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organique intérieure et la vie extérieure ou de relation. Dans le sommeil, la vie de relation est plus ou moins complètement sus­pendue : au contraire, la vie intérieure de­vient plus intense, selon l’aphorisme d’Hippocrate : In somno motus intra ; somnus labor visceribus. Dans le sommeil, les fibres cérébrales produisent par leurs mouvements spontanés une foule d’impressions et d’images qui affectent le dormeur comme feraient des perceptions vérita­bles : ce sont les rêves. Lorsque la vie de relation n’est pas assez entièrement suspendue pour en­lever la possibilité des mouvements musculaires, lorsque quelques sens demeurent en activité, le dormeur devient somnambule. L’état de somnam­bulisme, dans quelques circonstances qu’il se produise, consiste surtout en deux choses : 1° dans le reflux de la vie vers les organes intérieurs ; 2° dans la surexcitation du cerveau. Cette con­centration de la vie vers les organes internes rend perceptibles au somnambule les impressions qui se rapportent à ces organes et qu’il ne perçoit pas en temps ordinaire. De là des faits d’appa­rence merveilleuse : la prévision des accidents pathologiques qui doivent s’accomplir en lui, le développement de l’instinct des remèdes, l’ap­préciation de la durée, l’apparition des symptômes morbides de personnes étrangères. La surexcita­tion du cerveau explique des phénomènes d’un autre ordre : le perfectionnement de la mémoire, l’activité extraordinaire de l’imagination, l’oubli au réveil, la communication des pensées et des volontés étrangères, enfin la puissance du som­nambule sur les phénomènes de la vie inté­rieure.

On voit que le docteur Bertrand accepte tous ou presque tous les faits que l’on dit se produire chez les somnambules extatiques ou chez les sujets des magnétiseurs, mais il ne discute pas quelle est la cause qui produit l’état de ces derniers ; c’est pourquoi il appelle leur somnam­bulisme artificiel et non magnétique. Il les prend dans cet état et cherche à expliquer physiologi­quement les phénomènes qu’ils présentent. On peut trouver qu’il met quelque complaisance et même un peu de crédulité dans la simple ac­ceptation de tous ces faits ; mais, comme la théorie qu’il expose est purement scientifique, elle mérite déjà d’être discutée par les médecins et les philosophes. Cependant, malgré le soin qu’il apporte à ne pas s’expliquer sur la nature de la cause qui produit le somnambulisme arti­ficiel et à refuser à celui-ci le nom de magné­tique, il est évident qu’il admet l’existence a’un fluide parti ulier dont le magnétiseur dirigerait à son gré les effluves vers le somnambule. En effet, dans un autre ouvrage dont il sera ques­tion tout à l’heure, il reconnaît avoir partagé avec une foi profonde les principales croyances des plus chauds partisans du magnétisme animal et avoir envoyé en 1821, pour un concours ouvert à Berlin, un mémoire où il défend la cause commune. Le Traité du Somnambulisme n’est même que le résumé, très-atténué, comme on l’a vu, de leçons publiques faites par le docteur Bertrand sur le magnétisme animal et en sa faveur, au milieu des railleries des incrédules.

Dans un traité intitulé : du Magnétisme animal en France et des jugements qu’en ont portés les sociétés savantes, suivi de Considéra­tions sur l’apparition ae l’extase dans les traitements magnétiques (Paris, 1826, in-8), de nouvelles lumières se font dans l’esprit du docteur Bertrand. 11 se sépare des partisans absolus du magnétisme, en déclarant que le magnétisme animal n’existe pas, qu’il n’y a pas de fluide magnétique, que la volonté du soi-disant ma­gnétiseur n’est pour rien dans la production du somnambulisme artificiel ; mais il se sépare à la fois de ses adversaires également exagérés, en maintenant la réalité des faits du somnambu­lisme, seulement comme des effets étrangers au prétendu magnétisme animal et procédant d’une tout autre cause. Le somnambulisme artificiel n’est plus à ses yeux qu’une variété de l’extase, et il propose de remplacer le premier met par le second. Du reste il définit assez vaguement l’extase, « un état particulier, qui n’est ni la veille, ni le sommeil, un état qui est naturel à l’homme, en ce sens qu’on le voit constamment apparaître, toujours identique au fond, dans certaines cir­constances données. » La plus puissante de ces circonstances qui produisent l’extase, est une exaltation morale portée à un haut degré. Ce second ouvrage diffère donc du premier en ce seul point, que le magnétisme animal admis dans celui-ci, au moins comme possible et tacitement comme réel, est décidément repoussé dans celuilà. Mais les faits du somnambulisme artificiel, devenus ceux de l’extase, demeurent les mêmes et conservent la même explication.

Puisque le docteur Bertrand, débarrassé par la seule puissance de son bon sens de la croyance temporaire au fluide magnétique, ramenait à l’extase tous les faits du somnambulisme, quelles que fussent les causes déterminantes de cet état, il devait être conduit naturellement à étudier l’extase de plus près, d’autant plus qu’il la dé­clarait être un état réel, historique et toujours actuel, mais inconnu à la science ; il devait en donner une théorie scientifique qui expliquât les phénomènes d’apparence merveilleuse à la réalité desquels il ne cessait d’accorder sa croyance. En effet, il se proposait, dit-on, de composer un volumineux ouvrage sur l’extase. Ce projet n’a pas été exécuté dans ces vastes proportions ; le docteur Bertrand a seulement écrit pour Y Encyclopédie progressive un petit traité de cinquante-six pages intitulé : Extase ; de l’état d’extase considéré comme une des causes des effets attribués au magnétisme animal (1826, 8e traité). Dans ces pages qui ne sont en partie que le résumé de l’ouvrage précédent, le docteur Bertrand ne s’occupe que de l’extase produite par l’exaltation morale, dont le somnambulisme, dit magnétique, est un cas particulier. Après avoir rappelé l’in­fluence si puissante que le moral exerce sur le physique et les phénomènes physiologiques qui en résultent et qui ont souvent passé pour des miracles, il place l’état d’extase au nombre de ces effets, comme un fait d’autant plus surprenant qu’il ne se produit pas seulement chez des in­dividus isolés, mais qu’il se propage à la façon d’une épidémie. L’histoire a enregistré plusieurs de ces épidémies singulières, par exemple, celle qui éclata parmi les religieuses de Loudun et dont Urbain Grandier fut la victime. Le somnam­bulisme, dit magnétique, serait une épidémie de plus. Parmi les phénomènes qu’on observe chez les extatiques, A. Bertrand prend à part ceux qu’il appelle du nom général d'inspiration. Il définit l’inspiration : l’acquisition d’idées et de notions que l’intelligence n’a pas la conscience d’avoir formées ou acquises, la manière dont l’extatique prétend qu’elles lui sont inspirées n’étant qu’une circonstance accessoire. De l’inspiration ainsi définie il donne l’explication suivante. Quand nous faisons un raisonnement, soit : tout homme est mortel, Pierre est homme, donc il est mortel, après avoir considéré atten­tivement les deux prémisses, nous ne pouvons nous refuser à admettre la conclusion, et notre seule participation active à l’acquisition de cette conclusion est l’attention que nous avons donnée aux