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aux prémisses ; la conclusion elle-même s’impose par son évidence. Si donc les idées que notre attention rapproche ainsi avec effort naissaient de notre cerveau sans exercice de notre volonté, la conclusion nous en paraîtrait révélée. C’est précisément ce qui arrive aux extatiques : leur cerveau surexcite suscite et rapproche une foule d’idées à la production et à la comparaison desquelles ils ne participent pas : la conclusion leur en tombe dans l’esprit et ils cherchent, ils rêvent une cause qui en explique l’apparition.

Le mérite du docteur Bertrand est, outre une parfaite sincérité, d’avoir, le premier ou l’un des premiers, su tenir un juste milieu vraiment philosophique entre les opinions extrêmes de ceux qui acceptaient sans contrôle le magnétisme animal avec tous ses miracles et de ceux qui rejetaient indistinctement avec le magnétisme les faits, incontestables et naturels quoique étonnants en apparence, du somnambulisme et de l’extase ; mérite d’autant plus grand qu’il avait tout d’abord abondé dans l’erreur. Toutefois on peut lui reprocher encore d’être trop peu sévère dans l’acceptation et dans l’explication de certains faits, même après avoir abjuré le magnétisme. Ces reproches s’adressent en particulier à son second ouvrage ; les excellentes quoique très-courtes considérations que renferme son petit traité de l’Extase donnent peut-être lieu de croire que, s’il eût vu le jour, son grand ouvrage les eût réduits à néant.

A. Bertrand a encore publié des Lettres sur les révolutions du globe, Paris, 1824, in-18, et des Lettres sur la physique, Paris, 1825, 2 vol. in-8, où il a essayé de vulgariser les découvertes de la science. Enfin il a rédigé pendant plusieurs années la partie scientifique du journal le Globe. A. L.

BESSARION (Jean), un de ceux qui ont le plus contribué à répandre en Occident la connaissance des lettres et de la philosophie grecques. Né à Trébizonde en 1389, selon quelques-uns en 1395, il entra d’abord dans l’ordre de Saint-Basile, et passa vingt et un ans dans un monastère du Péloponnèse, occupé de l’étude des lettres, de la théologie et de la philosophie, à laquelle il fut initié par le célèbre Gémiste Pléthon. En 1438, il accompagna en Italie, avec d’autres Grecs de distinction, l’empereur Paléologue se rendant au concile de Ferrare pour opérer la réunion de l’Église grecque et de l’Église latine. S’étant prononcé pour les Latins, et ayant fait prévaloir son opinion dans l’esprit de Paléologue, le pape Eugène IV l’en récompensa en le nommant cardinal-prêtre du titre des Apôtres. Dès lors, soit pour se conformer aux exigences de sa nouvelle dignité, soit pour échapper aux troubles qu’excita dans son pays le projet de réunion arrêté à Ferrare, Bessarion se fixa en Italie, où sa maison devint le centre du mouvement intellectuel qui s’opérait alors en faveur des lettres antiques. Les successeurs d’Eugène IV le traitèrent avec la même faveur. Nicolas Ier le nomma archevêque de Siponto et cardinal-évêque du titre de Sabin. Pie II lui conféra le titre de patriarche de Constantinople. Il remplit successivement différentes missions diplomatiques de la plus haute importance ; deux fois même il faillit être élu souverain pontife. Enfin il mourut à Ravenne, le 19 novembre 1472.

Les écrits philosophiques de Bessarion se rapportent tous à la querelle qui s’éleva de son temps et au milieu de ses compatriotes habitant l’Italie, entre les partisans d’Aristote et de Platon. Gémiste Pléthon, dans un petit écrit sur la Différence de la philosophie de Platon et de celle d’Aristote, avait attaqué ce dernier avec assez de violence. Le chef du Lycée fut défendu par Gennadius et Théodore de Gaza. Bessarion, consulté sur la question, essaya de concilier les deux partis, en montrant que Platon et Aristote ne sont pas aussi divisés qu’on le pense, et qu’il faut les vénérer également comme les deux plus grands génies de l’antiquité. Ce fut alors que George de Trébizonde vint ranimer la dispute, en publiant, sous le titre de Comparaison entre Platon et Aristote (Comparatio Platonis et Aristotelis), une longue et amère diatribe contre Platon. Bessarion publia à cette occasion deux écrits, qui ne servirent pas peu à préparer les voies à une manière plus large d’étudier la philosophie et à une connaissance plus approfondie des monuments originaux : l’un (Epistola ad Mich. Apostolium de Præstantia Platonis præ Aristotele, gr. et lat., dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. III, p. 303) est adressé sous la forme d’une lettre au jeune Apostolius, qui, sans rien entendre au sujet de la discussion, avait écrit contre Aristote un véritable pamphlet ; l’autre, beaucoup plus considérable, est dirigé contre George de Trébizonde, et a pour titre : In calumniatorem Platonis (in-f°, Venise, 1503 et 1516 ; in-f°, Rome, 1469). Bessarion démontre très-bien à son adversaire qu’il n’entend pas les écrits du philosophe contre lequel il se déchaîne avec tant de violence. Mais, quant à sa propre impartialité, il ne faut pas qu’elle nous fasse illusion ; le disciple de l’enthousiaste Gémiste Pléthon ne pouvait pas tenir la balance égale entre les deux princes de la philosophie ancienne. Dans son opinion, Platon est beaucoup plus près de la vérité quand il nous décrit la nature du ciel, celle des éléments et les diverses figures des corps. Que pense-t-il donc de sa théologie et de sa morale ? Il n’hésite pas à les regarder comme parfaitement orthodoxes, et il va même jusqu’à les présenter comme la plus grande preuve qu’on puisse donner de la vérité de la religion, comme le moyen le plus efficace d’y ramener les esprits sceptiques et incrédules. Pour lui, oser attaquer Platon, c’est se révolter contre l’autorité des Pères de l’Église et contre la religion elle-même ; car, ainsi qu’il cherche à le démontrer avec beaucoup d’esprit et d’érudition, tout ce que Platon a enseigné sur la nature divine, sur la création, sur le gouvernement du monde, sur la liberté et la fatalité, sur l’âme humaine, a été consacré par les dogmes du christianisme. On conçoit que de telles opinions, malgré la réserve avec laquelle elles furent exposées, aient pu, non-seulement achever la ruine déjà commencée de la scolastique, mais préparer de loin l’indépendance de la philosophie moderne, en élevant la raison humaine au niveau de la révélation.

Outre les ouvrages que nous venons de mentionner, Bessarion a publié aussi une traduction latine des Memorabilia de Xénophon, Louvain, 1533, in-4 ; de la Métaphysique d’Aristote, avec le fragment attribué à Théophraste, Paris, 1516, in-4 ; et, dans un écrit intitulé : Correctorium interpretationis librorum Platonis de Legibus, il releva les fautes commises par son adversaire George de Trébizonde dans la traduction des Lois de Platon. — Voy. Vacherot, Histoire critique de l’école d’Alexandrie, 3 vol. in-8, Paris, 1846-51.

BEURHUSIUS (Frédéric), philosophe allemand, contemporain de Ramus dont il adopta la doctrine avec ardeur. Il n’admettait pas même qu’il pût y avoir quelque erreur dans sa dialectique et soutenait qu’elle était parfaite, perfectam