Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

foi catholique n’a point réglées, et ne tombe jamais dans la funeste contradiction de ceux qui rendent d’abord l’esprit humain incapable de comprendre et de croire, pour lui imposer en­suite la foi à un dogme révélé. Le scepticisme philosophique de Huet, qui ne fut connu tout en­tier qu’après sa mort, par la publication d’un ouvrage posthume, fut pour lui un objet de dou­leur et de scandale, parce qu’il n’admettait pas de scepticisme philosophique qui ne fût néces­sairement suivi du scepticisme religieux. Il par­tageait sur tous ces points la doctrine de Des­cartes et d’Arnaud ; et s’il y trouve quelque chose à blâmer, c’est l’excès des scrupules que Des­cartes faisait paraître. Sa doctrine, qui est celle de l’école, peut se résumer par ce mot de saint Augustin, qui dit en parlant de la raison : Et omnibus communis est, et singulis casta est.

Pour bien apprécier l’opinion de Bossuet sur le libre arbitre et la grâce, il faut distinguer les faits eux-mêmes, et l’explication qu’il en a don­née. Bossuet a démontré philosophiquement l’exi­stence de la liberté humaine ; il n’a jamais varié ni vacillé dans cette conviction, et ceux même ui ne reconnaissent aucune influence divine ans la direction des conseils humains, ne sont pas plus que lui fermes et inébranlables dans leur croyance au libre arbitre. En même temps, il admet la grâce, et toute la doctrine de saint Augustin : question difficile et délicate, et dans laquelle la théologie s’avance au delà des limites de la lumière naturelle ; mais si la raison ne va pas jusqu’à établir la nécessité de la grâce pour le salut, elle démontre aisément, par les rela­tions de Dieu avec ses créatures, par la création, par la Providence, elle vérifie et, constate par les faits, la présence intérieure de Dieu conçu comme souverain intelligible et comme principe béatifiant, et ne permet pas plus de nous isoler de Dieu dans notre vie et notre activité, que dans notre être et notre substance. La solution de Malebranche. si habile et si philosophique pour la grâce générale, et si défectueuse pour les grâ­ces spéciales, ne suffisait pas à Bossuet, qui s’at­tachait davantage à l’esprit des Ecritures et ne voyait pas la Providence à travers les nécessités d’un système.

Dans tous ses ouvrages, et en particulier dans un passage célèbre, passage du Mémoire sur la Bibliothèque ecclésiastique de M. Dupin, Bossuet se montre préoccupé de la discipline, de la pra­tique du culte, de la prière, de l’amour de Dieu, et ne consent jamais à sacrifier ni notre dépen­dance ni notre liberté.

Il s’est moins occupé, et avec moins de succès, de la conciliation de ces deux principes en appa­rence opposés. Pourvu qu’il tînt les deux bouts de la chaîne, comme il le dit, il admettait sur la foi de la toute-puissance divine que des liens existaient entre eux, quoiqu’il ne vît pas « le milieu par où l’enchaînement se continuait. » Quant à la théorie de la force motrice, Bossuet va presque aussi loin que Malebranche, et met­tant, comme lui, toutes les forces de la nature dans la main de Dieu, il semble ne point admet­tre de causes secondes dans l’ordre de la physio­logie et de la physique. Cette doctrine aurait pu le conduire aux causes occasionnelles. Il faut no­ter cependant cette différence capitale, que, sui­vant lui, l’homme se détermine spontanément, quoique sous l’influence de la grâce.

Pour qui sait reconnaître toute la force d’un principe et les liens qui unissent les questions diverses, Bossuet est le même quand il juge en­tre l’amour pur et l’amour de Dieu comme objet béatifiant, et quand il prononce entre la philoso­phie et la religion, entre la liberté et la grâce.

Partout il fait sa part au mysticisme en élevant au-dessus le côté raisonnable de la nature hu­maine. Il ne voulait ni livrer l’homme à sa propre intelligence ; ni le courber sous un joug qui ren­drait son intelligence inutile ; ni lui donner cette liberté d’action qui isole ses destinées de celles de l’univers et le rend indifférent à son Dieu ; ni la réduire à la condition des êtres aveugles et sourds qui subissent la loi de la Providence et concourent à ses desseins sans les comprendre. Il ne voulait pas enfin laisser le cœur humain s’égarer dans des aspirations vagues, sans règle, sans frein, sans boussole, ni le resserrer dans l’aridité de la pratique et le restreindre à l’a­mour intéressé qui le dégrade et l’avilit. Il a tenu le milieu entre les doctrines qui détruisent la liberté et la raison individuelle, et celles qui les exaltent jusqu’à oublier Dieu ; et c’est pour cela qu’il est toujours dans la vérité.

Il nous reste à ajouter quelques mots sur les ouvrages purement philosophiques de Bossuet, la Connaissance de Dieu et de soi-même et" la Logique. Le premier, publié sous le titre d’in­troduction à la philosophie, se compose de cinq chapitres où l’auteur traite successivement de l’âme, du corps, de l’union de l’âme et du corps, de Dieu, et de l’extrême différence entre l’homme et la bête. L’esprit, la méthode et les principes de Descartes dominent dans cet admirable ou­vrage ; cependant sur la question de la nature des animaux, Bossuet ne se prononce pas ouver­tement en faveur de la philosophie cartésienne et paraît pencher pour l’opinion de saint Thomas, qui accorde aux bêtes une âme sensitive. La Logique, divisée en trois livres, d’après les trois opérations de l’entendement, concevoir, juger, raisonner, expose avec précision et clarté les règles données par les anciens logiciens. Quelques préceptes généraux, placés à la fin de chaque livre, résument la doctrine qui y est développée. Les exemples sont nombreux et choisis avec cet habile discernement qui a tant contribué au succès de la Logique de Port-Royal. C’est bien à tort que l’authenticité de cette Logique a été quelquefois contestée ; la plume du grand écrivain s’y reconnaît à chaque page.

Il existe plusieurs éditions des Œuvres de Bossuet: 20 vol. in-4, Paris, 1743-53 ; 19 vol. in-4, ib., 1772-88 ; 43 vol. in-8, Versailles, 1815-19 ; 43vol. in-8, Besançon, 1828-30; 12 vol. grand in-8, Paris, 1835-37. Les Œuvres philosophiques ont été publiées séparément par MM. Jules Simon, de Lens et Jourdain, 1 vol. in-12.

On peut consulter:Monty, de Politica Bossuetii doctrina, Paris, 1844 ; Bonnel, de la Con­troverse de Bossuet et de Fénelon sur le quiétisme, Paris, 1850 ; Nourrisson, Essai sur la philosophie de Bossuet, Paris, 1852 ; Delondre, Doctrine phi­losophique de Bossuet sur la connaissance de Dieu, Paris, 1855 ; Fr. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, Paris, 1869, t. II, ch. ix ; Datniron, Essai sur l’histoire de la philosophie en France au dix-septième siècle. Paris, 1846, t. II, liv. VII. _J. S.

BOUCHITTÉ (Louis-Firmin-Hervé), écrivain français, né à Paris en 1795, se destina d’abord à l’élat ecclésiastique; mais il quitta le séminaire pour entrer à l’École normale. 11 en sortit en 1817 et professa les lettres et l’histoire dans deux collèges de province, et fut nommé inspecteur d’Académie en 1845 et recteur d’une Académie départementale en 1849. Il est mort à Versailles en 1866. Quoique son enseignement dût le tenir un peu loin des questions de la philosophie, il y fut toujours attiré par un goût naturel. On lui doit quelques travaux sérieux sur divers points d histoire. Le plus intéressant à coup sûr, c’est le