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un objet par les sens, nous songeons vaguement à son idee. Ainsi, en analysant l’idée du beau, on trouve une conception obscure mê­lée à une perception sensible ; mais c’est une sim­ple concomitance. Le lien qui unit les deux ter­mes de la pensée n’est pas mieux marqué que le rapport de l’élément sensible et de Pélemcnt idéal dans l’objet. D’ailleurs, l’idée n’est qu’une abstraction logique. Les successeurs de Baum­garten, comme il arrive lorsqu’un principe est vague et mal déterminé, essayèrent de le préci­ser ; les uns les firent rentrer dans celui de la conformité à un but. Kant a démontré la faus­seté de cette définition (voy. Beau). D’autres s’attachèrent à l’élément sensible ; dès lors il ne fut plus question que de beauté sensible ou cor­porelle. La beauté spirituelle se trouve exclue de la science du beau ; néanmoins, la théorie de Baumgarten n’est pas complètement fausse; il a entrevu la vraie définition du beau, lorsqu’il a reconnu que le beau se compose de deux élé­ments combinés dans un rapport que la raison seule ne peut saisir, et qui exige le concours des sens. Il a ainsi frayé la voie à des théories plus profondes et plus exactes.

Les principaux ouvrages de Baumgarten sont:Philosophia generalis, cum dissertatione proœmiali de dubitatione et certitudine, in-8, Halle, 1770 ; Metaphysica, in-8, Halle, 17*39 ; Ethica philosophica, in 8, Halle, 1740 ; ■Jus naturœ, in-8, Halle, 1765 ; de Nonnullis ad Poema pertinentibus, in-4, Halle, 1735; Æsthetica, 2 vol. in-8, Francfort-sur-l’Oder, 1750 et 1759. Ce dernier ouvrage est resté ina­chevé.C. B.

BAUTAIN (Louis-Eugène-Marie, abbé) naquit à Paris le 17 février 1796. Entré à l’École nor­male en 1813, il eut pour maître M. Cousin, de quatre ans plus âgé que lui, et pour condisciples Jouffroy et Damiron. Il partageait toutes les idées qui faisaient la base de l’enseignement philoso­phique de 1 École normale, quand il entra en 1816 dans l’a carrière de l’enseignement pu­blic. Nommé d’abord professeur de philoso­phie au collège de Strasbourg, il ne tarda pas à être appelé avec le même titre à la Faculté des lettres de cette ville. Il occupa simultané­ment les deux chaires jusqu’en 1830. Dans l’une et l’autre il exerça sur la jeunesse un grand as­cendant par l’éloquence de sa parole et la variété de ses connaissances. M. Bautain, profitant de son séjour^ dans une ville qui réunissait toutes les Facultés, avait ajouté à son titre de docteur es lettres le doctorat ès sciences, en médecine, en droit et en théologie.

Gagnépar le mouvement religieux qu’avaient provoqué en France, sous la Restauration, les écrits de de Maistre, de de Bonald et de Lamennais, Bau­tain se détacha des opinions de M. Cousin et de toute doctrine philosophique indépendante des dogmes de la foi. Mais il ne se contenta pas de se soumettre à l’autorité de l’Église, il voulut de­venir un de ses ministres et de ses apôtres. Il entra dans les ordres en 1828, signala son zèle par d’éclatantes conversions, notamment celles de plusieurs Israélites appartenant aux familles les plus distinguées de Strasbourg, et sans quit­ter ses fonctions universitaires, fut nommé cha­noine de la cathédrale et directeur du petit sé­minaire. A toutes ces dignités il joignit en 1838 celle de doyen de la Faculté des lettres. Il se dé­mit de ce titre en 1849 et fut nommé vicaire gé­néral du diocèse de Paris. En 1853, après avoir obtenu de grands succès comme prédicateur, après avoir fait à Notre-Dame des conférences très-suivies sur la religion et la liberté, il fut chargé du cours de theologie morale à la Fa­culté de théologie de Paris. 11 est mort le 18 oc­tobre 1867.

En renonçant au libre usage de la raison, Bautain n’a pas entendu renoncer à la philoso­phie. Il s’est efforcé, au contraire, de justifier par des arguments et des spéculations philosophiques son adhésion à tous les dogmes religieux et à l’enseignement traditionnel de l’Église. C’est au nom même de la raison qu’il a abaissé la raison devant la révélation. Il s’est fait un système où la philosophie et la théologie, absolument con­fondues, ne forment plus qu’un seul corps de doctrine. Voici les traits essentiels de ce sys­tème tel qu’il est exposé dans les trois princi­paux ouvrages de l’abbé Bautain : la Philoso­phie du Christianisme (2 vol. in-4, Strasbourg,

  1. ; la Psychologie expérimentale (2 vol. in-8, Strasbourg, 1839) ; rééditée plus tard sous un au­tre titre : l’Esprit humain et ses facultés (2 vol. in-8, Paris, 1859) ; et la Philosophie morale (2 vol. in-8, Paris, 1852).

« Ce qu’on veut bien appeler ma philosophie, dit Bautain dans la dédicace de sa Psychologie expérimentale, n’est que la parole chrétienne scientifiquement expliquée. » Voilà le but qu’il se propose indiqué en quelques mots ; mais ces mots appellent un éclaircissement que l’on trou­vera dans les lignes suivantes : « La parole sa­crée doit fournir au vrai philosophe les princi­pes, les vérités fondamentales de la sagesse et de la science ; mais c’est à lui qu’il appartient de développer ces principes, de mettre ces vérités en lumière ; en d’autres termes, de les démon­trer par l’expérience en les appliquant aux faits de l’homme et de la nature, donnant ainsi à l’intelligence l’évidence de ce qu’elle avait d’a­bord admis de confiance ou cru obscurément (Discours préliminaire, p. 88). » C’est la géné­ralisation systématique de ces paroles de saint Anselme de Cantorbery : Fides gueerens intellec­tum.

Et pourquoi faut-il procéder de cette façon ? Pourquoi devons-nous chercher les principes et les vérités fondamentales de la philosophie dans les livres saints au lieu de les chercher en nousmêmes, au lieu de les demander à la raison ? Parce que la raison, comme nous l’apprend Kant, dont l’abbé Bautain tient la doctrine pour parfaitement démontrée dans les limites où il la croit utile à son propre système ; la raison ne nous apprend rien des choses en elles-mêmes ; elle nous donne seulement les lois suivant les­quelles nous pouvons observer, juger et classer dans notre entendement les phénomènes de la nature et de la conscience. Voilà donc le scepti­cisme pris pour base du dogmatisme, et, qui plus est, d’un dogmatisme chrétien.

Cette difficulté, ou pour l’appeler de son vrai nom, cette contradiction, Bautain croit l’écarter en supposant l’existence d’une faculté supérieure à la raison, et que seul il investit du privilège de nous mettre en communication avec Dieu et. les purs esprits. A cette faculté transcendante, il donne le nom d’intelligence. Le philosophe ita­lien Gioberti, en reconnaissant une faculté ana­logue, , l’appelle plus justement la surintelligence (sovrintclligcnza).

Si l’intelligence, telle que Bautain l’imagine et la définit^ avait par elle-même le don de nous faire connaître le monde spirituel et les plus hautes vérités de l’ordre moral et métaphysique, nous n’aurions pas besoin des livres saints ; la philosophie pourrait encore se rendre indépen­dante de la religion ; mais telle n’est pas la pen­sée de Bautain : il admet dans l’intelligence des germes d’idées, non des idées complètes ; et pour féconder ces germes, pour les changer en con­naissances