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individus semblables au père et à la mère par la réunion de molécules semblables à toutes les parties du corps. Le nouvel individu est mâle ou femelle, selon que l’apport de molécules pro­venant du père ou de la mère est plus considéble. Buffon croyait voir ces molécules organiques dans les animaux infusoires ou spermatiques dont il méconnaissait la nature. Il admettait même, malgré les expériences de Rédi, la génération spontanée par l’union de ces molécules qui, douées d’activité, se rapprochaient et donnaient naissance, à l’état libre, à des êtres inférieurs, champignons ou vers ae terre, et même dans l’intérieur des corps vivants, aux parasites.

Hommes et animaux se forment de même, mais Buffon établit entre eux une différence qui rap­pelle, sans en avoir au moins la clarté, l’hypothèse cartésienne des animaux-machines. Descartes re­fusait aux bêtes, non pas la vie, puisque la vie, même dans l’homme, n’était pour lui qu’un mé­canisme, mais l’intelligence et jusqu’à la sensi­bilité. Il expliquait la production de leurs actes, si semblables aux nôtres en apparence, par le j eu des esprits animaux dans les nerfs et le cerveau. Buffon accorde aux bêtes, outre la vie. la sensi­bilité, des passions, une sorte de mémoire, en un mot un certain degré d’intelligence, mais le tout procédant de la même matière, et il remplace le jeu des esprits animaux par celui de ce qu’il ap­pelle les ébranlements organiques. Pour l’homme, il pense ; la pensée est la seule forme de l’âme indivisible, immatérielle. Voilà un pur souvenir de Descartes. Mais, sans contester ce spiritualisme tout cartésien de Buffon, il faut reconnaître qu’il n’est pas toujours, ni très-conséquent, ni trèsintelligible ; que, tout en admettant la doctrine de Descartes sur l’âme et en reproduisant ses paroles, Buffon subit également l’influence de Locke et des tendances générales du xviii" siècle. C’est par la contrariété de ces deux influences que s’explique cette singulière distinction de deux mémoires, de deux sensibilités, de deux intelligences, l’une dérivant de la matière et qui appartient aux bêtes, l’autre de l’esprit et qui est celle de l’homme. Buffon est plus heureux lors­que, s’abandonnant, à la suite de Locke, avec Condillac et Bonnet, au courant qui entraîne tout son siècle, il cherche ce que l’homme doit à ses sens. C’est le meilleur morceau philosophique de Buffon, que celui où il compare les cinq sens comme avait fait Aristote, attribue à chacun sa valeur et donne la palme au toucher dont il fait par excellence le sens de l’homme, tandis que l’odorat est celui du quadrupède et la vue celui de l’oiseau ; où, sans tomber dans les excès d’Helvétius, il montre quels changements ap­portent dans les idées et dans les passions le développement et l’exercice des organes des sens, le climat et la nourriture. Ces pages sont moins brillantes sans doute ; mais bien plus vraies que le monologue si vante du premier homme, œuvre magnifique d’imagination et de style, qui n’a qu’une assez mince valeur philosophique. Cet Adam qui s’éveille n’est plus vivant que la statue de Condillac ou de Ch. Bonnet que parce qu’il est une fiction poétique en même temps que l’instrumènt artificiel d’une trop légère analyse.

Hérault de Séchelles attribue à Buffon ce discours : « J’ai toujours nommé le Créateur, mais il n’y a qu’à ôter ce mot et mettre à la place la puissance de la nature. » Il est difficile de repousser un tel témoignage, mais c’est là une parole bien invraisemblable. On comprendrait plus aisément que Buffon eût dit au contraire : « J’ai toujours nommé la nature, mais il n’y a qu’à ôter ce mot et mettre à la place la puissance de Dieu. » En effet, tout en disant que la nature est un être idéal auquel on a coutume de rap­porter les phénomènes de l’univers, Buffon la fait agir comme agirait un Dieu. Le fait incon­testable et qui ressort de tous les écrits de Buffon, c’est qu’il n’a pas donné de ce mot nature, si souvent employé par lui, une définition constante et précise ; c’est aussi que, s’il a nommé Dieu souvent comme l’auteur de l’univers, la contem­plation assidue de ses œuvres ne paraît pas lui en avoir inspiré un sentiment aussi profond qu’à Linné qui voyait Dieu passer ; Deum sempiter­num, immensum, omniscium omnipotentem expergefectus a tergo transeuntem vidi et obstupui !

Les meilleures éditions de Buffon sont : la première, donnée par Buffon lui-même sous ce titre : Histoire naturelle générale et particulière avec la description du cabinet du roi, Paris, Imprimerie royale, 1749-1789, 36 vol. in-4.Celle de Lamouroux et de Desmarest, Paris, 1824-1830, 40 vol. in-8.

G. Cuvier avait formé le projet de donner luimême une édition des Œuvres de Buffon] ; l’édi­tion de Richard est souvent appelée, mais à tort, édition du baron Cuvier, parce qu’elle contient un supplément de Cuvier sur les oiseaux et quadrupèdes connus depuis Buffon.

On peut consulter :.Vicq d’Azyr, Éloge de Buffon ; —Condorcet, Éloge de Buffon ; G. Cuvier, Article Buffon dans la Biographie uni­verselle de Michaud ; Geoffroy Saint-Hilaire, Étude sur la vie, les ouvrages et les doctrines de Buffon. Paris, 1838, in-8 ; Flourens, Buffon, histoire ae ses travaux et de ses idées, Paris, 1850, in-12 ; Hérault de Séchelles, Voyage a Montbar, Paris, an IX, in-8 ; H. Nadault de Buffon, Correspondance inédite de Buffon, Paris, 1860, 2 vol. in-8.A. L.

BUHLE (J. Gottlieb), né à Brunswick en 1763, professa la philosophie d’abord à Goëttingue, puis à Moscou, et enfin à Brunswick, où il mourut en 1821. Il s’est borné à enseigner et à développer la doctrine de Kant ; mais s’il occupe un rang peu élevé comme penseur, il a rendu à l’histoire de la philosophie de nombreux et d’importants services. Lorsque l’Académie de Goëttingue ar­rêta le projet d’une Histoire encyclopédique des connaissances humaines, ce fut lui qui fut chargé d’écrire l’Histoire de Ici philosophie moderne, depuis le rétablissement des sciences jusqu’à Kant. Son ouvrage parut sous ce titre à Goëttin­gue, en 6 vol. in-8, de 1800 à 1805 ; il a été traduit en français par J.Jourdan, 7 vol. in-8, Paris, 1816. Buhle avait publié précédemment une Histoire de la raison philosophique, 1793, 1 vol. [ouvrage non continué), et un Manuel de l’histoire de la philosophie, avec une Bibliographie de cette science, 8 vol. in-8, 1796-1804 (ail.). VHistoire de la Philosophie moderne de Buhle manque en général de methode et de proportion. Les systèmes y sont exposés dans un ordre arbitraire qui ne permet pas d’en saisir l’enchaînement ; l’auteur ne mesure pas assez, d’après l’importance des doctrines, la place qu’il leur donne dans son livre. C’est ainsi que Bruno occupe plus de cent pages, la Pneumatologie de Ficin cent cinquante-six, Gassendi cent vingt, et Descartes soixante-dix à peine. Malgré ces graves défauts, VHistoire de la philosophie moderne ne laisse pas que d’être éminemment utile par l’exactitude irréprochable et l’abondance des résumés et des extraits qu’on y trouve. Buhle avait aussi entrepris une traduc­tion de Sextus Empiricus, demeurée inachevée, in-8, Lemgo, 1793, et une édition d’Aristote, dont cinq volumes seulement ont paru, Deux-Ponts, 1791-1800. Le premier volume contient plusieurs biographies d’Aristote, une dissertation sur les

Livres acroamatiques