les ; il institue un nouvel art logique qui le dispute presque en complication à la logique scolastique. Il réglemente et la méthode expérimentale et la methode inductive. Pour la première, il passe en revue tous les procédés de l’observation, tous les genres d’expérience ? et indique le parti que l’on peut tirer de certains faits qu’il nomme privilégies (Prærogativæ instantiarum). Pour l’induction, il veut que l’on fasse sur chaque sujet une sorte d’enquête, et que l’on dresse trois tables : une Table de présence ( Tabula præsentiœ), qui réunira tous les faits où se trouvent les causes présumées ; une Table d’absence (Tabula absentiæ), où seront consignés les cas dans lesquels l’une de ces causes aura manqué ; une Table de degrés (Tabula graduum), où l’on indiquera les variations correspondantes des effets et des causes. C’est dans le deuxième livre du Novum Organum que cette méthode est exposée en détail.
Peut-être Bacon a-t-il trop donné à la méthode d’induction, maltraitant fort le syllogisme (auquel cependant il sait, faire sa part), et connaissant peu les procédés de transformation et d’analyse qu’emploie le mathématicien ; peut-être aussi trouverait-on quelques points obscurs, quelques détails inapplicables dans l’exposé de sa méthode, mais, ces réserves faites, on doit reconnaître qu’ici encore il a vu la vérité, et qu’il a obtenu un plein succès. Les fausses méthodes qu’il a signalées ont été peu à peu abandonnées ; la méthode nouvelle qu’il préconisait a été partout proclamée, a partout triomphé. Quand Newton. dans ses Principes de la Philosophie naturelle et dans son Optique, expose la marche qu’il a suivie, que fait-il autre chose que reproduire les règles de méthode tracées par Bacon ?
Dans l’examen des résultats de la méthode baconienne, il faut distinguer ce que Bacon a fait lui-même et ce qu’ont fait ses successeurs. On doit à ce philosophe un assez grand nombre de découvertes et d’aperçus qui suffiraient pour le placer parmi les premiers physiciens de son siècle :
ilinvente un thermomètre (Nov. Org., lib. II, aph. 13) ; il fait des expériences ingénieuses sur la compressibilité des corps, sur leur densité, sur la pesanteur de l’air et son efficacité ; il soupçonne l’attraction universelle et la diminution de cette force en raison de la distance (aph. 35, 36 et 45) ; il entrevoit la véritable explication des marées (aph. 45 et 48), la cause des couleurs, qu’il attribue à la manière dont les corps, en vertu de leur texture différente, réfléchissent la lumière, et mérite ainsi d’être appelé le prophète des grandes vérités que Newton est venu révéler aux hommes. D’un autre côté, il est tombé dans de graves erreurs, et a eu le tort de combattre le système de Copernic ; de sorte que si l’on voulait juger sa méthode par les seuls résultats qu’il a obtenus lui-même, on pourrait la juger assez défavorablement, ou même lui refuser toute valeur, comme l’a fait Joseph de Maistre. Mais il ne serait pas équitable de procéder ainsi. Bacon luimême répète en vingt endroits que son but est moins de faire des découvertes que d’en faire faire, se comparant tantqt à ces statues de Mercure qui montrent le chemin sans marcher ellesmêmes, tantôt au trompette qui sonne la charge sans combattre. En outre, il déclare formellement, en donnant son opinion sur certains points de la science, qu’il ne prétend point en cela appliquer sa méthode, et qu’il n’offre encore que des résultats provisoires obtenus par la méthode vulgaire.
10DICT. PHILOS.Mais si. au lieu de considérer Bacon, on consulte ses disciples et ses successeurs, on voit bientôt l’arbre porter tous ses fruits. Grâce à la methode nouvelle, les sciences prennent un rapide essor, et font en deux cents ans plus de progrès qu’il n’en avait été fait en trente siècles. C’est à tort que Bacon a été accusé d’être l’adversaire des sciences métaphysiques ; sa méthode s’applique aux recherches psychologiques aussi bien qu’aux sciences physiques et naturelles, et c’est du progrès des recherches ainsi conduites qu’il fait dépendre la découverte de moyens efficaces pour aider ou réformer l’esprit humain. La gloire de l’école écossaise a été d’appliquer la méthode baconienne à la science de l’esprit humain, et de donner ainsi à la psychologie une base solide.
Toutefois, en attribuant à la méthode expérimentale et inductive les rapides progrès des sciences, nous ne prétendons pas, avec les partisans fanatiques de Bacon, qu’avant lui on n’avait rien su, et que c’est à lui seul qu’on doit faire honneur de tout ce qui s’est fait depuis. Bien des découvertes isolées s’étaient faites avant le xvne siècle ; dans le temps même de Bacon plusieurs hommes de génie, Galilée à leur tête, travaillaient à l’avancement de la science ; enfin depuis Bacon, bien des recherches ont été entreprises avec succès par des hommes qui peut-être ne connaissaient nullement 1 & Novum Organum. Ce qui est vrai, c’est qu’avant Bacon, on n’avait pas compris toute l’importance de la méthode expérimentale et inductive, et que personne n’avait songé à la réduire en art ; ce qui est vrai encore, c’est que tous les travaux de quelque valeur entrepris depuis ont été exécutés d’après les règles posées par Bacon, qu’on le sût ou qu’on l’ignorât. En proclamant comme la seule voie de salut la méthode expérimentale et inductive, Bacon exprimait un besoin qui commençait à se faire généralement sentir ; et comme tous les grands hommes, il ne faisait que résumer son siècle, et aider à la marche des temps, en accomplissant une révolution qui était mûre.
Après la grande question de la méthode, un des objets auxquels le nom de Bacon est resté attaché, c’est la division des sciences, ou plutôt des produits de l’esprit humain. Il fonde cette division sur la différence même des facultés que l’esprit applique aux objets après qu’ils ont été saisis par lessens : de la mémoire, il fait naître l’histoire (qui comprend l’histoire naturelle comme l’histoire civile) ; de l’imagination, la poésie, dans laquelle il fait entrer tous les arts ; de la raison, la philosophie (qui embrasse, avec la science de la nature, celle de Dieu et de l’homme). Cette classification, reproduite au dernier siècle avec de nouveaux développements en tête de l’Encyclopédie, acquit alors une grande célébrité, et elle a donné lieu depuis à de nombreuses critiques et à plusieurs essais de remaniement. Mais Bacon n’y attachait qu’une importance fort secondaire ; placée en tête du de Augmentis, cette division n’etait pour lui qu’un cadre propre à recevoir les conseils de réforme qu’il adressait à chaque science.
On a élevé contre la philosophie de Bacon d’assez graves accusations. On a fait de ce philosophe le père du sensualisme moderne. Si par là on a voulu dire qu’il conseille à la science de viser à des applications utiles, commodis humanis inservire, on a raison ; mais si on prétend qu’il formula et défendit cette doctrine qui fait dériver toutes nos idées des sens, on se trompe : nulle part il ne soutient cette opinion ; il ne se pose pas même la question, et ne paraît pas l’avoir soupçonnée. Il est vrai que, dans la Philosophie naturelle} il recommande de ne s’appuyer que sur l’experience, de se défier des axiomes gratuits qu’on admettait aveuglément ; mais s’ensuit-il qu’il niât ou qu’il fît dériyer des sens les idées et les vérités absolues sur lesquelles la lutte