lacunes et des abîmes, c’est croire que la vie nouvelle ne sera pas reliée à la vie passée, c’est aller contre la loi de continuité. Donc l’homme tout entier, donc notre âme et notre corps doivent survivre à cette vie. La mort, suivant l’expression de Bonnet, est une préparation à une sorte de métamorphose qui doit faire jouir l’homme tout entier d’une vie nouvelle et meilleure. Mais quel est ce corps auquel l’âme doit demeurer attachée dans une autre vie ? Serace le corps actuel diversement modifié, ou bien un corps nouveau ? Selon Bonnet, ce sera un corps nouveau qui existe déjà en germe dans le corps actuel, et que la mort ne fait que dégager et développer. Quel est ce germe et où est-il placé ? Les physiologistes s’accordent, en général, à mettre le siège du sentiment et de la pensée dans le cerveau et plus spécialement dans ce qu’ils appellent le corps calleux. Or, selon Bonnet, le corps calleux ne serait pas l’organe immédiat de l’âme, mais seulement l’enveloppe de cette machine organique nouvelle à laquelle l’âme doit êlre unie dans une vie nouvelle. Cet organe immédiat de l’âme doit être d’une prodigieuse mobilité et d’une nature analogue à celle du feu ou du fluide électrique. A la mort, cette petite machine éthérée n’est nullement atteinte par l’action des causes qui dissolvent le corps actuel. Le moi y demeure attaché et il garde dans son existence nouvelle le souvenir de son existence passée, parce que la machine éthérée, eu communication avec le corps grossier, pendant cette vie, a gardé des traces de ses impressions et de ses déterminations. Alors se développeront des organes nouveaux, en rapport avec le nouveau séjour que l’homme transformé doit aller habiter, abandonnant ici-bas la première place au singe et à l’éléphant. Toutefois, dans cette vie nouvelle, les conditions ne seront pas égales ; les progrès que chaque homme aura laits dans la connaissance et dans la vertu détermineront le point d’où il commencera à se développer et à se perfectionner, en même temps que la place qu’il occupera dans la vie future. D après la loi de continuité, nous ne passons jamais d’un état à un autre sans raison ; l’état qui suit doit avoir sa raison suffisante dans l’état qui l’a précédé ; donc le châtiment et la récompense dans une autre vie sont le résultat d’une loi naturelle et non d’une intervention miraculeuse de Dieu.
Bonnet embrasse aussi, dans ses spéculations, les destinées des animaux qu’il croit appelés également à participer, en un certain degré, à ce perfectionnement qui doit élever indéfiniment l’espèce humaine dans l’échelle des êtres. 11 suppose que l’âme de l’animal, comme l’âme de l’homme, est unie à une petite machine de matière éthérée. Lorsque l’animal sera séparé du corps grossier par la mort, alors se développeront aussi, dans cette petite machine organique, des organes nouveaux qui y étaient contenus en germe dès le jour de la création. Ces organes nouveaux seront en rapport avec le monde transformé, comme ceux du vieil animal étaient en rapport avec le vieux monde. Selon Bonnet, les révolutions du globe coïncident avec les évolutions des espèces vivantes qui l’habitent. Avant la dernière révolution que le globe a subie, les animaux qui l’habitaient étaient bien moins parJaits qu’ils ne le sont aujourd’hui, et nul sous sa forme primitive n’aurait reconnu l’animal qui depuis, en se perfectionnant, est devenu le singe ou l’éléphant. Mais l’animal primitif impartait contenait déjà en germe l’animal plus parfait qui a paru sur le globe à sa dernière révolution. Dieu, en effet, pour accomplir
DICT. PHILOS.
l’œuvre de la création, ne s’est pas mis plusieurs fois à l’ouvrage. Tout ce qui a été, tout ce qui est, tout ce qui sera dans l’univers, découle d’un acte unique de sa volonté toute-puissante. 11 a créé chaque être contenant en lui-même, dès l’origine, le germe de toutes les évolutions, de toutes les métamorphoses qu’il devait accomplir dans la suite des temps. Les âmes unies à des corps se sont développées en même temps que les corps, et les corps se sont développés en mémo temps que les âmes, par suite d’une virtualité déposée en eux par le Créateur. L’animal actuel contient le germe de l’animal futur, de mémo que la chenille contient en elle le germe du papillon, dans lequel elle doit se métamorphoser un jour. Bonnet considère les animaux comme étant encore dans un état d’enfance et il espère qu’en vertu de cette perfectibilité dont ils sont doués, ils s’élèveront un jour jusqu’à l’état d’êtres pensants, jusqu’à la connaissance et l’amour de celui qui est la source de vie. Dans ce grand réve de perfectibilité il comprend les plantes elles-mêmes : il conjecture qu’elles pourront s’élever un jour jusqu’à l’animalité, comme les animaux jusqu’à l’humanité. Ainsi, dans la création, il y a un avancement perpétuel de tous les êtres vers une perfection plus grande. A chaque évolution nouvelle, chaque être s’élève d’un degré, et le dernier terme de la progression, l’être le plus parfait de tous les êtres créés, s’approche d’un degré de plus de la perfection souveraine. « 11 y aura, dit Bonnet, un flux perpétuel de tous les individus de l’humanité vers une plus grande perfection ou un plus grand bonheur, car un degré de perfection acquis conduira par luimême à un autre degré ; et parce que la distance du fini à l’infini est infinie, ils tendront continuellement vers la souveraine perfection, sans jamais y atteindre. »
Voilà, en résumé, les principales hypothèses sur l’état futur de l’homme et des animaux, développées par Charles Bonnet dans sa Palingcnésie philosophique. Il a emprunté à Leibniz les deux idées fondamentales de l’union perpétuelle et indissoluble de l’âme, avec des organes, et du progrès continuel des êtres dans une séné indéfinie d’existences successives. Mais il a donné à ces deux idées des développements qui ne se trouvent pas dans Leibniz, sans s’arrêter là où l’observation refuse tout point d’appui à l’induction et au raisonnement. Dans l’Essai analytique sur les facultés de l’âme, Bonnet refuse de traiter la question du rapport de l’ébranlement de la fibre avec l’idée de la communication de l’âme avec le corps, parce que c’est une question insoluble, un profond mystère que jamais l’intelligence humaine ne pourra éclaircir. Comment n’a-t-il pas reconnu que la plupart des questions qu’il agite dans la Palingénésie étaient de même nature ? Nous ne suivrons donc pas Charles Bonnet dans un monde qui n’est plus celui de la science, et nous nous garderons des brillantes conjectures et des aventureuses hypothèses dans lesquelles s’est égarée son imagination.
Voici la liste des principaux ouvrages de Charles Bonnet : Traité d’Inseclologie, 2 parties in-8, Paris, 1745 ; Recherches sur l’usage des feuilles, in-4, Goëttingue et Leyde, 1754 ; Considérations sur les corps organisés, 2 vol. in-8, Amst. et Paris, 1762 et 1776 ; Contemplation de la Nature, 2 vol. in-8, Amst., 1764 et 1765 ;
- Essai de Psychologie, in-12, Londres, 1754 ;
- Essai analytique sur les facultés de l’âme, in-8, Copenhague, 1760 ; Palingénésie philosophique, 2 vol. in-8, Genève, 1770 ; —Recherches philosophiques sur les preuves du christianisme,