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il y a des fibres de structure diverse pour chaque espèce de sensation : ainsi ce n’est pas la même fibre qui conduit au cerveau l’odeur d’œillet et l’odeur de rose. Un objet quelcon­que venant à faire impression sur l’une de ces libres, un changement survient dans l’âme à l’occasion de ce changement survenu dans la fi­bre. L’objet agit par impulsion sur les fibres ner­veuses ; les fibres sont ébranlées et communi­quent au cerveau leur ébranlement. Mais l’âme n’est pas bornée à sentir par le ministère des sens ; elle a encore le souvenir de ce qu’elle a senti, et voici comment Bonnet prétend expli­quer la condition organique de la mémoire.

L’état d’une fibre qui a déjà été mue par l’im­pression d’un objet extérieur n’est pas le même que celui d’une fibre qui n’a encore été mue par aucune espèce d’action. Les objets extérieurs meuvent les fibres qui ne peuvent être mues une seule fois sans qu’un changement durable survienne dans leur état. Une fibre déjà mue a contracté une tendance à reproduire le mou­vement déjà imprimé. Cette tendance est un degré de mobilité, de flexibilité plus grand ac­quis par la fibre qui a été mue. Lors donc que le même objet, la même couleur, la même odeur, etc., viendra une seconde fois agir sur cette même fibre, il ne la trouvera pas dans le même état, et, en conséquence, cette seconde impression aura un caractère qui la distinguera de la première. Une fibre qui est ébranlée pour la première fois offre une certaine raideur, une certaine résistance qui est l’indice auquel l’âme reconnaît qu’elle éprouve cette sensation pour la première fois ; mais lorsque le même objet vient une seconde fois agir sur la même fibre, il la trouve plus mobile. Or, c’est le sentiment attaché à cette augmentation de souplesse et de flexibilité de la fibre ébranlée pour la seconde fois qui est la condition de la réminiscence.

Après avoir considéré l’âme comme passive et modifiée par l’action des objets extérieurs, Bonnet la considère comme active. 11 définit l’âme : une force, une puissance, une capacité de produire certains effets. L’âme étant une force, est douée d’une activité qui s’exerce sur ellemême et sur le corps. Ce qui met en jeu l’acti­vité de l’âme, c’est le plaisir et la douleur. Sans le plaisir et la douleur, l’âme demeurerait inac­tive ; Dieu a subordonné l’activité de l’âme à sa sensibilité, sa sensibilité au jeu des fibres, et le jeu des fibres à l’action des objets. Bonnet distingue entre la liberté et la volonté ; il donne le nom de liberté à l’activité de l’âme considérée en elle-même, indépendamment de toute déter­mination et application ; et celui de volonté aux déterminations de l’activité. La volonté est sou­mise à la_ faculté de sentir ou de connaître. Moins un être a de connaissances et moins il a de motifs de vouloir, et, au contraire, plus il a d’idées et plus il a de motifs de vouloir, et plus, en conséquence, il peut déployer de liberte.

Bonnet appelle reflexion la réaction de l’âme contre les objets extérieurs, l’intervention de la volonté dans l’acquisition et la combinaison des idées sensibles. C’est la réflexion qui ? s’appli­quant aux idées sensibles, produit les idées ab­straites et les idées générales, depuis les plus humbles jusqu’aux plus élevées. A mesure que, par le travail de la réflexion, l’abstraction s’é­tend et s’élève, à mesure aussi elle s’éloigne da­vantage des idées sensibles qui en ont été le point de départ. Cependant, quelque éloignées que soient de l’expérience certaines idées ab­straites et générales, elles en dérivent néan­moins comme toutes les autres.

Nos idées les plus abstraites, les plus spiritualisées, suivant l’expression de Bonnet, dérivent des idées sensibles comme de leur source natu­relle. 11 en donne pour exemple l’idée de Dieu, qui est la plus spiritualisée de toutes nos idées et qui cependant tient manifestement aux sens. C’est de la contemplation des faits, de la succes­sion des êtres, que l’esprit déduit la nécessité de cette première cause qu’il nomme Dieu. Des traits de puissance, de bonté, de sagesse qui sont répandus dans le monde, et qui sont trans­mis à l’âme par les sens. Il en est de même, selon lui, de toutes les idées abstraites ou mo­rales sans exception, et toutes ne sont que des espèces d’esquisses des objets sensibles.

Telles sont les principales idées contenues dans VEssai analytique sur les facultés de l’âme et sur la mécanique de ses facultés. Nous ne reprochons pas à Bonnet d’avoir cher­ché à déterminer les conditions organiques de l’exercice de ces facultés, des sens, de la mé­moire, de la réflexion ; mais nous lui reprochons de n’avoir pas reconnu que ces facultés pouvaient être directement étudiées en elles-mêmes par la conscience, et d’avoir ainsi confondu la psy­chologie avec la physiologie. Nous nous borne­rons également à signaler cette autre erreur fondamentale de la psychologie de Bonnet, qui consiste à faire dériver toutes les idées des sens et du travail de la réflexion sur les données des sens.

Il y a un rapport remarquable entre la psy­chologie de l’Essai analytique et celle de [Pis­sai sur l’entendement humain. Charles Bonnet, comme Locke, reconnaît l’existence de deux sources d’idées, la sensation et la réflexion ; com­me Locke, il fait intervenir l’activité de l’esprit dans la formation de nos idées. Il reproche, non sans raison, à Condillac d’avoir confondu deux faits profondément distincts, sentir et être at­tentif. Mais si, de ce côté^, il se rapproche de Locke, d’un autre il s’en éloigné. Locke, fidèle en général à la vraie méthode psychologique, étudie l’âme avec la conscience et la réflexion ; Bonnet, au contraire, affirme qu’on ne peut sai­sir et étudier l’âme en elle-même, et qu’on n’ob­serve ses divers phénomènes que dans les mou­vements du cerveau et des fibres qui en sont les instruments et les conditions.

Donnons maintenant une idée de sa Palingcnésie philosophique. Palingénésie veut dire re­naissance, résurrection. En effet, dans cet ou­vrage, Bonnet traite exclusivement de la renais­sance, de la résurrection, de l’état futur des hommes et des animaux. Que devient l’homme à la mort ? Quels changements doivent s’opérer dans son àme et dans son corps ? Comment, dans sa condition nouvelle, gardera-t-il le sou­venir de sa condition passée ? Quel sera son nouveau séjour ? Voilà les questions auxquel­les Bonnet a cherché une réponse dans sa Palingénésie. C’est dans cet ordre de questions qu’il s’est inspiré de Leibniz, pour lequel il professe la plus vive admiration. Il proclame, applique et développe cette grande loi de conti­nuité, posée par Leibniz : Rien ne se fait dans la nature par bond et par saccade, tous les êtres se tiennent et s’enchaînent les uns aux autres par des différences presque insensibles. De ce principe il déduit, comme Leibniz, la survi­vance de toutes les âmes et leur union perpé­tuelle à des organes.

L’homme est immortel ; mais, selon Bonnet, son âme ne doit pas cesser d’étre unie à un corps. Croire que l’âme, à la mort, doive se sé­parer tout à coup d’un corps pour exister à l’é­tat d’esprit pur, c’est croire que, dans l’enchaîncmeni des existences les unes aux autres, il y a des