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l’Académie d s sciences de BerJin ; sur une ques­tion mise au concours.

BENTHAM (.Jérémie), né à Londres en 1748, l’un des jurisconsultes et des publicistes philo­sophes les plus distingués de notre siècle. Il se destinait d’abord à la profession d’avocat ; mais, en voyant le chaos de la législation anglaise, l’inconstance et l’arbitraire de la jurisprudence, il ne put se décider à faire partie active d’un corps où l’on porte des toasts à la glorieuse incertitude de la loi. 11 comprit que le plus grand service à rendre à son pays, était de provoquer la réforme des abus dans la législation et l’ad­ministration de la justice. 11 consacra donc toute sa vie à des travaux de ce genre. Il était lié avec le conventionnel Brissot, connaissait la France qu’il avait visitée plus d’une fois, et reçut même de la Convention le titre de citoyen français. Ennemi des préjugés et des abus, deux choses qui ont d’aillt’urs une liaison si étroite, Bentham ordonna par son testament que son corps fût livré aux amphithéâtres d’anatomie. Il mourut en 1832.

Bentham voulait que la justice ne fût rendue au nom de personne, ne voyant dans l’habitude de la rendre au nom du roi qu’un reste de la barbarie féodale. Tout tribunal doit être, suivant lui, universellement compétent. Du reste, il croit que certains tribunaux d’exception sont néces­saires. Un seul juge par tribunal, avec pouvoir de délégation, lui semble offrir plus de garantie que plusieurs. Il ne veut point de vacances pour les tribunaux. Les autres points principaux des réformes qu’il propose sont : l’amovibilité des iuges ; une accusation et une défense publiques ; la fusion des professions d’avocat et d’avoué, et l’abolition du monopole ; pas de jury en matière civile ; enfin une codification qui permette de savoir au juste quelles sont les lois en vigueur, quelles lois régissent chaque matière, et comment elles doivent être entendues. Bentham s’est beau­coup occupé de la constitution, des règlements et des habitudes des assemblées législatives. Il expose très au long ce qu’il appelle les Sophismes politiques et les Sophismes anarchiques. Il intitule aussi ce dernier traité : Examen critique des diverses déclarations des droits de l’homme et du citoyen. Toute cette logique parlementaire est fort curieuse.

Pour se faire une juste idée du système et des opinions de Bentham, il faut, dit M. Jouffroy, lire son Introduction aux principes de la mo­rale el de la législation ; c’est là qu’il a cherché à remonter aux principes philosophiques de ses opinions. Habitue, comme légiste, à n’envisager les actions humaines que par leur côté social ou leurs conséquences relatives à l’intérêt général, Bentham finit par en méconnaître le côté moral ou individuel. C’est ainsi qu’il a été conduit à croire et à poser en principe que la seule dif­férence possible entre une action et une autre, réside dans la nature plus ou moins utile ou plus ou moins nuisible de ses conséquences, et que l’utilité est le seul principe au moyen duquel il soit donné de la qualifier. Aux yeux du publiciste anglais, toute action et tout objet nous seraient parfaitement indifférents, s’ils n’avaient la propriété de nous donner du plaisir et. de la douleur. Nous ne pouvons donc chercher ou éviter un objet, vouloir une action ou nous y refuser, qu’en vue de cette propriété. La recherche du plaisir et la fuite de la douleur, tel est donc ie seul motif possible des déterminations hu­maines, et par conséquent l’unique fin de l’homme et tout le but de la vie. Tel est le principe moral et juridique suprême de Bentham, principe égoïste, base du système d’Épicure el de la phi­losophie pratique de Hobbes. Il n’est donc pas aussi nouveau que l’auteur avait la simplicité de le croire. Seulement, Épicure et Hobbes le pré­sentent comme une déduction des lois de notre nature, tandis que Bentham le pose tout d’abord comme un axiome qui n’aurait d’autre raison que sa propre évidence.

Bentham, après avoir ainsi naïvement posé son principe, le prend pour base de ses défini­tions et de ses raisonnements. L'utilité est pour lui cette propriété d’une action ou d’un objet qui consiste à augmenter la somme de bonheur, ou à diminuer la somme de misère de l’individu ou de la personne collective sur laquelle cette action ou cet objet peut influer. La légitimité, la justice, la bonté, la moralité d’une action, ne peuvent être définies autrement, et ne sont que d’autres mots destinés à exprimer la même chose, l’utilité : s’ils n’ont pas cette acception, dit Bentham, ils n’en ont aucune. D’après ces principes, l’intérêt de l’individu, c’cst évidem­ment la plus grande somme de bonheur à la­quelle il puisse parvenir, et l’intérêt de la société, la somme des intérêts de tous les individus qui la composent.

Sa doctrine ainsi établie, Bentham cherche quels peuvent être les principes de qualification opposes à celui de Futilité, ou simplement distincts de ce principe, et il n’en reconnaît que deux : l’un qu’il appelle le principe ascétique ou l’ascétisme, l’autre qu’il nomme le principe de sympathie et d’antipathie. Le premier de ces principes qualifie bien les actions et les choses, les approuve ou les désapprouve d’après le plaisir ou la peine qu’elles ont la propriété de produire ; mais, au lieu d’appeler bonnes celles qui pro­duisent du plaisir, mauvaises celles qui produi­sent de la peine, il établit tout l’opposé, appelant bonnes celles qui entraînent à leur suite de la peine, et mauvaises celles qui conduisent au plaisir. Le second de ces principes opposés à celui de l’utilité, le principe de sympathie et d’antipathie, comprend tout ce qui nous fait déclarer une action bonne ou mauvaise, par une raison distincte et indépendante des conséquences de cette action. Bentham cherche ensuite à ré­futer ces principes, différents du sien.

C’est dans les conséquences de ce système que l’originalité de l’auteur se montre plus parti­culièrement. Un des principaux titres de gloire de Bentham, c’est d’avoir essayé de donner une mesure pour évaluer ce qu’il appelle la bonté et la méchanceté des actions, ou la quantité de plaisir et de peine qui en résulte. 11 commence donc son arithmétique morale par une énuméra­tion et une classification complète des différentes espèces de plaisirs et de peines. Vient ensuite une méthode pour déterminer la valeur com­parative des différentes peines et des différents plaisirs : opération délicate et qui consiste à peser toutes les circonstances capables d’entrer dans la valeur d’un plaisir. Ces circonstances sont déterminées en envisageant un plaisir sous ses rapports principaux : ceux de l’intensité, de la duree ; de la certitude, de la proximité, de la fécondité, enfin de la pureté. La même méthode s’applique évidemment aux peines. Ce n’est qu’après avoir envisagé les plaisirs et les peines qui résulteront de deux actions sous tous ces rapports, qu’on peut décider avec assurance laquelle est réellement la plus utile ou la plus nuisible, la meilleure ou la pire, et mesurer la différence qui existe entre elles. Il faut aussi tenir compte des différences qui existent entre les agents, différences qui se distinguent en deux ordres, dont le premier comprend les tempéra­ments, les divers états de santé ou de maladie, les