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n’ont en vue qu’une volonté arbitraire, qui détruirait la distinction absolue du bien et du mal. Leibniz lui-même, dans la lettre que Barbeyrac a prétendu réfuter, proclame que les hommes forment une seule société sous le gou­vernement de Dieu. Kant définit l’obligation un impératif de la raison pure, considérée comme pratique, c’est-à-dire comme investie de la fa­culté de commander, ce qui l’assimile à la vo­lonté, et, quand il a établi l’existence de Dieu, comme un postulat nécessaire de la raison pra­tique, il n’hésite pas à rapporter le devoir à la volonté divine, qui seule y attache une sanction. Si Barbeyrac maintient la dépendance de la mo­rale à l’egard de la religion naturelle, il exclut cependant de la considération de l’obligation l’idée de l’immortalité de l’àme et des peines à venir. Il distingue, avec une netteté dont on ne rouverait guère d’exemple avant Kant, entre le devoir lui-même et les mobiles qui peuvent en­gager à l’accomplir. L’immortalité de l’âme est un de ces mobiles ; mais, lors même qu’on l’écarterait, l’obligation ne perdrait rien de sa force. Il devance aussi une autre distinction de Kant : celle des devoirs de droit, bornés aux actes exté­rieurs, et des devoirs de vertu, qui ne regardent que le for intérieur, et qui échappent à toute sanction civile. Cette distinction indiquée dans sa réponse à Leibniz, est développée dans deux discours sur la permission et sur le bénéfice des lois, qu’il a insérés également à la suite de sa traduction de l’abrégé de Pufendorf. Il y établit que les lois ne sont pas la mesure du juste, nonseulement parce qu’elles peuvent être injustes, mais parce qu’elles n’embrassent que les devoirs qui intéressent l’ordre social. Il ne faut donc pas se prévaloir, contre le témoignage clair et posi­tif de la conscience, des permissions qu’elles ac­cordent et des droits qu’elles confèrent.

Dans les notes qu’il a jointes aux ouvrages de Grotius et de Pufenforf, Barbeyrac a éclairé plu­sieurs questions de droit naturel, entre autres celle de la propriété, qu’il fonde, non pas sur le fait physique de l’occupation et ae la possession, mais sur l’acte moral de la volonté, par lequel l’homme s’empare de ce qui n’est à personne, pour en faire un usage intelligent et libre. Il re­pousse l’assimilation féodale entre la propriété et la souveraineté politique. Cette dernière n’est fondée que sur le consentement exprimé ou ta­cite des peuples, et il leur appartient d’en modi­fier les conditions, et d’en empêcher l’abus, dus­sent-ils recourir à l’insurrection, à défaut de garanties légales. Le consentemeut des peuples lui paraît nécessaire, même en cas de conquête : autrement la prise de possession du pays conquis n’est que la continuation de l’état de guerre, et elle autorise toujours tous les moyens de ré­sistance que les vaincus ont encore en leur pou­voir. Enfin il rejette, avec Pufendorf, le droit des gens arbitraire, admis par Grotius et par Leibniz : les principes du droit des gens sont ceux du droit naturel, et, quant aux conventions ou aux traités, leur force est tout entière dans les maximes du droit naturel qui défendent de violer un engagement librement contracté. Sa théorie de la famille est moins acceptable. Il fait dé­river les devoirs du mariage des engagements arbitraires des époux ; d’où il infère la légitimité du divorce par consentement mutuel et de la polygamie elle-même. Il ne conteste pas aux pères le droit de vendre leurs enfants. Il ne faut pas oublier que l’esclavage est admis par Leib­niz lui-même, ainsi que par presque tous les au­teurs qui ont traité du droit naturel jusqu’au mi­lieu du xvme siècle.

Barbeyrac montre en général un esprit net, judicieux, libéral, suffisamment versé dans les matières philosophiques et leur faisant une larye part dans les études spéciales auxquelles il a consacré sa vie. Son style est clair, mais peu élégant et d’une prolixité souvent fastidieuse.

Les meilleures éditions des traductions de Barbeyrac sont : 1-pour le traité du Droit de la nature et des gens, de Pufendorf, celles d’Amsterdam, 1720 et 1734, 2 vol. in-4, et de Londres, 1740, 3 vol. in-4 ; 2° pour l’abrégé de Pufendorf, avec les opuscules qu’y a joints le traducteur, celle de 1741, 2 vol. in-12 ; 3° pour le traité de Grotius, du Droit de la paix et de la guerre, celles d’Amsterdam, 1724 et 1729, et de Bâle, 1746, 2 vol. in-4.

On peut consulter sur la philosophie de Barbey­rac une thèse de M. Beaussire, du Fondement de l’obligation morale, Grenoble, 1855. Ém. B.

BARCLAY (Jean). Il naquit eii 1582, à Pont-àMousson, où son père, l’Écossais Guillaume Bar­clay, enseignait avec distinction le droit, après avoir quitté son pays par suite de la chute de Marie Stuart, sa bienfaitrice. Les jésuites, sous la di­rectio a desquels il fit ses premières études dans le collège de sa ville natale, ayant remarqué en lui des facultés peu communes, essayèrent de le gagner à leur ordre ; mais, voyant leurs offres repoussées, leur faveur se changea bientôt en persécutions. En 1603, le jeune Barclay partit avec son père pour l’Angleterre, où il ne tarda pas à attirer sur lui l’attention de Jacques Ier. Il mourut à Rome en 1621. Les ouvrages sur les­quels se fonde principalement sa réputation ap­partiennent à la politique et à l’histoire ; mais il est aussi l’auteur d’un écrit philosophique inti­tulé Icon animarum (in-12, Londres, 1614). Dans ce petit livré, d’ailleurs plein de fines ob­servations et composé dans un latin assez pur, on chercherait en vain quelque chose qui res­semblât à de la psychologie. 11 ne contient qu’une sorte de classification des intelligences et des peintures de caractères, d’après des consi­dérations purement extérieures. L’auteur veut prouver que nos facultés intellectuelles et mo­rales varient suivant les âges, les pays, les grandes époques de l’histoire, les constitutions individuelles et les positions sociales. Dans ce but il passe en revue les différentes physiono­mies par lesquelles se distinguent entre eux les peuples anciens et modernes, et celles que nous présentent les individus dans les diverses classes de la société, dans les professions les plus importantes. Voici la liste des autres ouvra­ges de Jean Barclay : Euphormionis Satyricon, in-12, Lond., 1603 ; Histoire de la conspiration des poudres, in-12, Lond., 1605 ; Argents, Paris, 1621. Le premier de ces trois écrits est, sous la forme d’un roman, une satire politique principalement dirigée contre les jésuites. Le dernier est une allégorie politique sur la situa­tion de l’Europe, et particulièrement de la France au temps de la Ligue.

BARDESANE D’ÉDESSE, VOy. GNOSTICISME.

BARDILI (Christophe-Godefroi), né à Blaubeuren en 1761, d’abord répétiteur de théologie, puis professeur de philosophie dans plusieurs éta­blissements. Il mourut en 1806.11 eut la préten­tion de réformer la philosophie en la ramenant à une sorte de logique mathématique qui rap­pelle les idées de Hobbes sur ce sujet, mais qui fait surtout pressentir la logique de Hégel. Il at­taque avec une extrême violence les doctrines de Kant, de Fichte et de Schelling ; il prétend que la philosophie allemande est très-malade, et ne voit d’autre moyen de la sauver que l’analyse raisonnée de la pensée. Voici les principaux ré­sultats de son travail.Le