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et IV. Ce n’était pas encore assez d’avoir trouvé la méthode, si l’on n’enseignait la ma­nière de s’en servir : pour cela, il fallait d’abord, avec le secours de l’observation et de l’expé­rience. rassembler le plus grand nombre de faits possible, c’est l’objet de la troisième partie, ïllistoire naturelle et expérimentale ; puis, tra­vailler sur ces faits de manière à s’élever gra­duellement, par une sorte d’échelle ascendante, de la connaissance des faits singuliers à la dé­couverte de leurs causes et de leurs lois, ou à redescendre par une marche inverse de ces lois générales à leurs applications particulières ; ce travail est l’office d’une quatrième partie que Bacon appelle YÈchelle de l’entendement (Scala intellect us). V et VI. Il semblait qu’après ces recherches il n’y eût plus pour constituer la science qu’à recueillir et ordonner en un corps régulier les vérités découvertes par l’application de la méthode ; mais Bacon, pensant avec raison que le moment n’était pas encore venu de don­ner des solutions définitives, fait précéder la vraie philosophie d’une science provisoire dans laquelle il consigne les résultats obtenus par les méthodes vulgaires. De là encore deux parties qui complètent Ylnstauratio ; l’auteur appelle la cinquième Avant-coureurs ou Anticipations de la philosophie (Prodromi sive Anticipationes philosophice), et la sixième, Philosophie seconde (par opposition à la philosophie provisoire ou préliminaire), Science active (c’est-à-dire propre a l’action, à la pratique), Philosophia secunda sive activa.

De ces six parties, l’auteur a, comme on l’a dit, exécuté la première dans le de Augmentis ; il a écrit aussi la portion la plus importante de la deuxième : en effet, il ne manque guère au No­vum Organum, pour être une exposition com­plète de la nouvelle méthode, que les préceptes sur l’art de redescendre du général au particu­lier, et d’appliquer la théorie à la pratique ; la troisième et la quatrième partie ont été à peine ébauchées par l’auteur dans ses diverses histoires (Historia Densi et Rari, Historia Ventorum, Historia Vitœ et Mortis, Sylva sylvarum), ainsi que dans les morceaux qui ont pour titres : To­pica inquisitionis de luce et lumine, Inquisitio de forma calidi, etc., qui offrent quelques es­sais informes de l’application de l’induction à la recherche des causes et des essences. A la phi­losophie provisoire, qui forme la cinquième par­tie, appartiennent plusieurs mémoires sur di­vers points de la science, que Bacon a laissés manuscrits ; tels sont ceux qui ont pour titres : Cogitationes de natura rerum, de Fluxu, Thema cœli, de Principiis et Originibus. Quant à la sixième partie, c’est un monument dont il pouvait tout au plus tracer l’ordonnance, mais dont il laissait la construction aux siècles futurs. En effet, l’édifice n’a pas tardé à s’élever : il a été promptement avancé par ceux qui ont su manier le nouvel instrument, par les Boyle, les Newton, les Franklin, les Lavoisier, les Volta, les Linné, les Cuvier.

Il nous faut maintenant entrer dans quelques détails sur ce qu’il y a de plus important dans la réforme tentée par Bacon, à savoir : son but, sa méthode et ses résultats.

Son but, c’est l’utilité pratique de la science, c’est le bien de l’humanité. Bacon voulut qu’au lieu de se livrer à d’oiseuses et stériles spé­culations, la science ne visât qu’à des applications pratiques ; qu’au lieu de nous apprendre à com­battre un adversaire par la dispute, elle tendît à enchaîner la nature elle-même·, et à établir l’empire de l’homme sur l’univers ; qu’au lieu de dépendre d’heureux hasards le progrès des arts et de l’industrie fût assuré par le progrès de la science ; c’est duns ce sens qu’il répète sans cesse : « Savoir, c’est pouvoir ; Ce qui est cause dans la spéculation, devient moyen dans l’industrie ; —Pour dompter la nature, il faut s’en faire l’esclavo, etc. » Scientia et poten­tia humana in idem coincidunt, quia igno­ratio causœ destituit effeelum ; Λ alura non nisi parendo vincitur ; Quod in contem­platione instar causœ est, id in operatione instar regulœ est (Nov. Org., lib. I. c. m). C’est par les mêmes motifs que, dans le deuxième titre du Novum Organum} à ces mots : sive de Interpretatione naturœ, il ajoute ceux-ci : cl regno hominis, et qu’il donne à la science défi­nitive vers laquelle doivent tendre tous nos efforts le nom de scientia activa. Les innom­brables applications qu’on a faites de la science à l’industrie, les merveilleuses découvertes qui, depuis deux siècles, sont nées de ce concert et qui ont centuplé la puissance de l’homme en augmentant ses jouissances, prouvent surabon­damment combien ce grand homme avait vu juste sur tous ces points. Ainsi, sous ce rapport, la révolution dont il avait donné le signal a été pleinement consommée.

Sa méthode, c’est l’observation, soit pure, soit aidée de l’expérimentation, et fécondée par l’in­duction. Il voulut, en effet, qu’au lieu de se con­tenter, comme on l’avait fait jusque-là, d’hypo­thèses gratuites, la science ne s’appuyât que sur l’observation qui recueille les révélations spon­tanées de la nature, ou sur des expériences ha­biles et hardies qui mettent, pour ainsi dire, la nature à la question pour lui arracher ses se­crets ; qu’au lieu de débuter, comme la scola­stique, par de vaines abstractions, par des pro­positions générales admises sans contrôle, la philosophie commençât par le particulier et le concret, et qu’elle soumît à un examen rigoureux tout ce qui avait été regardé jusque-là comme un axiome incontestable ; qu’au lieu de préten­dre découvrir la vérité parla seule force du syllogisme, et en la tirant par déduction d’un petit nombre de principes abstraits, on ne procédât à la recherche des causes des phénomènes et des lois de la nature qu’avec le secours d’une induc­tion légitime. Ces recommandations sont cent fois répétées. L’induction de Bacon, pour em­ployer une comparaison qui lui est familière, est’une échelle double par laquelle on s’élève des effets aux causes, des faits particuliers aux lois générales de la nature, pour redescendre en­suite des causes aux effets, des lois générales aux applications particulières. Afin de découvrir par cette induction la véritable cause, la véritable loi d’un phénomène, la véritable essence d’une propriété (ce que Bacon appelle sa forme, en con­servant une expression de la scolastique dont il change le sens), il faut, après avoir recueilli par l’observation tous les faits qui précèdent ou qui accompagnent le phénomène en question, con­fronter tous ces faits avec le plus grand soin, re­jeter ou exclure tous ceux en l’absence desquels le phénomène peut se produire, noter ceux en présence desquels il se produit toujours ; recher­cher parmi ces derniers ceux qui varient en de­gré, c’est-à-dire qui croissent ou décroissent avec lui ; c’est à ces caractères que l’on reconnaît la véritable cause ; la manière dont cette cause agit constamment en est la véritable loi. Qn appli­quera ensuite la : même méthode à la recherche du principe de cette première cause, de la loi de cette première loi, et l’on s’élèvera ainsi graduel­lement aux causes suprêmes, aux lois univer­selles.

BACO= 3AU0 = Bacon ne se contente pas de ces vues généra­