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d’un mauvais système, c’est qu’après avoir invoqué le rôle des organes, des viscères, des nerfs et de l’encéphale pour tout ce gui est relatif aux sensations, Broussais, ar­rive aux phénomènes intellectuels proprement dits, a été obligé de laisser le cerveau dans la passivité de ses ébranlements, de ses stimulations et de faire intervenir, pour tout ce qui a trait aux forces mentales, à l’activité de la pensée, de faire intervenir, dis-je, un principe nouveau, un principe autre que le cerveau, et qu’il a désigné, pour ne pas trop se compromettre, sous le nom d’homme. Il nous reste maintenant à nous ré­sumer en peu de mots sur le système de Brous­sais.

Ce système, nous l’avons vu, est étroitement lié aux systèmes de Cabanis et de Gall. Ceci est tellement vrai, que Broussais s’était d’abord donné comme le continuateur de Cabanis, et. que, vers la fin de sa vie. il a embrassé avec chaleur toutes les idées de Gall. Mais, tout en adoptant ainsi les principes de ces deux physiologistes, il avait voulu entrer plus avant dans l’explication des phénomènes de l’intelligence : Cabanis s’était efforcé de rattacher ces phénomènes au jeu des organes encéphaliques ; Gall avait voulu les loca­liser dans le sein de ces mêmes organes ; Brous­sais a voulu nous dire quel est positivement l’état de la masse cérébrale ou de la portion de cette masse dévolue, selon lui, , à la production de ces mêmes phénomènes.

Ses prédécesseurs n’avaient exigé pour cela qu’un certain développement, une structure ré­gulière de ces parties, Broussais a pensé que cela ne suffisait pas, et de là sa supposition d’un certain état de la fibre nerveuse, état caractérisé, suivant lui, par l’excitation ou la stimulation, c’est-à-dire par le raccourcissement de cette même fibre. Comme en cela Broussais dénonçait un état matériel directement observable, il a suffi d’en appeler aux recherches de tous les anatomistes pour prouver que sa fibre contractile n’existe dans aucune portion du système nerveux, et que, partant, il n’y a pas d’état organique qui puisse offrir les caractères de la stimulation.

Ceci une fois prouvé, tout le système^ tout l’é­chafaudage organique de Broussais, s’écroulait ; il n’en restait plus rien ; et s’il y a quelque chose aujourd’hui qui puisse exciter notre étonnement, c’est que le livre où se trouvent amassées tant de suppositions, tant d’erreurs et de mauvais raisonnements, ait suscité, lors de son apparition, une aussi vive émotion parmi les philosophes et les médecins ; il le devait sans doute à ses for­mes, à cette polémique si ardente, si impétueuse qui en remplit presque toutes les pages. On se demandera peut-être ici d’où venaient cette colère de Broussais, ces attaques si véhémentes. C’est que ses premiers maîtres avaient été remplacés, comme le dit M. Mignet (Éloge de Broussais), par les savants et brillants introducteurs des théories psychologistes et idéalistes, —récemment professées en Écosse et en Allemagne ; c’est que les chefs de cette nouvelle école attiraient autour d’eux la jeunesse par la beauté de leur parole, et qu’ils avaient fondé en France une philo­sophie décidément spiritualiste. Broussais ne pouvait leur pardonner leur succès et l’éclat de leur enseignement : de là la violence de ses at­taques, ces reproches continuels d’ontologie, ces prétendues entités qui reviennent sans cesse sous sa plume.

^ « Ces philosophes, disait-il, sont des rêveurs ; c’est dans un genre particulier de rêverie qu’ils ont découvert cjue le principe de l’intelligence est un être indépendant de l’appareil nerveux ; principe qu’ils ont comparé à un clher, à un gaz, etc. » Broussais a fait souvent parler ainsi ses adversaires, il a même organisé avec eux, dans son livre, des espèces de dialogues ; il les tance, il les gourmande et parfois même les réduit au silence, toujours dans son livre bien entendu. Ici, par exemple, il monte en chaire et se met à prouver sérieusement qu’un gaz, qui est un corps inerte {sic) et qui n’a jamais donné de marque d’intelligence, ne peut produire des opérations in­tellectuelles, ou les faire exécuter au système nerveux.

Ce n’était pas là cependant caque prétendaient les adversaires de Broussais : ils avaient reconnu que la science des phénomènes intellectuels doit avoir ses véritables fondements dans l’otservation ; mais qu’il y a différentes voies, différents modes d’observation. Puisqu’il y a deux ordres de faits également certains relatifs à l’homme, l’histoire de l’homme est double, disaient-ils ; ce serait en vain que les naturalistes prétendraient la faire complète avec les seuls faits du domaine des sens, et les philosophes avec les seuls faits de conscience ; ces deux ordres de faits ne pour­ront jamais se confondre.

Rien de plus conciliant que ces prétentions ; eh bien, Broussais. qui vient lui-même de citer ces paroles, n’en va pas moins répéter qu’on veut dépouiller les médecins de ce qui leur appartient véritablement ; que les psychologues : n’ont rien à faire ici. « Il n’a qu’un regret, dit-il, c’est que les médecins qui cultivent la physiologie ne ré­clament qu’à demi-voix la science des facultés intellectuelles, et que des hommes qui n’ont point fait une étude spéciale des fonctions, veu­lent s’approprier cette science sous le nom de psychologie. » (De l’irritation et de la Folie, t. II, p. 10.)

Cinq ou six mois avant sa mort, Broussais avait cru devoir consigner sur un carré de papier, déposé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale, quelques réflexions portant pour suscription : Développement de mon opinion et expression de ma foi. Nous nous sommes fait représenter cette pièce, qui ne porte ni date ni signature, et, après l’avoir lue, nous nous sommes demandé ce qui a pu engager Broussais à écrire cette es­pèce de testament philosophique. Était-ce dans l’intention d’imiter Cabanis, qui, après avoir professé pendant toute sa vie que l’âme est une sécrétion du cerveau, a fini, dans sa lettre à M. Fauriel. par déclarer que, de toute nécessité, il faut admettre un principe immatériel ? ou bien était-ce, comme le pretend M. Montègre, pour répondre aux lettres que de toutes parts on lui adressait sur l’étendue de sa foi ?

Quoi qu’il en soit, et bien que Broussais, dans cette pièce, se déclare déiste, ses opinions sont à peu près les mêmes que celles qu’on trouve dans le traité De l’irritation el de la folie ; seulement il veut bien reconnaître qu’une intel­ligence a tout coordonné dans l’univers : ajoutons qu’il n’en peut conclure qu’elle ait créé quelque chose.

Quant à Y âme, il ne fait aucune concession ; il reste bien convaincu que Yâme est un cerveau agissant et rien de plus ; et quelles sont les raisons qui l’ont engagé à persister dans cette opinion ? les voici telles qu’il les a rappelées dans cette expression de sa foi :

Des que je sus, dit-il, par la chirurgie, que du pus accumulé à la surface du cerveau détruit nos facultés, el que l’évacuation de ce pus leur permet de reparaître, je ne fus plus maître de les concevoir autrement que comme des actes d’un cerveau vivant !

On ne voit pas trop pourquoi Broussais avait réservé cette pièce pour ses amis, pour ses seuls '(unis (