soumis à l’action des sens ; mais elles sont conçues en dehors de ces objets, et c’est la seule manière dont leur nature et leurs propriétés puissent être comprises. Les genres et les espèces en tant que concepts de l’intelligence, sont formés de la similitude des objets entre eux ; par exemple l’homme, considéré dans les propriétés communes à tous les hommes, constitue l’espèce humaine, l’humanité, et, dans un degré supérieur de généralité, les ressemblances des espèces donnent le genre. Mais ces ressemblances que nous retrouvons dans les espèces et dans les enres, existent avant tout dans les individus ; e sorte que, en réalité, les universaux sont dans les objets, tandis qu’en tant que conçus, ils en sont distincts et séparés. Ainsi donc le particulier et l’universel, l’espèce et le genre ont un seul et même sujet, et k différence consiste en ce que l’universel est pensé en dehors du sujet, le particulier senti dans le sujet même où il existe. »
Telles sont les considérations indiquées par Boëce sur les universaux. Nous n’en ferons point la critique, et nous ne tenterons pas de distinguer les aperçus ingénieux des notions confuses qui s’y rencontrent. Le lecteur verra facilement que toutes les difficultés résultent de l’incertitude où l’on était encore, en partie, sur la véritable nature de l’idée abstraite. Il n’est pas sans intérêt de savoir qu’il a fallu à l’intelligence humaine plusieurs siècles de discussion pour en retrouver la connaissance précise. Boëce, à la suite d’un passage de ses écrits que nous venons d’analyser, ajoute : « Platon pense que les universaux ne sont pas seulement conçus, mais qu’ils sont réellement, et qu’ils existent en dehors des objets. Aristote, au contraire, regarde les incorporels et les universaux comme conçus par l’intelligence, et comme existant dans les objets eux-mêmes. » Boëce, comme Porphyre, renonce à décider entre ces deux philosophes, la question lui paraissant trop difficile : Altioris enim est philosophice, dit-il.
Quoi qu’il en soit, ces lignes constatent qu’à son point de départ, la querelle du réalisme et du nominalisme se présente sous deux faces principales : la face platonicienne et la face aristotélicienne. Non qu’elles s’opposent absolument l’une à l’autre : la doctrine platonicienne, il est vrai, caractérise, à l’exclusion de toute autre, une des formes du réalisme ; mais en dehors d’elle ; dans le cercle même du peripatétisme renouvele par la scolastique, il y eut des réalistes et des nominaux. Ce sont les arguments péripatéticiens pour et contre que Boëce vient de nous faire connaître. La lutte s’est continuée sous les mêmes influences ; toutefois la face platonicienne s’est montrée plus rarement, la face aristotélicienne a rédominé, et cette prédominance devait contriuer à la victoire du nominalisme.
Le livre qui fait le plus d’honneur à Boëce, et dont la forme élégante et le style varié le placent au rang des écrivains les plus distingués de Rome chrétienne, c’est le Traité de la Consolation, en cinq livres, qu’il écrivit dans sa captivité de Pavie. Cet opuscule, composé alternativement de vers et de prose, est l’expression d’une âme éclairée par une saine philosophie qui supporte ses maux avec patience, parce qu’elle a mis son espoir dans une Providence qui ne saurait la tromper. « Ce n’est pas en vain que nous espérons en Dieu, dit-il en terminant, ou que nous lui adressons nos prières ; quand elles partent d’un cœur droit, elles ne sauraient demeurer sans effet. Fuyez donc le vice, et cultivez la vertu ; qu’une juste espérance soutienne votre cœur, et que vos humbles prières s’élèvent jusqu’à l’Éternel ! Il faut marcher dans la voie droite, car vous êtes sous les yeux de celui aux regards duquel rien n’échappe. ·> Ce petit traité a été souvent réimprimé. La meilleure édition est celle de Leyde, cum notis variorum, in-8, 1777. Il a été souvent traduit. La plus ancienne traduction française est attribuée à Jean de Meun, auteur du roman de la Rose, in-f°, Lyon, 1483. Elle passe pour la première traduction du latin en français. La meilleure et la plus complète édition des œuvres de Boëce est celle de Bâle, in-f®, 1570, donnée par H. Loritius Glareanus. Indépendamment des commentaires et des traductions que nous avons indiqués, on y trouve encore des traités d’Arithmétique, de Musique et de Géométrie. L’abbé Gervaise a publié en 1715 une Histoire de Boëce. Voy. Thesis philosophica de Boethii consolationis philosophicœ libro, par M. Barry, Paris, 1832, in-8. H. B.
BŒHM ou BOËHME (Jacob), communément appelé le Philosophe teutonique, un des plus grands représentants du mysticisme moderne et de cette science prétendue surnaturelle que les adeptes ont décorée du nom de théosoptiie. Il naquit, en 1575, dans le Vieux-Seidenbourg, village voisin de Gorlitz, dans la haute Lusace, d’une famille de pauvres paysans qui le laissa, jusqu’à l’âge de dix ans, privé de toute instruction et occupé à garder les bestiaux. Mais déjà alors, si l’on en croit ses biographes^ il se fit remarquer par une vive imagination, a laquelle se joignait la dévotion la plus exaltée. Après avoir été initié, dans l’école de son village, à quelques connaissances très-élémentaires, il fut mis en apprentissage chez un cordonnier de Gorlitz, et il exerça cette profession dans la même ville jusqu’à la fin de sa vie. Mais ce n’était là que le côte matériel de son existence ; dans le monde spirituel, Boehm se voyait, par un effet de la grâce, élevé au comble de toutes les grandeurs. Les querelles religieuses, les subtilités théologiques de son temps, et plus tard l’influence de la philosophie de Paracelse, jointe à son exaltation naturelle, entraînèrent vers le mysticisme sa riche et profonde intelligence. Dès lors, prenant son amour de la méditation pour une vocation d’en haut, et les confuses lueurs de son génie pour une révélation surnaturelle, il ne douta pas qu’il n’eût reçu la mission de devoiler aux hommes des mystères tout à fait inconnus avant lui. bien qu’ils soient exprimés sous une forme symbolique à chaque page de l’Écriture. Boehm nous raconte lui-même qu’avant de se décider à prendre la plume, il a été visité trois fois par la grâce, c’est-à-dire qu’il a eu trois visions séparées l’une de l’autre par de longs intervalles : la première vint le surprendre quand il voyageait en qualité de compagnon ; et n’avait pas encore atteint l’âge de dix-neuf ans. Elle laissa peu de traces dans son esprit, quoiqu’elle eût duré sept jours. La seconde lui fut accordée en 1600, au moment où il venait d’atteindre sa vingt-cinquième année. Il avait les yeux fixés sur un vase d’étain quand il éprouva tout à coup une vive impression, et au même instant il se sentit rav* dans le centre même de la nature invisible ; sa vue intérieure s’éclaircit ; il lui semblait qu’il lisait dans le cœur de chaque créature, et que l’essence de toutes choses était révélée à ses regards. Enfin, dix ans plus tard, il eut la dernière vision, et c’est afin d’en conserver le souvenir qu’il écrivit, sous l’influence même des impressions extraordinaires qui le dominaient, son premier ouvrage intitulé : Aurora ou l'Aube naissante. Ce livre avait déjà fait l’admiration de quelques enthousiastes, amis de l’auteur, quand il fut publié en 1612. Il fut moins gcûté d’un cer-