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en philosophie relativement au mode d’ac­quisition de la connaissance. Nous voulons parler de la théorie de l’idée représentative. D’après cette théorie, la connaissance et l’idée étaient deux choses distinctes. L’idée n’était qu’un moyen de connaissance et non la connaissance même. L’idée était une sorte d’intermédiaire entre l’objet et le sujet. L’idée était pour le sujet l’image ou la représentation de l’objet ; et l’exactitude de la connaissance se mesurait sur le plus ou le moins de conformité de l’image, avec l’objet qu’elle représentait. Cette théorie, d’abord imaginée pour expliquer la formation de nos connaissances sensibles, avait graduellement acquis plus d’extension, et, à l’époque à laquelle apparut Berkeley, elle servait à rendre compte de la formation de toutes nos connaissances. Berkeley l’adopta, mais cependant avec restric­tion. Ainsi que paraît l’avoir fait Malebranche à la même époque, il n’attribua à l’intervention de l’idée représentative que la formation d’un certain ordre de connaissances, à savoir celles qui ont pour objet le monde extérieur. Quant aux notions qu’a notre âme de son propre être et de ses modifications, Berkeley en regarde l’acquisition comme s’opérant par un simple acte d’aperception intérieure, et sans qu’il soit besoin d’aucune image ou idée à titre d’inter­médiaire entre l’objet et le sujet. Cette dis­tinction explique comment Berkeley affirme à la fois l’existence de l’esprit et nie celle de la matière. En effet, l’esprit se saisissant lui-même par une aperception immédiate, son existence ne saurait être mise en question ; tandis qu’il en est tout autrement des objets corporels, qu’il ne nous est jamais donné d’atteindre di­rectement à cause de la présence de cette idée, qui vient toujours s’interposer entre notre âme et la réalité extérieure, et rendre ainsi cette réalité à jamais insaisissable. C’est, assurément, par cette voie que Berkeley fut conduit à pré­tendre que les objets que nous regardons comme constituant le monde extérieur ne sont que des idées de notre esprit. Cet idéalisme, poussé par la logique à ses conséquences dernières, ne tar­derait pas à aboutir à un absolu égoïsme. Car, la doctrine de Berkeley une fois adoptée, rien ne me garantit plus l’existence extérieure d’êtres semblables à moi, et je reste seul dans l’univers, ou plutôt je constitue l’univers à moi seul, avec mon esprit et mes idées, les seules choses qui, dans un idéalisme conséquent, puissent échap­per à la négation et au doute. Berkeley n’a pas formellement avoué cette conclusion; mais elle s’impose irrésistiblement à sa doctrine.

On peut consulter sur Berkeley, indépendam­ment. des écrits de ce philosophe dont les titres ont été mentionnés plus haut, et des historiens généraux de la philosophie, un ouvrage allemand intitulé : Collection des principaux écrivains qui nient la, réalité de leur propre corps et du monde matériel tout entier, contenant les Dia­logues de Berkeley entre Hylas et Philonoüs et la Clef universelle de Collier, avec des notes qui servent à la réfutation du texte, et un sup­plément dans lequel on démontre la réalité des corps, par J. Clir. Eschenbach, in-8, Rostock,

  1. C. M.

BERNARD de Chartres, dit Sylvestris, écri­vain du xii® siècle, enseigna dans les écoles de Chartres. Jean de Sarisbéry, qui l’appelle le meilleur des platoniciens de son temps, perfec­tissimus inter platonicos hujus sœculi, lui at­tribue deux ouvrages : l’un où il cherchait à concilier Platon et Aristote, l’autre où il prou­vait l’éternité des idées, justifiait la Providence, et montrait que tous les êtres matériels, étant de leur nature soumis au changement, doivent nécessairement périr (Metalog., lib. ! V ; c. xxxv). Ces deux ouvrages sont aujourd’hui perdus ; mais plusieurs bibliothèques possèdent encore, sous le nom de Bernard Sylvestris, un traité philosophique en deux parties, Mcgacosmus et Microcosmus, le Grand et le Petit monde, nui en effet est empreint d’une forte teinte de pla­tonisme. L’auteur y reconnaît deux éléments des choses : la matiere et les idées. La matière est privée de toute forme et susceptible de les recevoir toutes. Les idées résident dans l’enten­dement divin ; elles sont les exemplaires de la vie, le principe immuable de ce qui doit être, et toutes choses résultent de leur union avec la matière. Créé à l’image du monde intelligible, le monde sensible a toute la perfection de son modèle. Il est complet, parce que Dieu est com­plet ; il est beau, parce que Dieu est beau ; il est éternel dans son exemplaire éternel. Le temps a sa racine dans l’éternité et il retourne dans l’éternité. En lui l’éternité paraît se mou­voir et il paraît se reposer en elle. 11 gouverne le monde, gouverné lui-même par l’ordre. A l’exposition de ces principes qui sont évidem­ment empruntés du Timée, un des monuments de la philosophie ancienne que le xne siècle a le mieux connus, succède, dans le Microcosme, une théorie de l’nomme. Bernard reconnaît la distinction du corps et de l’âme ; il admet la préexistence de celle-ci, et semble adopter l’hy­pothèse de la réminiscence. Les détails physio­logiques occupent d’ailleurs la plus grande place dans cette partie de l’ouvrage. M. Cousin a publié à la suite des Œuvres inédites d’Abailard quelques extraits du Megacosmus et du Micro­cosmus, avec des fragments d’un Commentaire de Bernard de Chartres sur le VIe livre de YÊnéide. Voy. aussi : Fragments de philosophie du moyen âge, par V. Cousin ; et un article étendu de YHistoire littéraire de France, t. XII.

  1. J.

BERNARD (Saint), abbé de Clairvaux, né en 1091, mort en 1153, est certainement une des figures les plus imposantes du xne siècle. Mais on n’a pas à rappeler ici ses vertus, ses talents, sa fermeté à maintenir l’ordre dans les esprits et la discipline dans les mœurs, ni son éloquence qui envoya des foules en terre sainte, ni même ses écrits qui touchent de plus près à la religion qu’à la science. 11 n’a guère abordé la philosophie que pour exprimer combien il la dédaignait ; et les philosophes qui ont attiré son attention, comme Abailard et Gilbert de la Porrée, n’ont pas eu à s’en louer. L’histoire de ces débats se trouve ailleurs (voy. Abailard, Gilbert de la Porrée). On doit seulement indiquer ici qu’en poursuivant ses adversaires, saint Bernard ne les a jamais attaqués sur le terrain de la philosophie : il a voulu réprimer les excursions qu’ils faisaient en pleine théologie, non sans porter dommage à plus d’un dogme. Abailard est très-maltraité dans les cinq lettres envoyées contre lui au pape Innocent : c’est un autre Goliath, un lion, un dragon gu’il faut fouler aux pieds ; et dans douze autres epîtres à divers personnages, toujours contre le même Abailard, il le représenté comme le précurseur de l’antechrist et comme un fabricateur de mensonges. Mais toujours et partout ce sont des hérésies formelles qu’il lui impute à tort ou à raison : a Quand il parle de la trinité, dit-il, on croirait entendre Arius ; il pense sur la grâce comme Pélage, sur la personne du Christ comme Nestor… et tout en s’évertuant à faire de Platon un chrétien, il prouve que lui-même est païen. » Quant à Gilbert de la Porrée, en distinguant d’une part la divinité et de l’autre les