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et exotériques, le catalogue des éditions et des traductions du Stagirite, la nomenclature historique de ses commentateurs et le traité des Catégories. Les autres volumes renferment la suite des ouvrages logiques, la Rhétorique et la Poétique, accompagnés d’une traduction latine et suivis de notes explicatives. Cette publication fait le plus grand honneur au savoir de Buhle, et il est à regretter que les circonstances ne lui aient pas permis de la ter­miner. On trouvera un examen de VHistoire de la Philosophie moderne de Buhle dans les Fragments de philosophie contemporaine de M. Cousin.X.

BUonafede (Appiano), philosophe et publi­ciste italien du dernier siècle. Il naquit à Commachio, dans le duché de Ferrare, en 1716, entra en 1745 dans l’ordre des célestins, fut nommé professeur de théologie à Naples, en 1740, et occupa successivement plusieurs abbayes. Il mou­rut en 1793, général de son ordre. Il céda à l’in­fluence des idées du xvme siècle, dont on retrouve les qualités et les défauts dans les ouvrages sui­vants, remarquables d’ailleurs par l’originalité du style : Istoria critica e filosofica del suicido, in-8, Lucques, 1761 ; Istoria délia indole di ogni filosofia, 7 vol. in-8, Lucques, 1772, Venise, 1783 : c’est, sans contredit, le meilleur et le plus estimé de ses ouvrages ; délia Restaurazione d’ogni füosofia ne’secoli xvi, xvii e xvm, 3 vol. in-8, Venise, 1789. Les idées de Buonafede sur le droit naturel et public ont été exposées dans deux ouvrages à part : delle Conquiste celebri esaminate col naturale diritto delle genti, in-8, Lucques, 1763 ; Storia critica del moaerno dirit­to di natura e delle genti ; in-8 ; Pérouse, 1789. Dans un écrit intitulé : Ritratti poetici, storici e critici di varj moderni uomini di lettere, il imite avec assez de bonheur la manière satirique de Lucien. Enfin il est aussi l’auteur d’un recueil de comédies philosophiques : Saggio di commcdie fdosofiche, in-4, Faenza, 1754, publié sous le nom de Agatopisto Cromaziano.

BURIDAN (Jean), l’un des plus célèbres et des plus habiles défenseurs du nominalisme. On ne connaît ni l’époque précise de sa naissance m celle de sa mort ; mais on sait qu’il naquit à Béthune, qu’il suivit les leçons d’Occam, dont plus tard il enseigna les doctrines avec un im­mense succès ; qu’en 1327 il était recteur de l’Université de Paris, et qu’en 1358 il vivait encore, âgé de pius de soixante ans. Nous n’hésitons pas à regarder comme une fable la tradition suivant laquelle Buridan, après avoir cédé aux séductions de Jeanne de Navarre, femme de Philippe leBel^ aurait échappé comme par miracle à la mort qui l’attendait au sortir du lit de cette princesse : car c’est par ce moyen, dit-on, que la reine adul­tère achetait le silence de ses complices. Jeanne de Navarre est morte en 1304 à un âge assez avancé, et cinquante-quatre ans plus tard nous trouvons Buridan encore plein de vie. On a dit aussi qu’obligé de fuir les persécutions exercées contre son parti, c’est-à-dire contre les nominalistes, il se réfugia en Autriche, et qu’il y fonda une école devenue le berceau de l’Université de Vienne. La date qu’on assigne à cet événement est 1356 : or on sait que l’Université de Vienne fut fondée en 1237 par l’empereur Frédéric II. Quant aux prétendues persécutions dont il fut l’objet, elles commencèrent longtemps après sa moi’t, quand une ordonnance royale, signée par Louis XI, proscrivit ses œuvres avec toutes celles où le nominalisme se trouvait enseigné.

Dans un temps où la philosophie et la théologie étaient presque entièrement confondues, il y a cela de remarquable dans Buridan, qu’il a évité avec précaution toutes les questions théologiques

Ilse bornait, dans son enseignement comme dans ses écrits, à expliquer les œuvres les plus importantes d’Aristote sur la logique, la méta­physique, la morale et la politique. Or on sait qu’à cette époque on ne connaissait pas d’autre manière de cultiver la philosophie que de com­menter les écrits du Stagirite. En logique, il s’est appliqué surtout à rassembler un certain nombre de règles à l’aide desquelles on devait trouver des termes moyens pour toute espèce de syllo­gisme. C’était recommencer le grand art de Raymond Lulle, et réduire la pensée à une opé­ration presque mécanique, qu’on a nommée par dérision le^oni aux ânes. En morale il penche visiblement au fatalisme ; mais la manière dont il pose le problème de la liberté, les objections qu’il élève contre cette faculté, quoique sans force en elles-mêmes, témoignent d’une dia­lectique habile, d’une intelligence très-exercée aux discussions philosophiques, et contiennent en erme tout ce qu’on a écrit plus tard en faveur e la même cause. Selon Buridan, toute la ques­tion se réduit à savoir si, placé entre deux motifs opposés, nous pouvons nous décider indifférem­ment pour l’un ou pour l’autre. Sommes-nous privés de ce pouvoir ; adieu la liberté ! Si, au contraire, nous l’avons, l’action elle-même devient impossible, car elle est sans raison et sans but. Comment, en effet, choisir entre deux partis pour lesquels nous éprouvons une égale indifférence ? Que si l’on prétend que notre volonté incline naturellement et nécessairement vers le sou­verain bien, mais que nous avons toujours le choix des moyens, la situation n’aura pas changé ; car il nous faut une raison pour nous arrêter à un moyen plutôt qu’à un autre. S’il est néces­saire que cette raison l’emporte, nous ne sommes pas libres. Dans le cas contraire, notre déter­mination est sans motif et sans règle ; elle échappe à toutes les lois de la raison, ce qui est également incompatible aves l’idée que nous nous faisons de la liberté (in Ethicam Nicomachi, lib. III, quæst. 1). Il ne pensait pas que la liberté puisse consister à choisir le mal, quand nous avons devant nous les moyens de faire le bien, à agir d’une manière déraisonnable quand Dieu nous a donné la raison, et enfin à nous montrer moins parfaits que nous ne le serions sans elle. Il faisait consister le libre arbitre dans la seule faculté de suspendre nos résolutions el de les soumettre à un examen plus approfondi. Quand nous donnons au mal la préférence sur le bien, c’est que notre esprit est troublé ou dans l’ignorance ; c’est que nous mettons l’un à la place de l’autre (ubi supra, quæst. 3, 4, sqq.).

Quant à l’argument auquel Buridan a donné son nom, et qui nous montre un âne mourant de faim entre deux mesures d’avoine également éloignées de lui, ou mourant de faim et de soif entre une mesure d’avoine et un seau d’eau, dans l’instant où ces deux appétits le sollicitent en sens contraire avec une force égale, on le cher­cherait vainement dans les écrits du célèbre nominaliste, et il n’est pas facile de dire quel en pouvait être l’usage ; car Buridan s’occupe de la liberté des hommes et non de celle des ani­maux, que personne ne songeait à défendre. Nous I admettrons volontiers avec Tennemann (Histoire de la philosophie, t. VIII, 2° part.) que cet ar­gument célèbre était plutôt un moyen imaginé par ses adversaires pour tourner en ridicule son opinion sur la liberte d’indifférence.

Voici les titres des ouvrages de Buridan : Summula de dialectica, in-f0, Paris, 1487 ; Compen­dium logica’, in f°, Venise, 1489 ; Qucvstiones in X libros Ethicorum Aristotelis, in-fu ; Paris, 1489 ;