donner l’épithète d’admirable. Ses travaux, aujourd’hui perdus pour nous, paraissent avoir été connus jusqu’au vic siècle, car ils sont cités, à cette époque, par Ammonius (in Categ., fol. 5, a) et David l’Arménien. Ils consistaient en un commentaire sur les Catégories d’Aristote et un ouvrage original, destiné à soutenir la théorie du relatif selon Aristote, contre la doctrine stoïcienne. Le troisième philosophe du nom de Boéthus est un autre péripatéticien, Flavius Boéthus, de Ptolémaïs, disciple d’Alexandre de Damas et contemporain de Galien. Enfin, le quatrième est un épicurien et un géomètre cité par Plutarque, qui en a fait un des interlocuteurs de son Dialogue sur l’oracle de la Pythie.
BOÉTIE (La), né à Sarlat en 1530 et mort en 1563, serait sans doute peu connu, malgré quelques écrits ébauchés pendant le cours d’une vie prématurément terminée et consacrée aux devoirs de la magistrature, si Montaigne ne s’était chargé de recueillir ses travaux, et surtout de rendre son nom immortel en rappelant souvent, et avec des traits qu’on n’oubliera jamais, leur commune amitié. Ce n’est pas à ce titre qu’il mérite une brève mention d.ms ce recueil, et quoiqu’il ait traduit une partie de l’Économique, attribuée à Aristote, et la Mesnagerie de Xénophon, rien n’autorise à penser qu’il ail étudié particulièrement la philosophie ; mais une éloquente déclamation de quelques pages contre la tyrannie lui assure une place parmi les publicistes du xvie siècle. Comment un grave magistrat, toujours soumis au pouvoir et d’opinion très-modérée, fut-il conduit à écrire cette véhémente philippique qu’on appelle le traité de la Servitude volontaire^ ou le Contr’un ? D’Aubigné insinue qu’il obéit a un mouvement d’amourpropre froissé ; Montaigne, qui est un peu confus de la vivacité de son ami, et qui n’ose publier son opuscule, de peur qu’il ne donne des armes « à ceux qui cherchent à troubler et à changer l’estat de notre police, » avance qu’il le composa « dans son enfance, par manière d’exercilation seulement. » De Thou, qu’il vaut peut-être mieux croire en ce point, assure que le spectacle de la ville de Bordeaux en proie aux fureurs du connétable de Montmorency, exécuteur de la vengeance royale, arracha du cœur de I.a Boétie ce cri d’indignation. Quoi qu’il en soit, cette œuvre, pour être courte, n’est pas à dédaigner : l’antiquité y respire, non pas en ses doctrines, mais en ses sentiments et à son langage, également passionnés contre la tyrannie ; et la politique, dégagée de toute théorie, s’y appuie sur le bon sens et la justice. On réduirait facilement ces pages à ces trois idées : l’opposition de la liberté naturelle et de la servitude politique, et le moyen de se débarrasser de celle-ci pour retourner à celle-là. Les hommes sont libres par la volonté de Dieu, « subjects à la raison et serfs de personne. » En cela tous sont égaux, « tous faicts de mesme forme, et comme il semble, à mesme moule, afin de nous entrecognoistre tous pour compaignons, ou plutost frères. ·> La société n’a pas d’autre but que de maintenir cette libre égalité, de resserrer les liens de la fraternité, et de faire « une communion de nos volontés. » Si la nature répartit parfois ses dons d’une manière inégale, ce n’est pas pour envoyer ici-bas les plus forts comme dans une forêt où ils attaqueront les plus faibles ; c’est pour donner lieu à une mutuelle affection, « ayant les uns puissance de donner aide, et les autres besoing d’en recevoir, et ne peut tomber en lTentendement de personne que nature ayt mis aulcuns en servitude, nous ayant tous mis en compaignie. » Voilà le dioit naturel ; mais comme il est en contradiction avec l’état social ! il s’est trouvé des hommes, des « meschants princes » de diverses espèces^ tous intéressés à avilir les peuples, à leur faire perdre l’amour inné de la liberté, à transformer la servitude en une sorte d’habitude qui fait leur sécurité. La Boétie flétrit les tyrans au nom de la justice, au nom de l’histoire, et répète contre eux les imprécations des écrivains de l’antiquité, depuis Platon jusqu’à Cicéron. Il les dépasse en montrant à quel degré d’avilissement descend sous ce régime la nature humaine ; comment les esprits y semblent privés de tout commerce et comme dénués « de ce grand présent de la voix et de la parole, » comment il n’y a plus de ressort à l’activité, plus d’honneur dans les mœurs, et comment enfin le sentiment religieux lui-même est corrompu dans sa source, parce que le tyran prend la religion pour complice, « et se la met devant comme garde corps. » Quant au remède, il n’est pas dilficile à indiquer, et encore moins à employer. Cette servitude qui opprime les citoyens, ce sont eux-mêmes qui l’ont nourrie, fortifiée, et qui la maintiennent. « Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres. » Il n’y faut pas grands efforts ni combats périlleux ; il suffit de consentir à ne pas se donner beaucoup de peine pour s’imposer un maître : « Je ne veulx pas que vous le poulsiez ny l’esbranliez ; mais seulement ne le soubstenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a desrobé la base, de son poids même fondre en bas et se rompre. » Voilà le fond de ce « discours. » Il est difficile de n’y pas reconnaître l’esprit républicain de l’antiquité : on peut sans doute distinguer entre la tyrannie et la royauté, et soutenir que les reproches adressés a l’une sont même une façon détournée de louer l’autre ; mais La Boétie ne paraît pas avoir eu cette arrière-pensée. Aussi les protestants qui rêvaient la république ont-ils fait grand accueil à sa dissertation ; et Montaigne, qui devait en savoir long sur les opinions de son ami, ne permet pas à la critique d’hésiter : « Je ne fays nul doubte, dit-il, qu’il ne creust ce qu’il escrivait ; car il estait assez conscientieux pour ne mentir pas mesme en se jouant ; et say davantage que s’il eust eu à choisir, il eust mieulx aymé estre nay à Venise qu’à Sarlat ; et avecques raison. »
Les œuvres de La Boétie ont été publiées par Montaigne en 1571 ; mais le discours de la Servitude volontaire ne figure pas dans cette édition. Il circula longtemps manuscrit et sans nom d’auteur, et fut imprimé pour la première fois dans un recueil, Mémoires de l’Estat de France, en 1576. Au xvne siècle, c’était un livre rare. Coste l’a inséré dans son édition des Essais de Montaigne, et son exemple a été imité. M. de Lamennais l’a publié à part en 1835. E. C.
BOLINGBROCKE (Henri Saint-Jean, vicomte) fut un des hommes les plus célèbres et les plus influents du xvme siècle. Il naquit en 1672 à Bittersea, près Londres, d’une famille ancienne f-.t considérée. Doué des qualités les plus heux*euses, d’un esprit prompt et facile, d’une imagination vive et féconde, d’une certaine grâce mêlée de fermeté qui savait séduire et subjuguer tout à la fois, il ne résista pas à l’ivresse de ses premiers succès, et sa jeunesse se passa dans tous les genres de dérèglements. Il venait d’atteindre sa vingt-troisième année, quand son père, espérant le ramener à une vie plus sage, obtint de lui qu’il se mariât à une femme non moins distinguée par ses qualités personnelles que par sa fortune et par sa naissance ; mais le remède fut impuissant, et les jeunes époux ne tardèrent pas à se séparer pour toujours. La politique