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leur conscience s’altère ou garde sa pureté, leur entendement s’obscurcit ou s’éclaire. Il y a action de la pensée sur la volonté, et réaction de la volonté sur la pensée ; elles ne sont point iso­lées : l’homme est un. Il faut donc, dans la re­cherche de Dieu, se ceindre d’obéissance, selon l’expression du poëte oriental. Tout ceci peut être regardé comme vrai. L’expérience montre que notre conduite exerce un grand empire sur notre pensée. La raison enseigne que le vrai et le bon sont un. L’homme n’est donc pas dans la vérité, tant qu’il demeure dans le mal. 11 peut avoir d’elle alors une image abstraite et morte ; il ne possède pas la vérité vivante et réelle. Pour bien penser, il faut bien vivre.

Baader s’est, dans la philosophie de la nature, aussi nettement séparé du panthéisme que dans la théorie de la liberté. Les poètes, inspirés par leur génie divinatoire, ont vu dans les tristesses et les joies de la nature, dans ses fêtes et ses deuils, dans ses voluptés et ses fureurs, l’image de nos espérances et de nos regrets, de notre bonheur et de notre infortune, de nos amours et de nos haines, l’image de l’homme tombé. Les religions sont unanimes à expliquer par une chute les fléaux de la nature, et par le péché la mort. Que doit penser la philosophie ? On trouve ici les mêmes solutions que pour la liberté. Le déisme et le panthéisme voient dans la mort comme dans le mal une institution nécessaire à l’économie du fini. Mais la mort n’est pas plus nécessaire que le mal. Nous avons au dedans de nous le type d’une nature idéale, dont les formes sont d’une irréprochable correction · elle ne con­naît ni souffrance, ni laideur^ ni déclin ; elle a l’éternelle jeunesse de ce qui est parfaitement beau. La raison enseigne qu’il doit y avoir har­monie de l’idéal et du réel. Cette harmonie n’existe pas dans l’ordre présent de la nature ; il n’est donc pas l’ordre divin, l’ordre légitime, l’ordre primifif. La nature souffrante, infirme, périssable, est une nature déchue. La mort est donc la suite du mal, et n’affligeait pas le monde avant le péché. Baader arrive ici à une hypo­thèse aventureuse. La mort, selon lui, était avant l’homme ; l’histoire des révolutions du globe le prouve : il y a donc eu une chute antérieure à celle de l’homme, et la création de la terre est en rapport avec cette ancienne catastrophe. Le chaos de la Genèse n’est que les ruines confuses de la région céleste que gouvernait Satan et que troubla sa révolte. Le travail des six jours a eu

Sour fin d’ordonner et de réparer cette grande estruction. Ce ne fut qu’au terme de l’œuvre que la puissance du mal fut domptée. La mort était emprisonnée ; la désobéissance de l’homme lui ouvrit de nouveau les portes.

La nature, Isis voilée, semble vouloir punir les audacieux qui osent tenter ses mystères. Baader s’est permis dans la philosophie de la nature d’é­tranges aberrations. Il revient aux élucubrations de Jacob Bœhm et de Paracelse. Il est à regret­ter aussi qu’il ait donné dans son système, aux merveilles du somnambulisme, une place qu’elles n’ont pas dans la nature. S’il est frivole de ne négli­ger aucun fait, il est téméraire de trop vite les expliquer ; il faut d’ailleurs toujours garder la juste proportion, et l’univers ne s’explique pas par une crise nerveuse. Baader a suivi avec grande attention la fameuse voyante de Prévorst, qui a tant occupé toute l’Allemagne sa­vante et rêveuse, etjusc[u’à Strauss lui-même ; il est fâcheux qu’il ait jete par là quelque défaveur sur sa philosophie, qui renferme, du reste, tant de précieux aperçus.

Baader n’a pas en Allemagne toute la réputa­tion qu’il mérite. On ne lui a pas encore par­donné le dédain qu’il avait de l’appareil systcmatique dont on a si fort la superstition au delà du Rhin. Il a dérouté les habitudes do lourde méthode qu’affectionne la science allemande. Baader, au lieu de faire un gros livre, a dispersé ses idées dans une multitude de brochures, et l’on a bien quelque peine à réunir en un même corps tous les membres de son système. Mais on sent toujours chez lui l’intime harmonie qui coor­donne tous les détails. Baader n’en a pas moins exercé une grande influence : par sa polémique surtout, si incisive et si spirituelle, il a beaucoup contribué à la réaction contre le panthéisme. 11 compte ses partisans les plus nombreux parmi les mystiques et les théologiens philosophes. Ju­lius Mulier, entre autres, a » écrit d’après ses principes un livre remarquable sur la chute et la rédemption. Hoffmann a publié, pour servir d’introduction à la philosophie de Baader, un volume facile et agréable, die Vorhalle zu Baader.

Il paraîtra peut-être paradoxal, après tout cela, de dire que Baader est un des philosophes allemands dont l’étude pourrait avoir le plus d’attrait et de profit pour nous. Nous croyons qu’il en est ainsi pourtant. Baader aimait l’es­prit français, et le savait comprendre. Il avait même pour lui une prédilection qui lui a donné la fantaisie d’écrire un jour en français (et quel français 1) deux petits traités, qui feraient prendre de ce penseur une idée bien fausse à ceux qui ne le connaîtraient pas autrement. Malgré toutes ces excentricités et de fâcheuses préoccupations, il y a dans Baader une verve, une originalité, un rapide et libre mouvement que nous suivons plus volontiers que les lentes évolutions d’une métaphysique d’école. Sa pensée est profonde et difficile, mais, sauf les abus de mysticisme, pré­cise, nette, bien déterminée. Surtout, ce ne sont point chez Baader de vaines abstractions ; c’est l’homme, trop visionnaire sans doute et trop en­touré de spectres, mais enfin l’homme vivant et réel, qu’il s’efforce d’étudier et de faire con­naître. Baader a semé ses ouvrages d’une foule d’aperçus ingénieux, de vues nouvelles et d’idées fécondes. Il y a plus de bonne psychologie chez lui que dans aucun autre philosophe allemand. Ce n’est souvent qu’un trait, une saillie, quelque­fois une boutade, toujours une vive lumière.

Voici la liste des principaux ouvrages de Baader ; dont une édition complète vient d’être pu­bliée sous ce titre : Œuvres complètes de Fr. Baader publiées par Fr. Hoffmann, Leipzig,

  1. 15 vol. in-8 ; —Extravagance absolue de la liaison pratique de Kant, lettre à Fr. H. Jacobi, in-8, 1797 (ail.) ; Considérations sur la philosophie élémentaire, en opposition au traite de Kant intitulé : Principes élémentaires de la Science de la nature, in-8, Hamb., 1797 (ail.) ;
  • Mémoire sur la Physiologie élémentaire, in-8, Hamb., 1799 (ail.) ; sur le Carré des pythagoriciens dans la nature, in-8, Tubingue, 1799 (ail.) ; Mémoire de Physique dyna­mique, in-8, Berlin, 1809 (ail.) ; Démonstra­tion de la morale par la physique, in-8, Munich, 1813 ; et dans ses Ecrits et Compositions philo­sophiques, 2 vol. in-8, Munster, 1831 et 1832 ; de l’Eclair, comme père de la lumière (dans le même recueil) ; Principes d’une Théorie des­tinée à donner une forme et une base à la vie humaine, in-8, Berlin, 1820 (ail.) ; Fermenta cognitionis, 3 cahiers in-8, Berlin, 1822-1823 ; de la Quaaruplicité de la vie, in-8, Berlin, 1819 ;,
  • Leçons sur la Philosophie religieuse en oppo­sition avec la Philosophie irréligieuse dans les temps anciens et modernes, in-8, Munich, 1827 (ail.) ; Leçons sur la Dogmatique spéculalive,