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degrés de force ou de faiblesse du corps, de fermeté ou de mollesse du caractère, les habitudes, les inclinations, le développement plus ou moins grand de l’intelligence, etc., etc. Bentham ne se contente pas de dresser un catalogue exact de toutes ces circonstances, il entre sur chacune d’elles dans des développements pleinsde sagacité.

Mais le législateur ne peut tenir compte de tous ces détails ; il est obligé de procéder d’une manière générale et, par conséquent, de se guider d’après des vues d’ensemble, d’après les grandes classifications dans lesquelles se répartissent les individus ; ce sont ces vues qui nous fournissent les circonstances du second ordre, où les pre­mières se trouvent naturellement comprises. Telles sont celles qui résultent du sexe, de l’âge, de l’éducation, de la profession, du climat, de la race, de la nature du gouvernement et de l’opinion religieuse. De là une conséquence lé­gislative : c’est que, pour qu’il y ait égalité dans la peine infligée à un coupable/il faut que cette peine ne soit pas matériellement la même pour tous les sexes, pour tous les âge s, enfin pour toutes les circonstances dont nous venons de parler.

Mais les peines et les plaisirs ne se bornent pas tous à un seul individu ; il en est qui s’étendent à un grand nombre. De là un troisième élément du calcul moral, élément que Bentham a analysé avec le plus grand soin. Les résultats de cette analyse sont peut-être ce que son système offre de plus original et de plus utile. Le calcul de tout le mal ou de tout le bien que fait une action à la société, par delà l’individu qui la subit directement, et les lois suivant lesquelles se ré­pandent et se multiplient les effets de ce bien ou de ce mal, voilà ce que nous offre l’ingénieuse analyse de Bentham.

Pour apprécier une action au moyen de ces données, il faut envisager comparativement ses bons et ses mauvais effets ; c’est uniquement d’après le résultat de cette comparaison qu’il sera permis de la qualifier de bonne ou de mauvaise. On décidera de la même manière quelle est, de deux actions, celle qu’il faut juger la meilleure ou la pire. On résoudra enfin par un pro édé analogue la question de savoir quel est le degré de bonté ou de méchanceté d’une action déterminée faisant partie d’un certain nombre d’autres actions.

Pour savoir maintenant si le législateur doit ériger en délits certaines actions et leur infliger des peines, il faut rechercher si la peine peut empêcher le délit, ou du moins le prévenir sou­vent ; et. en supposant qu’elle le puisse, si le mal de la peine est moindre que celui de l’action. Ben­tham examine ensuite quels sont les meilleurs moyens à employer par le législateur pour porter les hommes à faire le plus d’actions utiles, et les détourner le plus efficacement des actions nuisibles à la communauté. Il se livre ici à une nouvelle étude du plaisir et de la peine, envisa­gés comme leviers entre les mains au législateur, et en distingue quatre sortes : 1° les plaisirs et les peines qui résultent naturellement de nos ac­tions, et que Bentham appelle, pour cette raison, la sanction naturelle ; 20 ceux qui viennent de la sanction morale, c’est-à-dire de l’opinion publi­que ; 3° ceux qui ont pour cause la sanction legale ; et 4” enfin ceux qui ont leur origine dans la sanc­tion religieuse. La sanction légale peut seule être appliquée par le législateur ; mais il doit prendre garde de se mettre en opposition avec les trois autres. Bentham trace à ce sujet la ligne de dé­marcation qui sépare le droit et la morale. Il montre très-bien, et par des raisons très-sages, ce qui avait été démontré mille fois, mais jamais peut-être avec la même évidence, jusqu’oii p&ut aller la législation, et jusqu’où elle ne doit pas pénétrer. Après cela, Bentham entre dans la lé­gislation elle-même, et jette les bases du Code civil et du Code pénal. Il divise les différents re­cueils de lois en Codes substantifs et en Codes adjectifs, suivant qu’ils sont principaux ou ac­cessoires. Nous ne le suivrons pas dans les der­nières conséquences de sa philosophie pratique ; elles appartiennent plutôt à la science de la lé­gislation qu’à celle de la philosophie. Nous ne ré­futerons même pas ce qu’il peut y avoir de faux et de dangereux dans la philosophie que nous venons d’esquisser. Cette réfutation se trouve faite par cela seul qu’on reconnaît dans l’homme un autre principe d’action que l’intérêt.

Les principaux ouvrages de Bentham sont : In­troduction aux principes de morale et dejurisprudence, in-8, Londres, 1789 et 1823 ; Traités de législation civile et pénale, in-8, Paris, 1802 et 1820 ; Théorie des peines et des récompenses, in-8, Paris, 1812 et 1826 ; Tactique des as­semblées délibérantes et des sophismes politiques, in-8, Genève, 1816 ; Paris, 1822 ; Code consti­tutionnel, in-8, Londres, 1830-1832 ; Déontolo­gie ou Théorie des devoirs (œuvre posthume), in-8, Londres, 1833 ; —Essai sur la nomencla­ture et la classification en matière d’art et de science, publié parle neveu de l’auteur en 1823 ;

  • Défense de l’usure, in-8, Londres, 1787 ; Panoptie ou Maison d’inspection, in-8, Londres, 1791 ; Chrestomathie. in-8, Londres, 1718. Pour l’exposition générale et la critique du sys­tème de Bentham, voy. particulièrement Jouffroy, Cours de Droit naturel, t. II, leç. xiv. J. T.

BÉRARD 'Frédéric), né à Montpellier en 1789, et professeur d’hygiène à l’école de cette ville, a bien mérité de la philosophie spiritualiste par son livre intitulé : Doctrine des rapports duphysique et du moral (in-8, Paris, 1823). Il reconnaît que l’étude de l’homme ne peut être bien faite qu’à ia condition de l’envisager tout à la fois sous les points de vue physiologique et psychologique : c’est le moyen, ait-il, de ne tomber ni dans le matérialisme ni dans le spiritualisme outré. La sensation est inexplicable par le mouvement, soit vital, soit chimique ; elle ne l’est pas davantage par le galvanisme et l’électricité, ou par tout autre fluide impondérable. Ce ne sont point les nerfs qui sentent, et le cerveau lui-même n’est pas in­dispensable pour qu’il y ait sensation. Il est plus raisonnable d’admettre que l’âme sent dans la partie du corps à laquelle la sensation est rap­portée que de penser qu’elle sent ailleurs. Le temps pendant lequel le sentiment persiste après la décapitation varie suivant les différentes clas­ses d’animaux, et suivant la manière de faire l’opération. Les mouvements des animaux déca­pités présentent les mêmes caractères que les mouvements volontaires. Ni le jugement, ni la mémoire, ni l’imagination ne s’expliquent par la sensation, quoiqu’il y ait, suivant l’auteur, des sensations actives. Le moi n’est pas toujours en­tièrement passif dans les rêves. L’instinct luimême appartient au moi, comme modification des sentiments ; il est actif sous certains rapports, et se combine avec les données de la réflexion. Les langues sont aussi le produit de l’activité du moi : l’esprit est tout à la fois actif et passif dans le somnambulisme. La personnalité morale, l’exis­tence substantielle d’un être simple en nous èt son immortalité, sont aussi établies dans le livre estimable du docteur Bérard. Il n’était point par­tisan du système de Gall ; il l’a réfuté dans le Dic­tionnaire des Sciences médicales, article Craniométrje. Bérard a fait, dans cet ouvrage, plu­sieurs autres articles importants. On a encore de lui.