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à la nature et à la conscience. C’est cet ordre absolu qui est le bien unique et indivisible de tous les êtres. Selon Platon et les philosophes de l’école d’Alexandrie, le bien unique, indivisible, universel, qui se communique, dans une cer­taine mesure, à tous les êtres, se confond avec l’intelligence divine, avec Dieu lui-même, qu’on ne peut séparer de son intelligence. Voilà pour­quoi, dans leurs écrits, Dieu s’appelle le Bien. Mais il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à cette identification pour concevoir le bien dans son universalité et son unité suprême.

L’idée du bien, quand nous jugeo s les actions humaines, ou quand nous voulons leur prescrire une règle commune, étant souvent substituée à l’idée du devoir, il n’est pas sans intérêt de re­chercher jusqu’à quel point cette substitution est légitime ou quel est exactement le rapport des deux idées qui prennent ainsi, dans les ha­bitudes de notre esprit et de notre langage, la place l’une de l’autre.

Le devoir est nécessairement compris dans le bien, mais le bien n’est pas tout entier compris dans le devoir. Celui-ci est moins étendu que celui-là, et les rapports qui existent entre eux peuvent être représentés sous la figure de deux sphères concentriques qui, ayant le même centre, difiereni par leurs circonférences. Qu’est-ce, en effet, que le devoir ? C’est cette loi écrite en nous-mêmes à laquelle un être libre, un être raisonnable ne peut faillir sans se rendre indigne de la raison et de la liberté, par conséquent sans déchoir du rang qui lui est assigné par sa nature, sans encourir son propre mépris et celui de ses semblables. Cela revient à dire que le devoir s’impose à nous absolument, et que celui qui le viole avec intention, se plaçant en dehors ou plutôt au-dessous de l’numanité et de la so­ciété, donne à la société et à l’humanité le droit de le répudier, de le rejeter de leur sein. Il est hors de doute que ce que la raison nous com­mande avec ce caractère d’impérieuse obligation est essentiellement bon. Mais tout ce qui est bon, tout ce qui est conforme aux lois de la raison, tout ce qu’admire et applaudit la conscience mo­rale, ne saurait passer pour obligatoire et être compté au nombre de nos devoirs.

Le bien, même quand on le considère dans les seules limites de l’humanité, est donc plus que le devoir, quoique le devoir soit une des formes du bien. Le devoir, c’est la limite audessous de laquelle il ne nous est pas permis de descendre, sans perdre, dans l’ordre moral, notre qualité d’homme. Le bien, c’est le but le plus élevé que puissent se proposer les efforts réunis de toutes nos facultés ; c’est l’ordre éternel, l’ordre suprême, auquel, par les attributs dis­tinctifs de notre nature, nous sommes appelés à concourir dans la mesure de notre intelligence et de nos forces ; c’est plus qu’une simple loi de notre existence ou une perfection relative, c’est la perfection même, vers laquelle nous portent à la fois la raison et le sentiment, la reflexion et de sublimes instincts, et dont il est en notre pouvoir d’approcher de plus en plus sans l’at­teindre jamais.

11 n’est pas une œuvre philosophique de guelque valeur et de quelque importance ou la question du bien ne soit traitee avec plus ou moins d’étendue. Celles-là mêmes où elle est examinée séparément sont encore trop nom­breuses pour être citées. Nous nous contenterons de rappeler parmi ces dernières celles qui portent les plus grands noms de l’histoire de la phi­losophie : la République de Platon ; la Morale à Nicomaque, la Morale à Eud&nc et la Grande Mo aie d’Aristote ; le de Finibus bonorum et

malorum de Cicéron ; le de Summo bono contra Manichœos de saint Augustin ; le IV* et le V* livre de la Recherche de la Vérité, les Médita­tions chrétiennes, et le Traité de l’amour de Dieu de Malebranche ; la Critique de la raison pratique et la Métaphysique des mœurs de Kant ; Méthode pour arriver à la vie bienheu­reuse de Fichte ; Philosophie du droit de Hé­gel· Cours de Droit naturel el Mélanges philo­sophiques de Jouffroy ; du Vrai, du Beau el du Bien de V. Cousin.

BILFINGER ou BULFFINGER (Georges-Bernard), né le 23 janvier 1693, à Canstadt, dans le Wurtemberg, s’est distingué à la fois comme physicien, comme théologien, comme homme d’ütat et comme philosophe. Il est, sans con­tredit, l’un des esprits les plus remarquables qui soient sortis de l’école de Leibniz, et le petit royaume qui lui donna le jour le compte encore aujourd’hui parmi ses plus grands hommes. Se destinant à l’état ecclésiastique, il entra d’abord au séminaire théologique de Tubingue ; mais les livres de Wolf étant tombés entre ses mains, il en fut tellement charmé, qu’ii se voua entiè­rement à la philosophie leibnizienne. Revenu plus tard à la théologie, il voulut du moins la mettre d’accord avec ses études de pré­dilection. C’est dans ce but qu’il composa son traité intitulé : Dilucidationes philosophicœ de Deo, anima humana, mundo et generalibus rerum affectionibus (in-4, Tubingue, 1725, 1740 et 1768). Cet ouvrage eut un grand succès et fit nommer l’auteur prédicateur du château de Tu­bingue et répétiteur au séminaire de théologie ; mais Bilfinger, éprouvant le besoin d’aller puiser à sa source la doctrine dont il s’était épris, ne tarda pas à se rendre à l’Université de Halle, où Wolf enseignait alors avec beaucoup d’autorité le système de son maître. Il fut nommé ensuite, par l’entremise de Wolf, professeur de logique et de métaphysique à Saint-Pétersbourg. Pendant qu’il occupait ce poste, l’Académie des sciences de Paris mit au concours le fameux problème de la cause de la pesanteur des corps. Bilfinger entra dans la lice et remporta le prix. C’est alors, c’est-à-dire vers 1731, que le duc de Wurtemberg songea à le rappeler comme une des gloires de son pays. Il fut élevé successivement au rang de conseiller privé, de président du consistoire et de secrétaire du grand ordre de la Vénerie. Bilfinger se servit de son crédit pour opérer des réformes utiles dans l’administration des affaires publiques et dans l’organisation des études ; car, aux différentes dignités que nous venons de mentionner, il joignait celle de curateur de l’Université. Il mourut à Stuttgart en 1750. Sans doute Bilfinger n’a rien ajouté, pour le fond, au système qu’il reçut des mains de Leibniz et de Wolf comme le dernier mot de la sagesse hu­maine ; mais il l’a exposé et développé avec une rare intelligence, dans les ouvrages suivants Disputatio de triplici rerum cognitione, his­torica. philosophica et mathematica} in-4, Tu­bingue, 1722 ; Disputatio de harmonia prœstabilita, in-4, Tubingue, 1721 ; Commentatio de harmonia animi et corporis humani, maxime prœstabilita, ex mente Leibnisii, in-8, Francfort-sur-le-Mein, 1723, et Leipzig, 1735 ; Epistolœ amœbeœ Bulfingeri et Hollmanni de har­monia prœstabilita, in-4, 1728 ; Commetitatio philosophica de origine el permissione mali, prœcipue moralis, in-8, Francfort et Leipzig, 1824 ; Prœcepta logica, curante Vellnagel, in-8, léna, 1729. Le plus important de tous ces ou­vrages est celui que nous avons mentionné plus haut : Dilucidationes philosophicœ, etc.

| Nous citerons aussi, quoiqu’ils se rapportent