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trois personnes qui en sont revêtues, il com­promettait le dogme de la trinité. Ces luttes ne permettent donc pas de préjuger les opinions philosophiques de saint Bernard, et l’examen de ses écrits donne à penser qu’il n’en a pas eu de bien suivies. Il parle avec un certain dédain de Platon et d’Aristote, et ne choisit pas entre les arguties de l’un et le bavardage de l’autre : Arislotelicæ subtilitatis facunda quidem sed infecunda loquacitas (Sermons, édit. Martène, p. 21). Cependant il incline vers le platonisme.

« Les idées, dit-il, ne sont pas seulement des idées, mais leur être est l’être vrai, puisqu’elles sont immuables et éternelles, et que tout ce qui est, de quelque manière qu’il soit, n’arrive à l’existence que par leur participation » (deQuœstionibus, etc., quæstio 46). Ces idées ont leur substance dans le Verbe, ou l’homme saint les contemple après la vie. Mais dès à présent il s’y prépare par l’amour. La première aurore de cette passion divine c’est le sentiment de Dieu : « Ce n’est pas la langue, c’est l’onction de la grâce qui enseigne ces choses ; elles sont cachées aux grands et aux sages du siècle ; mais Dieu les révèle aux petits (Sermon lxxxv). » Mais il y a toute une hiérar­chie d’amours, et au dernier degré la volonté qui aime et l’intelligence qui contemple sont confondues, et s’unissent entre elles et avec Dieu. Toutefois cette union est d’affection et de sen­timent, sans qu’elle abolisse la différence des substances. « Dieu est l’être de toutes choses, non que toutes choses soient un même tout avec lui ; mais elles sont de lui, en lui, et par lui. Il en est le principe et non la matière, principium causale non materiale (Sermon iv). » Saint Bernard est sur la pente du mysticisme où va s’engager l’école de saint Victor. Mais il ne dé­passe pas la limite où s’est arrêté saint Augustin. L’amour qu’il place au-dessus de la science n’est pas mercenaire, et comme il le dit avec délicatesse, liabet prœmium, sed id quod amatur (de Deo diligendo). La grâce qu’il oppose à la liberté ne la détruit pas : « Sans le libre arbitre, il n’y a rien à sauver ; sans la grâce, il n’y a rien qui puisse sauver ; Dieu est l’auteur du salut, le libre arbitre est seulement capable d’être sauvé. La grâce fait tout dans le libre arbitre, et le libre arbitre fait tout par la grâce. » Les œuvres com­plètes de saint Bernard ont été publiées par Mar­tène, Venise, 1567, et depuis souvent réimprimées. Elles renferment des lettres, des sermons et des traités. Parmi les lettres, il y en a vingt-six qui traitent de matières plus ou moins philosophi­ques ; on en trouvera les numéros dans Y Histoire littéraire, t. XIII, p. 148 ; quelques sermons (il y en a trois cent quarante) renferment des passages intéressants ; enfin parmi les traités on consultera ceux de l’amour de Dieu et de la grâce et du libre arbitre. De nombreux travaux, entre autres ceux de Néander, de MM. Ratisbonne et de Montalembert, ont illustré la figure de saint Bernard ; mais, sauf erreur, on ne s’est pas inquiété par­ticulièrement de sa philosophie, qui n’a ni ori­ginalité ni étendue.E. C.

BERNIER (François), voyageur, médecin et philosophe, naquit le 25 ou 26 septembre 1620, à Joué, aujourd’hui commune de Joué-Étiau, près d’Angers, et mourut à Paris le 22 septembre 1688. Éleve par les soins d’un curé de campagne ; son oncle paternel, il fut, encore très-jeune, mis en relation avec Gassendi, alors prévôt de la cathé­drale de Digne. Gassendi, après plusieurs voyages à Paris, s’étant décidé à y demeurer, Bernier ne tarda pas à l’y joindre et fut admis à suivre ses leçons de philosophie et d’astronomie. Il enseigna lui-même ces deux sciences au jeune de Mer­veilles, qui, chargé plus tard d’une mission di­plomatique, l’emmena avec lui en Allemagne et en Italie. Reçu docteur en médecine en 1652, il fit servir l’autorité que lui donnait ce titre pour défendre son maître contre les attaques pas­sionnées de Morin. En 1656, après la mort de Gassendi, dont il entoura la vieillesse d’une sol­licitude toute filiale, il s’embarqua pour l’Orient. Il passa plusieurs années dans l’Inde, à la cour d’Aureng-Zeyb, dont il fut le médecin, et ne re­vint en Europe qu’en 1669, après avoir visité la Palestine, l’Êgypte, la Perse et la Turquie. Les Mémoires, qu’il publia peu de temps après son retour sur les événements dont il fut témoin pen­dant son séjour dans la presqu’île hindoustanique, le rendirent promptement célèbre (Mé­moires du sieur Bernier sur l’empire du Grand Mogol, 4 vol. in-12, Paris, 1670-1671).

Lié d’amitié avec Chapelle, Boileau, Racine, la Fontaine et Molière, son compagnon d’étude à l’école de Gassendi, il fut mêlé indirectement à la littérature du xvne siècle. On suppose qu’il a fourni à Molière plusieurs traits satiriques contre les médecins et à la Fontaine les sujets de quelques-unes de ses fables. Il a contribué avec Racine et Boileau à la rédaction de YArr’t bur­lesque, et fut un des collaborateurs les plus actifs des journaux scientifiques et littéraires de l’époque. Mais les ouvrages par lesquels il mérite surtout d’occuper une place dans ce recueil sont les suivants : Abrégé de la philosophie de Gas­sendi (8 vol. in-12, Lyon, 1678 et 1684) ; Doutes de M. Bernier sur plusieurs chapitres de son Abrégé de Gassendi (in-12, Paris, 1682) ; Éclair-

  1. cissements sur le livre de M. de la Ville (le P. le
  1. Valois) intitulé : Sentiments de M. Descartes j touchant l’essence et les propriétés des corps ; j Traité du libre et du volontaire, in-12, Amster­dam, 1685 ; Mémoire sur le Quiétisme des Indes, dans YHistoire des ouvrages des Savants, de Basnage, septembre 1688. Voici les titres des deux autres écrits où M. Bernier défend contre Morin la doctrine et la personne de son maître : Anatomia ridiculi muris, hoc est dissertatiunculœ J. B. Morini astrologi, adversus ex­positam a P. Gassendo philosophiam, in-4, Paris, 1651 ; Favilla ridiculi Muris, etc., in-4, Paris, 1653.Consulter sur Bernier la notice que lui a consacrée M. de Lens dans le Dictionnaire historique, géographique et biologique de l’Anjou.

BERTRAND (Alexandre), né à Rennes en 1790, mort en 1831, élève de l’École polytechnique, docteur en médecine, a étudié en physiologiste et en philosophe les phénomènes du somnambu­lisme et particulièrement ceux qu’on a attribués au magnétisme animal.

Dans un ouvrage intitulé Traité du Somnam­bulisme (Paris, 1823, in-8), il distingue quatre espèces de somnambulisme : 1° le somnambu­lisme essentiel, se produisant pendant le sommeil chez des individus qui paraissent jouir d’ailleurs d’une santé parfaite ; 2° le somnambulisme symp­tomatique, apparaissant dans le cours de certaines maladies dont on peut le considérer comme une crise ou un symptôme ; 3° le somnambulisme artificiel, que font naître à volonté chez certains sujets les pratiques des magnétiseurs ; 4“ le som­nambulisme extatique, résultat d’une exaltation morale exagérée, contagieux par imitation, celui des possédés au moyen âge. Il pense que toutes ces espèces de somnambulisme sont de la même nature, mais que l’étude des deux dernières peut éclairer la science sur les phénomènes du som­nambulisme, d’autant mieux que l’observateur peut entrer en communication avec les somnam­bules de ces deux genres. Voici le résumé de sa théorie. Il y a dans l’homme deux vies, lavie