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position avec elle-même. Or ce qu’il y a de plus parfait, c’est la lumière, et ce qui est en opposition avec la lumière, ce sont les ténèbres. Ces deux principes, ou plutôt ces deux aspects de la nature divine, se divisent à leur tour, et ainsi se distinguent, les unes des autres, les sept essences, ou, comme les appelle Saint-Martin, les Sources-Esprits qui constituent le fonds commun de toute existence finie et de l’univers tout entier.

La première de ces essences, c’est le désir, qui engendre successivement l’âpre, le dur, le froid, l’astringent, en un mot tout ce qui résiste. C’est le désir qui a présidé à la formation des choses et les a fait passer du néant à l’existence.

La seconde, c’est le mouvement ou l’expansion dont résulte la douceur, la force qui a pour attribut de séparer, de diviser, de multiplier, comme le désir de condenser et de réunir. C’est par cette seconde puissance que tous les éléments sont sortis du mysterium magnum, c’est-à-dire du chaos.

La troisième est celle qui donne un but et une direction à l’expansion. Dans le monde physique elle se produit sous forme de l’amertume ; dans le monde moral elle engendre à la fois la sensibilité et la volonté naturelle, c’est-à-dire les instincts, les passions et la vie des sens. Ces trois premières qualités ou essences sont le fondement de ce que Boehm appelle colère ; car, lorsqu’elles ne sont pas tempérées par les qualités suivantes, elles n’engendrent que le mal : elles donnent naissance à la mort, et à l’enfer et à l’éternelle damnation (Aurora, c. xxiii, § 23).

La quatrième, c’est le feu spirituel au sein duquel doit se montrer la lumière ; c’est l’effort, l’énergie qui résulte des trois qualités précédentes, l’énergie de la volonté instinctive et de la vie elle-même. Joignez-y la lumière, c’est-à-dire la sagesse, ce sera l’amour ; mais qu’on la laisse abandonnée à elle-même, elle ne sera qu’un instrument de destruction, un feu dévorant, le feu de la colère.

La cinquième qualité ou essence, c’est la lumière qui change en amour le feu de la colère, la lumière éternelle qui n’a pas eu de commencement et qui n’aura pas de fin, celle qu’on appelle le Fils de Dieu (ubi supra, § 34-40).

La sixième, c’est le son ou la sonoréité, c’est-à-dire l’entendement, l’intelligence finie, qui est comme un écho, un retentissement de la sagesse éternelle et la parole par laquelle elle se révèle dans la nature.

Enfin la septième émane du Saint-Esprit comme les deux précédentes émanent du Fils. Elle est représentée, tantôt comme la forme, comme la figure qui donne à l’existence son dernier caractère (ubi supra, c. xliii), tantôt comme l’Être lui-même, comme la substance au sein de laquelle se combinent entre elles toutes les autres essences ; car de même qu’elles sont sorties de l’unité, elles doivent y rentrer et former dans leur ensemble un seul principe que Boehm, dans son langage alchimique emprunté de Paracelse, appelle souvent du nom de teinture (voy. Aurora, c. xxiii. — Clef et explication de plusieurs points, nos 25-73). Aussi a-t-il soin de nous dire que la destruction de ces sept qualités ou productions premières, quoique nécessaire pour donner aux hommes une idée de la nature éternelle, est en elle-même sans réalité. « De ces sept productions aucune n’est la première et aucune n’est la seconde, la troisième ou la dernière ; mais elles sont toutes sept chacune la première, la seconde, la troisième, la quatrième et la dernière. Cependant je suis obligé de les placer l’une après l’autre, selon le mode et le langage créaturel, autrement tu ne pourrais me comprendre ; car la Divinité est comme une roue, formée de sept roues l’une dans l’autre, où l’on ne voit ni commencement ni fin. » (Aurora, c. xxiii, § 18.)

Au-dessous de la nature éternelle, nous rencontrons la nature visible, ou, comme dirait encore Spinoza, la nature naturée, qui est une émanation et une image de la première. Tout ce que contient celle-ci dans les conditions de l’éternité, l’autre nous le présente sous une forme créaturelle, c’est-à-dire que dans son sein les essences se traduisent en existences et les idées en phénomènes. Les corps qui nous environnent, les éléments et les étoiles, ne sont qu’un écoulement, une effluve, une révélation du monde spirituel, et, malgré leur diversité apparente, ils sont tous sortis du même principe, tous ils participent de la même substance. « Si tu vois une étoile, un animal, une plante ou toute autre créature, garde-toi de penser que le créateur de ces choses habite bien loin, au-dessus des étoiles. Il est dans la créature même. Quand tu regardes la profondeur, et les étoiles, et la terre, alors tu vois ton Dieu, et toi-même tu as en lui l’être et la vie. » (Aurora, c. xxiii, § 3, 4, 6.) Il ne faut donc point prendre à la lettre le dogme de la création ex nihilo ; mais ce néant, ce rien dont on nous apprend que Dieu a tiré tous les êtres, ce n’est pas autre chose que sa propre substance avant d’avoir revêtu aucune forme. Aux yeux de Boehm la nature est le corps de Dieu, un corps qu’il a tiré de lui-même et dont les éléments, les diverses parties ont d’autant plus de durée et de perfection qu’elles sont plus rapprochées de leur centre commun, c’est-à-dire de l’unité. Au contraire, plus elles s’éloignent de ce centre, plus elles sont grossières et fugitives (Signatura rerum, c. vi, § 8).

Si Dieu est la substance commune de tout ce qui existe, il est aussi la substance, ou du moins le principe du mal, et le mal, le démon, l’enfer, sont en lui comme le reste. Boehm ne recule pas devant cette monstrueuse conséquence. « Il est Dieu, dit-il en parlant du premier être, il est le ciel, il est l’enfer, il est le monde (2° Apologie contre Tilken, no 140). Le vrai ciel où Dieu demeure est partout, en tout lieu, ainsi qu’au milieu de la terre. Il comprend l’enfer où le démon demeure et il n’y a rien hors do Dieu. » (Descript. des trois principes, ch. vii, § 21.) En effet, nous avons déjà vu précédemment comment le souverain Être, épris d’amour pour sa propre perfection, se met en opposition avec lui-même : on le conçoit sous deux aspects dont l’un représente la lumière et l’autre les ténèbres. Eh bien, les ténèbres ne sont pas autre chose que le mal, sans lequel il serait impossible, même à l’intelligence divine, de dire, de concevoir et d’aimer le bien. Cependant, il ne faudrait pas seulement regarder le mal comme une pure négation, à savoir l’absence du bien et de la perfection absolue ; il forme aussi une puissance positive, il est la force, l’énergie, la volonté et le désir séparés de la sagesse, il est ce feu de la colère dont nous avons parlé un peu plus haut ; il est aussi l’enfer, car il n’existe point d’angoisse comparable à celle de ce désir séparé de son objet et brûlant dans les ténèbres (Signatura rerum, c. xvi, § 26).

La nécessité du mal est plus évidente encore dans la nature ; car le désir, les obstacles et la souffrance sont les conditions mêmes des biens qui nous arrivent, tant dans l’ordre moral que dans l’ordre physique. S’il n’existait, dit Boehm, aucune contradiction dans la vie, il n’y aurait pas de sensibilité, pas de volonté, pas d’activité, pas d’entendement, pas de science ; car une chose