lain Jean Richter, pasteur de Gorlitz, lequel, croyant la religion gravement compromise par cette production étrange, attira sur Boehm une petite persécution dont le seul résultat fut de l’entretenir dans son fanatisme et d’accroître son Importance. Cependant, soit pour obéir à une défense de l’autorité, soit par l’effet d’une résolution tout à fait libre, Boehm garda le silence jusqu’en 1619. C’est alors seulement que parut son second ouvrage, la Description des vrais principes de l’essence divine, et. tous les autres, à peu près au nombre de trente, suivirent sans interruption. Il n’y a que l’ignorance et la crédulité la plus aveugle qui aient pu prétendre que Boehm ne connaissait pas d’autre livre que la Bible ; il suffit de jeter un coup d’œil sur ses écrits, même le premier, pour y reconnaître à chaque pas le langage et les idées de Paracelse. Il connaissait certainement les écrits de Wagenseil, théosophe et alchimiste de son temps, et il vivait habituellement dans la société de trois médecins pénétrés du même esprit, Balthazar Walther, Cornelius Weissner et Tobias Rober. Ces trois enthousiastes, dont le premier avait voyagé en Orient pour y chercher la sagesse et la pierre philosophale, formèrent autour de notre cordonnier-prophète le noyau d’une secte nouvelle, qui ne tarda pas à compter dans son sem des hommes très-distingués par leur savoir ou par leur naissance. Boehm mourut en 1624, au retour d’un voyage à Dresde, où il avait défendu avec succès, devant une commission de théologiens, l’orthodoxie de ses principes.
Le but que poursuit Boehm dans tous ses écrits, ou plutôt le don qu’il croit avoir obtenu de la faveur divine, c’est la science universelle ou absolue, c’est la connaissance de tous les êtres dans leur essence la plus intime et dans la totalité de leurs rapports. Ce don surnaturel, il le communique à ses lecteurs comme il prétend l’avoir reçu, sans ordre, sans preuves, sans logique, dans un langage inculte, dont l’Apocalypse et l’alchimie font les principaux frais, entremêlé de déclamations fanatiques contre toutes les églises établies et traversé de loin comme par des éclairs de génie qui ouvrent à l’esprit des horizons sans fin. Il repousse les procédés ordinaires de la réflexion pour les autres comme pour lui-même, regardant la grâce, les inspirations du Saint-Esprit comme la source unique de toute vérité et de toute science. Son unique souci est de se mettre d’accord avec PÉcriture ; mais cela n’est pas difficile avec la méthode arbitraire des interprétations symboliques, qui fait sortir des livres saints tout ce qu’on est résolu d’y trouver. Cependant, une fois qu’on a traversé cette grossière enveloppe du mysticisme, on aperçoit dans les ouvrages de Boehm un vaste système de métaphysique dont un panthéisme effréné fait le fond, et qui, par sa construction intérieure, par sa prétention à réunir dans son sein l’universalité des connaissances humaines, ne ressemble pas mal à quelques-unes des doctrines philosophiques de l’Allemagne contemporaine. Nous allons maintenant faire connaître ce système dans ses résultats les plus essentiels et dans un ordre approprié à sa nature.
Dieu est à la fois le principe, la substance et la fin de toutes choses. En créant le monde, il n’a fait autre chose que s’engendrer lui-même, que sortir des ténèbres pour se produire à la lumière, que secouer l’indifférence d’une éternité immobile pour donner carrière à son activité, à son intelligence infinie, et ouvrir en lui toutes les sources de la vie. Il est donc indispensable, pour bien le connaître, de le considérer sous un double aspect : tel qu’il est en lui-même, caché dans les profondeurs de sa propre essence ; et tel qu’il se montre dans la nature ou dans la création.
Dieu, considéré en lui-même en dehors ou audessus de la nature^ est un mystère impénétrable à toutes nos facultés, qui ne peut être défini par aucune qualité ni par aucun attribut. Il n’est ni bon ni méchant, il n’a ni volonté ni désir, ni joie ni douleur, ni haine ni amour. Le bien et le mal, les ténèbres et la lumière sont confondus dans son sein ; il est tout, et en même temps il n’est rien. Il est tout ; car il est l’origine et le principe des choses, dont l’essence se confond avec son essence. Il n’est rien ; car la matière n’existe pas encore, c’est-à-dire qu’il y a absence de vie, de forme, de qualité, de tout ce qui lui donne de la réalité à nos yeux (de Signatura rerum, lib. III, c. ii). C’est cet être sans conscience et sans personnalité, comme nous dirions aujourd’hui, ou, comme dit Boehm, cet abîme sans commencement ni fin, où régnent la nuit, la paix et le silence, qui occupe le rang de Dieu le Père. Dieu le Fils, c’est la lumière qui luit dans les ténèbres ; c’est la volonté divine qui d’indifférente qu’elle était a un objet, mais un objet éternel et infini. Or, l’objet de la volonté divine, c’est cette volonté elle-même se réfléchissant dans son propre sein, ou se reproduisant à sa ressemblance, c’est-à-dire se connaissant par le Verbe, par l’éternelle sagesse. Enfin l’expansion, la manifestation continue de la lumière, l’expression de la sagesse par la volonté, ou, si l’on peut s’exprimer ainsi, l’exercice même des facultés divines, c’est le Saint-Esprit, dont on a raison de dire qu’il procède à la fois du Père et du Fils. Pour mieux nous faire comprendre cette explication du dogme de la Trinité ; Boehm nous engage (Description des trois principes, liv. VII, ch. xxv) à jeter un coup d’œil sur notre propre nature. « Prends une comparaison en toi-même. Ton âme te donne en toi : 1° l’esprit par où tu penses ; cela signifie Dieu le Père ; 2’la lumière qui brille dans ton âme, afin que tu puisses connaître ta puissance et te conduire ; cela signifie Dieu le Fils ; 3° la base affective qui est la puissance de la lumière, l’expansion de la lumière par laquelle tu régis le corps ; cela signifie Dieu PEsprit-Saint. » Tel est Dieu considéré en lui-même et dans sa sainte Trinité, c’est-à-dire dans la totalité infinie de ses perfections, dans la plénitude de son existence et de son amour. Voyons maintenant ce qu’il devient dans la nature.
Selon Jacob Boehm, il y a deux natures, qu’il faut se garder de confondre, quoique toutes deux sortent de la même source : l’une est éternelle, invisible, directement émanée de Dieu, formée par la réunion de toutes les essences qui entrent dans la composition des choses et qui, par la diversité de leurs rapports, donnent naissance à la diversité des êtres : véritable intermédiaire entre Dieu et la création, espèce de démiourgos, d’artisan invisible mis au service de l’éternelle sagesse ; ce que, dans la langue de Spinoza, on appellerait la nature nalurante. L’autre, c’est la nature visible et créée, l’univers proprement dit.
Voici comment du sein de l’unité divine sortent toutes les essences, toutes les qualités fondamentales ou, comme nous dirions aujourd’hui, toutes les forces dont l’ensemble constitue la nature éternelle. Elles existent d’abord confondues et identifiées dans l’essence suprême, c’est-à-dire dans la volonté ou dans la puissance divine, que Boehm nous représente comme Dieu le Père. Mais la volonté divine se regardant à la lumière de l’éternelle sagesse, et se voyant dans sa perfection infinie, conçoit pour elle un amour, ou plutôt un désir irrésistible, par l’effet duquel elle se trouve en quelque sorte divisée en deux et mise en opposition