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et en principes de connaissances, il nous faut une lumière supérieure même à cette faculté qui est supérieure à la raison, il nous faut la lumière surnaturelle de la révélation conservée dans les Écritures (Philosophie du Christianisme, t. I, p. 193, 221, 222 et suiv.).

Ainsi la raison ne compte pour rien en philo­sophie, puisqu’elle ne peut démontrer que sa propre impuissance. La faculté imaginaire qu’on place au-dessus d’elle sous le nom d’intelligence compte pour peu de chose, puisque, ne conte­nant que des germes ou des embryons d’idées, elle appelle le concours d’une autre puissance, tout extérieure à l’homme, à savoir : la révéla­tion. Au moins peut-on dire que la parole révé­lée, que le texte des livres saints offre un appui solide ? Non, puisqu’il s’agit de Pexpiiquer d’une manière philosophique, de lui imposer un sens qu’on n’v trouve pas naturellement, et de la convertir" en système à l’aide d’une faculté autre que la raison, par conséquent affranchie des lois de la logique. Aussi rien de plus arbitraire, de plus chimérique et de plus incohérent que la doctrine que Bautain a édifiée, nous ne disons pas en prenant pour base, mais en prenant pour prétexte de pareilles prémisses. Cela ressemble au gnosticisme combiné avec l’alchimie et relevé de loin en loin par quelques observations tirées de la science moderne. Comme il ne s’agit de rien moins que de nous faire comprendre l’es­sence et les mutuels rapports de la nature, de l’âme et Dieu, nous allons résumer les principa­les propositions qui ont trait à ces trois objets de nos connaissances.

Bautain distingue entre la nature et le monde. La nature, c’est le principe qui nous re­présente la forme des êtres, le principe de leur organisation et la simple capacité de la vie, car par elle-même la nature est passive, elle n’a pas la propriété d’engendrer, mais de concevoir. Le monde, c’est la nature passée à l’état objectif ou de manifestation. Pour que ce passage ait lieu, il faut l’intervention d’un principe actif, à la fois supérieur à la nature et supérieur au monde. Ce principe, c’est l’esprit de la nature. L’esprit de la nature se divise en deux : l’esprit psychique et l’esprit physique, qui, lui-même, se partage en esprit animal, en esprit végétal et en esprit minéral. Enfin, outre l’esprit psychique et l’esprit physique de la nature, il y a Vesprit du monde, produit par l’union des deux précé­dents esprits.

Sans nous attacher aux attributions distinc­tives de ces cinq entités, nous dirons qu’on les retrouve dans la constitution de l’homme, parce que l’homme, selon la doctrine du microcosme et du macrocosme, est un abrégé et une image fidèle de l’univers. Or, la nature humaine nous offre d’abord une âme et un corps qui répondent à la nature et au monde. Puis viennent trois es­prits : un esprit de l’âme ou psychique, un es­prit du corps ou physique, et un esprit moyen qui résulte de la combinaison des deux premiers. Deux substances et deux esprits, cinq d’un côté et cinq de l’autre ; rien ne manque au parallé­lisme. L’esprit, psychique, c’est l’intelligence, par laquelle nous sommes mis en relation avec le monde invisible. L’esprit physique remplace chez Bautain les esprits animaux de la vieille physiologie et le principe vital de l’école de Montpellier. L’esprit mixte, produit par l’union de l’intelligence et de l’esprit physique, c’est ce que nous appelons la raison. Semblable à l’esprit ilu monde, elle ne règne que sur des phénomè­nes et ne pénètre point jusqu’aux principes.

11 ne faut pas croire que la raison, l’intelli­gence et ce qui lui lient lieu de principe vital soient pour Bautain de simples facultés de l’âme ou des propriétés diverses d’un seul et même être ; non, ce sont de véritables esprits, dans le sens du gnosticisme, c’est-à-dire des émanations, des effluves, une sorte d’excroissance métaphy­sique tout à fait distincte de l’âme et du corps, quoiqu’elle ne puisse pas se séparer de ces deux substances.

Non content de nous montrer dans l’homme un abrégé et une image de l’univers, Bautain veut aussi que chaque fonction, chaque partie de notre corps et notre corps tout entier soit à nos yeux comme un symbole des mystères les plus cacfés de l’âme. Selon lui, « l’âme et le corps se pénétrant sans cesse par leurs esprits, il y a en­tre eux une correspondance continue qui suppose une grande analogie dans leurs fonctions et doit établir une sorte de parallélisme dans leur dé­veloppement (Psychologie expérimentale, t. II, p. 267 et 268). » De là les rapprochements les plus arbitraires entre les phénomènes de la vie physique et ceux de la vie morale. Il n’y a pas jusqu’aux dogmes religieux, entre autres le pé­ché originel, dont Bautain ne cherche à trouver la preuve dans la conformation de nos organes. « Le corps humain, dit-il (ubi supra, p. 232), est une croix désharmonisée ; ce qui peut nous faire pressentir pourquoi tout a dû être restauré par le mystère de la croix. »

Ainsi que de Bonald, Saint-Martin, et l’on peut dire ainsi que tous les mystiques, Bautain attri­bue une origine et un rôle surhumains à la pa­role. Sans elle l’intelligence, toute divine qu’elle est par son objet et son principe, nous serait absolument inutile, parce qu’elle resterait inac­tive. » La parole, pour lui, est la manifestation la plus pure du divin par l’humain, de l’absolu par le relatif, de Dieu par l’homme" [ubi supra, t. II, p. 251). Non-seulement la parole dans son ensemble, mais chacun de ses éléments con­sidéré à part et principalement les voyelles, présentent à son esprit des mystères insonda­bles. Il n’y aurait aucun intérêt à le suivre sur ce terrain ; mais après avoir résumé ses opinions sur l’univers et sur l’homme, il nous reste à dire quelle idée il se fait de Dieu.

Réduisant les notions de cause et de substance, comme toutes les autres idées que nous tenons de la raison, à n’être que de simples formes sans réalité, ou de simples lois de la pensée, Bautain ne peut concevoir Dieu ni comme une substance ni comme une cause ; par conséquent, ni comme la substance absolue ni comme la cause pre­mière. « La loi de la substance, dit-il [Psycholo­gie expérimentale, t. II, p. 363), qui affirme qu’il n’y a pas de qualité sans substance, n’est applicable que là où la substance se manifeste et se distingue par des qualités. Appliquée à Dieu, elle n’a plus de sens, parce que Dieu est celui qui est, qu’en lui il n’y a qu’être et sub­stance, rien d’accidentel, de contingent, de phénoménique. La loi de causalité qui dit : tout ce qui existe a une cause, s’arrête impuissante de­vant 1’tre, principe de tous les êtres, au delà duquel il n’y a plus de cause. »

Mais si Dieu n’est pas la cause de l’univers, comment donc a-t-il produit l’univers ? Comment en est-il le créateur ? Bautain pensecomme Saint-Martin, que le monde est la pensée divine devenue visible : « en sorte qu’en affirmant que Dieu a créé l’univers, nous entendons dire qu’il a divinement exprimé son idée, qu’il a parlé l’univers [Philosophie du Christianisme, t. II, p. 243). » En réalité, quand on se rappelle tous les esprits qui, dans la métaphysique, nous pourrions dire dans la théosophie de Bautain, s’interposent entre Dieu et le dernier degré de l’