tire la vie, comme le corps tire de ses veines le sang qui le nourrit.
Mais il semble qu’à ce compte les causes secondes ne^sont plus que des apparences, la diversité des êtres une illusion, et la personnalité humaine le rêve de notre orgueil. Il n’en est pas ainsi. L’unité se modifie, elle a ses évolutions qui comportent trois moments. Au premier moment elle comprend en elle les principes de tout ce qui existe, principes qu’on appelle monades pour les âmes, atomes pour les corps ; alors elle est, à vraiment parler, la monade des monades, monas monadum, vel entium entitas, sans être pour cela composée : car ces monades sont toutes identiques, indiscernables, et n’apportent avec elles ni le nombre ni la division ; elles sont dans l’unité primordiale sans individualité, comme les parties de l’espace dans l’espace infini. Cette phase de l’être constitue ce qu’on appelle le minimum. Mais il y a dans cette pure virtualité une puissance de développement, grâce à laquelle ces points indistincts à l’origine commencent à paraître, à se séparer, à se detacher de ce fond obscur et uniforme où la vie est endormie. C’est comme l’être qui s’éveille, et qui revêt des formes différentes sous l’action de la vie. Voilà la région des différences qui ne sont jamais que des différences de degres, des progrès plus ou moins marqués dans l’activité, le cours plus ou moins précipité d’une même essence. Le terme de cette phase d’opposition et de contrariété, c’est la constitution même de l’univers, l’épanouissement complet de l’être, qu’on appellera le maximum. Entre ces deux extrémités il y a un mouvement alternatif qui porte de l’un à l’autre et ramène de la seconde à la première, progresso, regresso, une circulation ascendante et descendante, circolo di ascenso e di descenso. « La naissance, c’est le point central qui se développe ; la vie, c’est la sphère qui se maintient ; la mort, c’est la sphère qui de nouveau se resserre au centre. » Ainsi, l’être est d’abord simple puissance, c’est Dieu réduit et confiné comme dans un germe, puis il devient variété, opposition, contraste ; puis enfin il aboutit à cette autre unité vivante, organique, qui tout à la fois contient toutes les oppositions et les supprime toutes. La mort n’est donc qu’un simple changement, la vie future une métamorphose, qui n’a rien d’effrayant ; car il n’y a place dans l’univers ni pour le ciel ni pour l’enfer. D’ailleurs Dieu est la bonté même ; l’univers ne peut être mauvais, et il est ridicule à nous de le juger, puisque nous n’en voyons qu’une chétive partie, tandis qu’il embrasse l’infinité des espaces, et continue ses progrès dans l’éternité des temps. Tels sont les traits saillants d’une doctrine qui encourt les mêmes reproches que tous les systèmes panthéistes. Ses défauts sont assez visibles ; mais elle n’est point l’œuvre d’un esprit médiocre, et ses erreurs même paraissent dignes de respect, quand on songe comment Giordano Bruno les a exposées. Après deux siècles d’oubli, la postérité lui a rendu justice ; on a cherché, rassemblé et publié ses ouvrages ; on a écrit sa vie, glorifié son nom, et peut-être surfait son mérite. On a découvert qu’il avait prêté quelques idées aux plus grands philosophes. Descartes lui aurait emprunté la méthode du doute raisonné, la substitution de l’évidence à l’autorité, et ses vues sur l’infinité du monde, et sur les tourbillons ; Spinoza lui devrait l’idée d’un Dieu consubstantiel à l’univers, d’une cause immanente, et la distinction de la nature naturante et de la nature naturée ; Leibniz, la théorie des monades, et l’optimisme ; Schelling avoue qu’il a trouvé dans ses ouvrages les rudiments du principe de l’identité des choses et de la pensée, et a écrit son nom en tête d’un de ses livres. La théorie du minimum et du maximum n’a peut-être pas été inutile à Hégel. Ces rapprochements ne doivent pas être pris trop au sérieux ; mais ils prouvent que si Bruno n’a pas laissé un système régulier, il a prodigué les grandes vues ; il avait plus de génie que de méthode.
Les ouvrages de G. Bruno sont très-nombreux, et la liste en serait longue, on la trouvera dans la belle étude de M. Bartholmess. Deux recueils suffisent pour étudier sa doctrine : Opere di Giordano Bruno, publiés par Wagner, Leipzig, 1830, 2 volumes comprenant les ouvrages écrits en italien : Jordani Bruni Nolani scripta, publiés par Græfer, Paris, 1834, et restés incomplets. Sa vie a été racontée par trois écrivains : Debs, Bruni Nolani Vita et pleata, Paris, 1840 ; Bartholmess, Jordano Bruno, Paris, 1847, 2 vol. ; Domenico Berti, Vita di Giordano Bruno, Florence, 1868. Pour l’appréciation de ses doctrines, outre les historiens de la philosophie on consultera : E. Saisset, Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1847 ; T. Vacherot, Histoire critique de l’école d’Alexandrie, Paris, 1851, t. III, p. 189 ; F. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, Paris, 1854, t. I, p. 11.
BRYSON ou DRYSON. Sous ces deux noms on a coutume de désigner un seul et même personnage, un disciple de l’école mégarique, qui passe pour avoir été à son tour le maître de Pyrrhon ; mais il est permis de croire, en s’appuyant sur l’autorité de Diogène Laërce, qu’il y a eu confusion. Selon cet ancien historien de la philosophie, Bryson est un philosophe cynique, originaire de l’Achaïe, et qui a été l’un des maîtres de Cratès (Diogène Laërce, liv. VI, ch. lxxxv). Dryson est le nom d’un fils de Stilpon, l’un des plus grands représentants de l’école de Mégare [id., liv. IX, ch. lxi).
BUCHEZ (Philippe), né en 1796 dans un village belge qui faisait alors partie du département des Ardennes, mort en 1866, homme politique, historien, médecin, théologien et philosophe tout à la fois. Il étudiait la médecine à Paris, dans les premières années de la Restauration, et dès lors se signalait par l’ardeur de ses opinions républicaines : il fondait, avec d’autres amis, la charbonnerie française, prenait part à plusieurs complots, et surtout a l’affaire de Belfort, qui faillit lui être fatale. Revenu à ses études scientifiques, et déjà connu par quelques publications, il adopta pour un moment les doctrines saint-simoniennes, travailla à la rédaction du Producteur, mais se sépara définitivement de l’école, (juand elle entreprit de fonder une religion. Il était profondément attaché au catholicisme, qu’il voulait renouveler en l’associant à la démocratie, à la révolution, et à l’idée d’un progrès indéfini. Cette conception inspira tous ses travaux et tous ses actes : elle domine dans le journal l’Européen qu’il rédigea presque seul de 1831 à 1832 et de 1835 à 1838 ; dans la volumineuse Histoire parlementaire de la Révolution française, qu’il publia de concert avec M. Roux Lavergne ; elle est aussi le trait saillant de ses deux ouvrages philosophiques : Introduction à la science de l’histoire, Paris, 1833 ; Essai d’un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès, Paris, 1840. Devenu le chef d’un petit groupe de publicistes néo-catholiques, il n’en resta pas moins un des membres les plus respectés du parti républicain, persévéra dans son opposition à la monarchie de Juillet, devint après la révolution de 1848 président de l’Assemblee constituante, qu’il défendit faiblement contre l’attentat du 15 mai, rentra dans la vie privée à la chuie