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le grand Kâçyapa) : « Prends le kia-li (habit ecclesiastique a broderies d’or), je te le remets pour que tu le conserves jusqu’à ce que Yaccompli se montre comme Bouddha, plein de compassion pour le monde ; ne permets pas qu’il le gâte ou qu’il le détruise. » Le disciple ayant entendu ces paroles, se prosterna aux pieds de son maître, la face contre terre, en disant : « 0 très-excellent maître ! j’obéirai à tes ordres bienveillants. »

Bouddha se rendit dans une grande assemblée, où, après avoir exposé de nouveau sa doctrine, il dit : « Tout m’attriste, et je désire entrer dans le Nirvâna, c’est-à-dire dzxisY existence dépouillée de tout attribut corporel, et considérée comme la suprême et éternelle béatitude. » 11 alla ensuite sur le bord d’une rivière où, après s’être couché sur le côté droit, et avoir étendu ses pieds entre deux arbres, il expira. « Il se releva ensuite de son cercueil, ajoute la légende, pour enseigner les doctrines qu’il n’avait pas encore transmises. »

Il est difficile, dans l’etat actuel de nos con­naissances, de savoir avec exactitude quelle fut la véritable doctrine que Bouddha enseigna à ses disciples, et que ceux-ci transmirent à la postérité dans des écrits que l’on croit subsister encore parmi les livres sanskrits, si nombreux, conservés au Népâl, et dont on possède main­tenant en Europe plusieurs copies. Cependant, on peut déjà conjecturer, par l’examen de divers écrits bouddhiques, ainsi que par la forme et le développement de ces écrits chez les diffé­rents peuples de l’Asie où le bouddhisme a pénétre (en Chine, dans le Thibet et dans la Mongolie), que la partie philosophique de cette doctrine a suivi, comme la partie religieuse sans doute, une marche progressive, et qu’elle n’est plus dans les écrits modernes, ce qu’elle était dans ceux du fondateur ou de ses disciples im­médiats. D ins les écrits de ces derniers, tous les principes que les écrivains bouddhiques posté­rieurs ont portés jusqu’aux plus extrêmes limites de la subtilité, c’est-à-dire jusqu’à l’extrava­gance (comme dans la distinction de dix-huit espèces de vides), n’existent quelquefois qu’en germe dans les écrits des fondateurs de la doc­trine. Il en est résulté que des interprétations diverses ont pu être données au même texte ; de là plusieurs écoles qui ont eu cbac"iî“’ « η » chef. Colebrooke (Philosophie des Hinâôiiè, lîaduct. lranç. de l’auteur de cet article, p. 222) en distingue quatre, dont il expose les principes fondamentaux.

  1. Quelques-uns soutiennent que tout est vide (sarva soûnya), suivant, à ce qu’il parait, une interprétation littérale aes soûlras ou axiomes de Bouddha. Cette école est considérée comme tenant le milieu (mâdhyamika) entre toutes celles qui sont nées de l’interprétation philoso­phique de la doctrine primitive.
  2. D’autres bouddhistes exceptent du vide universel la sensation interne ou l’intelligence qui perçoit (vidjnâna), et soutiennent que tout le reste est vide. Ils maintiennent seulement l’existence éternelledu sens qui donne la con­science des choses. On les nomme Yôgâtchâras, livrés ou adonnés à l’abstraction.
  3. D’autres, au contraire, affirment l’existence réelle des objets externes, non moins que celle des sensations internes ; considérant les objets externes comme perçus par les sens, et les sen­sations internes, la pensée, comme induites par le raisonnement.
  4. Quelques autres enfin reconnaissent la per­ception immédiate des objets extérieurs, d’autres une conception médiate de ces mêmes objets par le moyen d’images ou formes ressemblantes présentées à l’intelligence ; les objets, disentils^ sont induits, mais non effectivement ou im­médiatement perçus. De là deux autres branches de la secte de Bouddha, dont l’une s’attache littéralement aux Soûtras, l’autre aux commen­taires de ces Soûtras. Mais comme ces deux dernières branches ont un grand nombre de principes communs, elles sont généralement con­fondues et considérées comme une seule secte dans les controverses soutenues avec leurs ad­versaires.

Les différentes écoles bouddhiques établis­sent deux grandes divisions de tous les êtres. La première comprenant tous les êtres exter­nes, et la seconde tous les êtres internes. A la première appartiennent les éléments (bhoûta), et tout ce qui en est formé (bhautika) ; à la seconde appartient la pensée ou l’intelligence (tchitta), et tout ce qui en dépend (tchaitta). Ces écoles reconnaissent quatre éléments à l’état d’atomes. Ce sont la terre, Yeau, le feu et l’air. Les atomes terreux sont durs ; les aqueux, li­quides ; les ignés, chauds ; les aériens, mobiles. Les agrégats de ces atomes partagent ces carac­tères distincts. Ces différentes écoles soutiennent l’agrégation atomique indéfinie, regardant les substances composées comme étant des atomes primordiaux conjoints ou agrégés.

Les bouddhistes ne reconnaissent pas Yélément éthéré (âkasa), admis dans presque tous les autres systèmes philosophiques de l’Inde, ni une âme individuelle vivante et distincte de l’intelligence ou phénomène de la pensée, ni aucune substance irréductible aux quatre éléments ci-dessus men­tionnés.

Les corps qui sont les objets des sens sont des agrégats d’atomes, étant composés de la terre et des autres éléments. L’intelligence, qui habite dans le corps, et qui possède la conscience indi­viduelle, perçoit les objets et subsiste comme étant elle-même ; et sous ce point de vue seu­lement elle est elle-même ou âme (âtman).

Quelques bouddhistes prétendent que les agré­gats, ou les corps composes des éléments primitifs, ne sont perçus par les organes des sens (qui sont pareillement des composes atomiques) qu’à l’aide des images ou des représentations de ces objets extérieurs : ce sont les Saâtruntikas ou adhé­rants stricts aux axiomes de Bouddha. D’autres i^oüiUlssent la perception directe des objets extérieurs : ce sont les Vaibhâchikas ou adhé­rents aux Commentaires. L’une et l’autre de ces sectes pensent que les objets cessent d’exister dès l’instant qu’ils ne sont plus perçus : ils n’ont qu’une courte durée, comme la lueur d’un éclair, n’existant pas plus longtemps que la perception qui les fait connaître. Alors leur identité n’est que momentanée : les atomes ou les parties com­posantes sont dispersées, et l’agrégation était seulement instantanée.

C’est cette doctrine qui a porté les adversaires philosophiques des bouddhistes à les désigner comme soutenant que toutes choses sont sujettes à périr ou à se dissoudre (Poûrna ou Sarvavaînâsikas).

Voilà pour le monde extérieur, ou pour la première division ontologique. Quant au monde intérieur, c’est-à-dire Yintelligcnce et tout ce qui lui appartient, qui est la seconde division onto­logique, elle consiste en cinq catégories, qui sont :

1° La catégorie des formes, comprenant les organes des sens et leurs objets considérés dans leurs rapports avec la personne, ou la faculté sensible et intelligente qui est impressionnée par eux. Les couleurs et les qualités sensibles, ainsi que tous les corps perceptibles, sont externes, et comme tels, ils sont classés sous la seconde série de