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résultat de Y Apodictique transcendantale est appelé par Buhle un spinozisme négatif. Il ne le juge guère plus avantageusement sous le rapport logique, puisqu’il ne le croit pas plus fort contre le scepticisme que le système de Kant et de Fichte. De nos jours, M. H. Fichte n’y voit qu’une hypothèse, une sorte de dogmatisme ré­trograde, déjà mis justement à l’écart par Kant et par G. Fichte. Un autre historien contemporain de la philosophie allemande ne trouve de neuf dans Bouterweck que le mot de virtualité, qui ne lui paraît pas d’un heureux emploi. Ces juge­ments, le dernier surtout, sont un peu sévères. Revenons à l’analyse de la troisième partie de

  • Apodictique.

La volonté ne peut être conçue que par le principe de la liberté ; celui qui veut quelque chose doit pouvoir aussi ne pas le vouloir. Mais au-dessus de la liberté, se conçoit· la force vi­vante qui en est le fondement. Le moi idéal qui s’évanouit, aux yeux de la philosophie théorique, dans l’Être infini, prend, dans la philosophie pratique, le caractère d’une réalité individuelle. L’unilé des points de vue théorique et pratique résulte de ce que la réalité pratique de l’individu doit être reconnue par un seul et même jugement absolu, en même temps que la réalité absolue en général. La réalité et l’individualité se réunissent donc, au moyen de la faculté absolue de con­naître. en une réalité unique, qui n’est que la réalite pratique en général, c’est-à-dire réalité par puissance et résistance ; c’est cette réalité que Bouterweck appelle virtualité. La virtualité est donc l’unité absolue de forces contraires et qui n’existent, ou du moins ne s’exercent, qu’à cause de leur opposition mutuelle. La virtualité est le fondement réel de toute Y Apodictique. En sorte qu’on pourrait très-bien appeler ce système du nom propre de virtualisme. Le moi n’est que par la virtualité ; c’est une force relative qui s’appuie sur la force absolue, et n’existe qu’en elle. 11 ne constitue pas l’opposition ou la résistance, comme le pense Fichte, mais il coexiste avec elle et la suppose.

Suivant Y Apodictique, il n’y a pas une raison pratique opposée à la raison theorique ; il n’y a qu’une laculté absolue de connaître, qui ne contient ni intuition sensible, ni concept logique, mais la pensée théorique pure de l’être, de la réalité, et la pensée pratique pure de la puis­sance et de la résistance, ou de la virtualité, de l’individualité de la personne et de la loi morale. Cette loi n’est pas un principe primitif, quoique l’entendement lui prête ce caractère. Elle n’est d’abord qu’un sentiment, et agit comme tel. Mais dès qu’une fois l’entendement a développé la matière de ce sentiment, les deux idées morales pures, celles de droit et de devoir, se révèlent à lui. Le droit est la liberté en présence d’ellemême ; le devoir, la liberté en face de la né­cessité. Ce sont deux corrélatifs inséparables, qui résultent tous deux d’une loi morale, la­quelle n’est, par conséquent, ni celle de droit, ni celle de devoir, mais la loi pure de la moralité en général.

Les conséquences métaphysiques de YApodictique relativement à l’àme, au monde et à Dieu, sont les suivantes : 1° Notre savoir se fonde sur notre existence subjective dans une réalité infinie. Dès qu’une fois nous existons, et à titre d’êtres libres et vivants surtout, nous n’avons plus aucune raison de penser que nous puissions cesser d’être à la mort du corps. Étant une partie constitutive de la réalité infinie, nous pouvons espérer une existence subjective éter­nelle. 2° Le monde, l’univers, est l’ensemble des choses. Il peut être conçu de deux manières : ou comme monde sensible, le monde des corps ; ou comme monde insensible, le monde des mondes, celui des choses en soi. Tous deux sont donc, comme mondes, l’ensemble de tout ce qui est. Mais il y a une réalité absolue, qui n’est composée ni d’atomes ni de monades, qui est virtualité, c’est-à-dire qui résulte incessamment de l’action et de la réaction de principes profon­dément inconnus à tous les mortels. En d’autres termes, la philosophie n’a pas de chapitre pour le monde, la cosmologie n’est pas une science possible. 3° Pour ce qui est de la Divinité, toute la tâche de la philosophie consiste purement et simplement à rectifier les fausses idées que se fait l’homme de l’Être infini. Dieu n’est pas un être qu’on se puisse représenter. Et si l’on s’entend soi-même en parlant de Dieu, on ne peut le con­cevoir que comme la réalité infinie, principe de tout ce qui est fini.

Dans son dernier ouvrage, la Religion de la raison, Bouterweck a modifié le système que nous venons d’esquisser. Il essaye d’abord de montrer que, dès qu’une fois la réflexion a mis en regard l’une de l’autre la représentation et la chose représentée (l’idée et son objet), le doute concernant la réalité de la chose représentée est inévitable. En vain l’on prétend sortir de la re­présentation, s’élever au-dessus d’elle, atteindre la chose même ; il y a là contradiction. « Lorsque je crois atteindre la chose, dit-il, je ne saisis encore que la représentation que j’en ai, repré­sentation qui est l’intermédiaire entre la chose et moi. » C’est l’ancienne proposition si connue de G. Fichte, que « la conscience, dans tout savoir, dans toute représentation, ne connaît immédiatement que son état propre. » En vain l’on voudrait regarder comme ayant une valeur objective les conceptions qui sont accompagnées du sentiment de la nécessité ; même dans ce cas, nous ne franchissons pas les limites de notre conscience. La vérité est toujours ce que nous devons nous représenter d’une certaine manière, par cela seul que nous sommes hommes (p. 73). De là une sorte de scepticisme absolu, fruit de la réflexion, mais auquel Bouterweck oppose la foi, dans le sens le plus large du mot, entendant par là une confiance immediate à notre savoir. La foi, dit-il, est l’état de l’esprit, dans lequel le doute est, ou entièrement anéanti, ou du moins partiellement dissipé par Yadhésion de l’esprit à une représentation déterminée (p. 77). La foi est le principe de tout savoir, et le fondement de l’intuition sensible, comme des idées les plus hautes. Sans la foi, l’absolue réalité ne serait toujours qu’une représentation subjectivement nécessaire. La théorie de Bouterweck n’est, comme on voit, qu’une affirmation tendant à rassurer l’esprit contre les résultats de l’analyse du fait de connaître ; mais cette affirmation, qui rappelle aussi la seconde période de la philosophie de G. Fichte, ne nous semble être qu’une fai­blesse et une inconséquence. Aussi voit-on flotter Bouterweck entre la foi et la réflexion, entre le doute et l’affirmation, et toujours il menace de tomber dans la négation. Ainsi placé entre la foi spontanée et primitive de la raison, et les ré­sultats obtenus par la réflexion, trouvant toujours ces deux puissances en lutte, partout Bouterweck décide sentencieusement ou d’autorité, mais sans aucune preuve en faveur de la foi. Cette foi, qui n’est autre chose qu’un instinct, une loi de notre nature, ne prouve donc absolument qu’elle-même.

Bouterweck a laissé un grand nombre d’ou­vrages, entre autres : Aphorismes d’après la doctrine de Kant, etc., in-8, Goëttingue, 1793 ;

  • Paulus tSeptimus, ou le Dernier mystère du prêtre d’Éleusis, in-8, 2 parties, Halle 1795 (