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de la cinquième classe ; les autres ont été publiés ultérieurement.

Les premiers mémoires renferment des consi­dérations générales sur l’étude de l’homme et sur les rapports de son organisation physique avec ses facultés intellectuelles et morales : un court historique en forme le préambule. Cabanis veut tout d’abord* prouver que Pythagore, Démocrite, Hippocrate, Aristote et Épicure ont fondé leurs systèmes rationnels et leurs principes moraux sur la connaissance physique de l’homme ; mais, en même temps, il déclare qu’on ne sait rien de précis sur la doctrine de Pythagore, et qu’on peut en dire autant de Démocrite. Quant à Hip­pocrate, il ne mentionne guère que ses travaux en médecine. Il termine par quelques mots sur Épicure, et arrive immédiatement à Bacon. De Platon il n’est parlé qu’en termes de mépris :

« Les rêves de Platon, dit Cabanis, convenaient aux premiers Nazaréens et ne pouvaient guère s’allier qu’avec un fanatisme sombre et igno­rant. »

Arrivé aux temps modernes, Cabanis a réservé toute son admiration pour les chefs de l’école sensualiste, pour Hobbes, Locke, Helvétius et Condillac ; toutefois, son admiration, dit-il, ne l’empêchera pas de regretter qu’Helvétius et Condillac aient manque de connaissances phy­siologiques. Broussais disait précisément la même chose de Destutt. de Tracy. « Si Condillac eût mieux connu l’économie animale, dit Caba­nis, il aurait senti que l’àme est une faculté et non pas un être,  » c’est-à-dire que Condillac serait resté un pur matérialiste. Quant à Des­cartes, Cabanis a bien voulu le mentionner, mais avec des restrictions, ses erreurs ne devant pas nous faire oublier, dit-il, les services qu’il a rendus à la raison humaine.

Tel est, suivant Cabanis, le tableau rapide des progrès de l’analyse rationnelle ; ce philosophe y voit déjà clairement un rapport étroit entre les progrès des sciences morales et ceux des sciences physiologiques ; mais ce rapport devra se retrouver encore bien mieux dans la nature même des choses.

Pour exposer convenablement cette nature des choses^ Cabanis pose d’abord en fait que la sen­sibilité physique est le principe le plus général que fournisse l’analyse des facultés intellectuel­les et des affections morales, et il en conclut que le physique et le moral se confondent à leur source ; ou, en d’autres termes^ que le moral n’est que le physique considère sous certains points de vue plus particuliers.

Cette proposition paraît tellement démontrée à Cabanis, qu’il ne cherchera pas même à en donner la preuve. Si cependant on trouvait qu’elle a besoin de développement, il suffirait, suivant lui, d’observer que les opérations de l’âme ou ae l’esprit résultent d’une suite de mouvements exécutés par l’organe cérébral. Singulier complément d’une proposition dénuée elle-même de preuves, qu’une observation abso­lument impraticable ! Quels sont, en effet, les prétendus mouvements invoqués ici par Cabanis ?

Ilsuffirait, dit-il, de les observer : mais qui a jamais pu les observer ? et quand ils seraient observables, comment en inferer que la pensée résulte de ces mouvements ?

Après avoir posé ainsi cette pierre d’attente de tout son édifice, Cabanis traite incidemment des tempéraments, puis il revient aux organes particuliers du sentiment ; son but est surtout de prouver que la connaissance de l’organisation répand beaucoup de lumière sur la formation des idées. Cette proposition peut être vraie ; mais Cabanis nous montre qu’il n’avait lui-même qu’une connaissance fort imparfaite des faits d’ex­périmentation ; il assure, par exemple, que ce sont \éritablement les nerfs qui sentent ; que c’est non-seulement dans le cerveau et dans la moelle allongée, mais aussi dans la moelle épi­nière, que l’individu perçoit les sensations ! et il ajoute que sans ces connaissances il est im­possible de se faire des notions complètement justes de la manière dont les instruments de la pensée agissent pour la produire !

Étrange manière de raisonner ! Cabanis, d’une part, se contente des notions les plus superfi­cielles el les plus inexactes pour se rendre compte des phénomènes de la pensée, et d’au­tre part, il assure que cette pensée, qui a par­dessus elle des instruments matériels, est néan­moins produite par ces mêmes instruments !

Les mémoires suivants sont consacrés à l’his­toire physiologique des sensations : c’est du moins le but que se proposait Cabanis ; mais il n’y a véritablement ici aucune histoire physiolo­gique. Au lieu de nous exposer, par exemple, quel est le mode d’action des corps extérieurs sur les organes de sensations spéciales, de nous dire ce qui se passe dans chacun de ces organes sous l’influence des divers excitants, Cabanis s’est jeté dans l’idéologie de l’époque : ce qu’il prétend démontrer, c’est que les impressions reçues par les organes sont également la source de toutes les idées et de tous les mouvements. Nous ne cher­chons pas à réfuter la première partie de cette proposition, savoir que toutes les idées provien­nent des impressionsfait.es sur les organes ; nous dirons seulement que l’école à laquelle apparte­nait Cabanis a cela de particulier, en psychologie comme en physiologie, qu’elle n’a jamais pu con­cevoir un fait d’activité sans un fait préalable de sensibilité : il lui faut d’abord, et à toute force, une sensation, et elle veut que celle-ci vienne toujours du aehors. Cabanis change les mots, mais il accepte l’idée fondamentale ; seulement, il trouvait que ses maîtres avaient un peu trop restreint la source des sensations : il voulait qu’il en vînt aussi du dedans ; il disait qu’en idéologie ; il conviendrait de faire la part des idées qui révèlent des sensations internes. Ca­banis, en cela, avait parfaitement raison ; il y avait là toute une source de sensations, qui avait été négligée par ses prédécesseurs : ceux-ci n’a­vaient tenu compte que du toucher externe, en quelque sorte. Or, il est évident que du sein même des organes il surgit une foule de sensa­tions, et de sensations qui doivent, pour une bonne part, contribuer à la formation des idées. Cette extension devait donc être faite ; et nous ajouterons que Cabanis a été aussi loin que pos­sible dans ce sens : ceci l’a conduit à exposer, mieux qu’on ne l’avait fait avant lui, un ordre tout entier de déterminations ; nous voulons parler des déterminations instinctives. Cabanis a bien traité cette question : il a fait voir que sur ce point les idées d’Helvétius étaient erro « nées ; qu’il est une foule de déterminations tout à fait en dehors de l’expérience et de la raison, pour lesquelles il n’est nullement besoin d’édu­cation, qui tout d’abord acquièrent leur plus haut degré de perfection, parce qu’elles émanent d’une source tout à fait distincte, c’est-à-dire de l’instinct.

Ilest d’autres faits que Cabanis avait encore parfaitement remarqués, mais son système l’égarait à chaque instant ; en voici de nouvelles preuves. Nous savons avec certitude, dit-il, que l’attention modifie directement l’état local des organes ; et il ne se demande pas ce que c’est au fond que cette attention qui jouit ainsi du privilège de modifier ses propres organes ; cela lui