ; au lieu quo la certitude demeure invariable et toujours iden­tique à elle-même. Et ce serait en vain que vous augmenteriez à l’infini la quantité des chances heureuses, en diminuant dans la même propor­tion les chances contraires ; tant que subsiste­raient