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1861. — G. Lewes, Histoire de la philosophie (en anglais), Londres, 1871, t. XI, p. 77. E. C.

BACON (François) célèbre philosophe anglais, regardé comme le père de la philosophie expé­rimentale, naquit à Londres le 22 janvier 1560. Il était fils de Nicolas Bacon, jurisconsulte distingué, garde des sceaux sous Élisabeth, et d’Anna Cook, femme d’une grande instruction et d’un rare mérite. Il se fit remarquer, dès son enfance, par la vivacité de son esprit et la pré­cocité de son intelligence, et fut envoyé à treize ans au collége de la Trinité, à Cambridge, où il fit de rapides progrès. Il n’avait pas encore seize ans qu’il commença à sentir le vide de la philo­sophie scolastique ; il la déclara dès lors stérile et bonne tout au plus pour la dispute. C’est ce que nous apprend le plus ancien de ses biogra­phes, le révérend W. Rawley, son secrétaire, qui le tenait de lui-même. Destiné aux affaires, il fut envoyé en France, et attaché à l’ambassade d’An­gleterre ; mais il perdit son père à vingt ans, au moment même où un tel appui lui eût été le plus utile. Laissé sans fortune, il abandonna la car­rière diplomatique, revint dans sa patrie et se mit à étudier le droit afin de se créer des moyens d’existence. Il ne tarda pas à devenir un avocat habile, et fut nommé avocat au conseil extraor­dinaire de la reine, fonctions honorifiques plu­tôt que lucratives; il se vit aussi, vers le même temps, chargé par la Société de Gray’s Inn de professer un cours de droit. Ses nouvelles études ne lui faisaient pourtant pas perdre de vue l’in­térêt de la philosophie, qui avait toutes ses pré­dilections:on le voit a. l’âge de vingt-cinq ans tracer la première ébauche de l’Instauratio magna dans un opuscule auquel il donnait le ti­tre ambitieux de Temporis partus maximus (La plus grande production du temps).

Afin de concilier son amour pour la science avec le soin de sa fortune, Bacon sollicitait un emploi avantageux qui lui laissât du loisir. Il s’attacha pour réussir à des personnages in­fluents, notamment à William Cécil et à Robert Cécil, ministres tout-puissants ; mais ceux-ci, quoique étant ses parents, ne firent rien pour lui. Il se tourna ensuite vers le comte d’Essex, favori de la reine, qui, avec plus de bonne vo­lonté, ne put rien obtenir. Mieux traité par ses concitoyens, il fut nommé, en 1592, membre de la Chambre des communes par le comté de Middlesex.

C’est à trente-sept ans seulement que Bacon débuta comme auteur. Il fit paraître à cette époque (1597) des Essais de morale et de poli­tique, écrits originairement en anglais, et qu’il mit plus tard en latin sous le titre de Sermones fideles, sive Interiora rerum (1625), ouvrage rempli de réflexions justes, de conseils d’une utilité pratique qui lui fit prendre rang parmi les premiers écrivains de son pays comme parmi les plus profonds penseurs. Il composa aussi vers le même temps, sur des matières de juris­prudence et d’administration, divers ouvrages qui n’ont vu le jour qu’après sa mort, et il con­çut le vaste projet de refondre toute la législation anglaise ; mais ce projet, auquel il revint plusieurs fois par la suite, resta sans exécution.

Lorsque le malheureux comte d’Essex, poussé au désespoir, eut tramé la plus folle des conspi­rations, Élisabeth exigea que Bacon, en sa qua­lité de conseiller extraordinaire de la reine, as­sistât le ministère public dans l’instruction du procès, et le courtisan consentit à devenir un des accusateurs de celui dont il avait recherché la protection. Malgré cette lâche complaisance, il n’obtint rien tant que vécut Élisabeth.

Plus heureux sous Jacques Ier, il plut par sa vaste instruction et son esprit à ce prince qui avait de grandes prétentions à la science, et sut bientôt se concilier toute sa faveur, soit en dé­fendant avec chaleur auprès de la Chambre des communes l’important projet que le roi avait formé de réunir l’Angleterre et l’Écosse, soit en travaillant par ses écrits à faire cesser les dis­sensions religieuses, soit en publiant sous les auspices du roi un ouvrage qui devait honorer son règne : nous voulons parler du traité of thie Proficience and Advancement of learning divine and human (1605), que l’auteur refondit plus tard en le mettant en latin sous ce titre : de Dignitate et Augmentis scientiarum (1623). Dans ce livre, qui est le premier fondement de sa gloire comme philosophe, il s’attachait à mon­trer le prix de l’instruction en repoussant les ac­cusations des ennemis des lumières, et passait en revue toutes les parties de la science, afin de reconnaître les lacunes ou les vices qu’elle pou­vait offrir, et d’indiquer les moyens d’accroître ou de perfectionner les connaissances humaines. En même temps qu’il méritait ainsi la faveur du roi, il ne dédaignait pas de se concilier son in­digne favori, Villiers, duc de Buckingham, et il obtenait ses bonnes grâces en lui rendant avec un empressement obséquieux des services qui faisaient pressentir ce qu’on pourrait attendre de sa complaisance s’il arrivait un jour au pou­voir.

Jacques Ier, qui, dès son avénement (1603), avait créé Fr. Bacon chevalier, ne tarda pas à accumuler sur lui les faveurs. En 1604, il lui donna le titre de conseil ou avocat ordinaire du roi, au lieu de celui de conseil extraordinaire, qu’il avait porté jusque-là, l’appelant ainsi à un service plus actif auprès de sa personne ; il lui accorda en même temps une pension de 100 livres sterling. En 1607, il le nomma sollicitor général ; en 1613, attorney général ; en 1616, membre du Conseil privé ; en 1617, garde du grand sceau ; enfin, lord grand chancelier (1618) ; en outre, il le créa baron de Vérulam (1618), puis vicomte de Saint-Alban (1621), et le dota d’une riche pension.

Tout en remplissant avec zèle les diverses fonc­tions qui lui furent confiées successivement, Bacon trouvait encore des loisirs pour se livrer à ses étu­des favorites : ainsi, en 1609, il publia l’ingénieux opuscule de Sapientia veterum (de la Sagesse des anciens), où il voulut montrer que les véri­tés les plus importantes de la philosophie, aussi bien que de la morale, étaient cachées sous les fables que l’antiquité nous a transmises, s’effor­çant de propager ainsi à l’aide de l’allégorie les principaux dogmes d’une philosophie nouvelle. En 1620, il fit paraître, sous le titre de Novum Organum, sive Indicia vera de interpretatione naturæ et regno hominis, un ouvrage qu’il mé­ditait depuis bien des années, et dont il avait déjà tracé plusieurs ébauches (notamment l’opus­cule intitulé Cogitata et visa de interpretatione naturæ, sive de Inventione rerum et artium, rédigé dès 1606, mais resté inédit). Dans ce li­vre, qui devait commencer la révolution des sciences, Bacon se propose, comme l’indique le titre même, de substituer à la logique scolasti­que, au célèbre Organon d’Aristote, une logique toute nouvelle, un Organon nouveau. L’auteur l’écrivit en latin, afin que ses conseils pussent être lus et mis en pratique par tous les savants de l’Europe ; il le partagea en aphorismes afin que les préceptes qu’il contenait fussent plus frappants et pussent se graver plus facilement dans la mémoire.

La gloire de Bacon comme savant, son crédit et sa puissance comme homme d’État étaient au