libre arbitre, quelle que soit la douceur avec laquelle il l’incline, quelle que soit l’apparente liberté qui se manifeste à la conscience, cette liberté n’est-elle pas une pure illusion ? et la volonté captive, sans sentir, il est vrai, le poids de ses chaînes, ne reste-t-elle pas dépendante d’une puissance supérieure ? Telles sont, du moins, les conséquences que donne la raison livrée à elle-même, sans que nous prétendions les défendre outre mesure. Nous ne discutons point, en effet, la doctrine de la grâce ; nous n’établissons point de préférence entre elle et la théorie purement philosophique du libre arbitre, encore moins en cherchons-nous l’accord ; nous constatons seulement que les conditions d’harmonie que saint Augustin se flattait d’avoir trouvées entre elles ne sauraient satisfaire entièrement l’intelligence, et nous pensons qu’il vaut mieux garder ces vérités sous le sceau du mystère, que de les compromettre par des solutions imparfaites.
Tels sont, parmi les questions que la philosophie a pour objet de résoudre, les points principaux auxquels saint Augustin s’est arrêté dans ses nombreux écrits. Si l’on ne peut refuser à la manière dont il les a traités l’élégance de la forme, et beaucoup d’aperçus de détails dont la finesse est portée quelquefois jusqu’à la subtilité, on doit reconnaître aussi que le fond appartient à l’ensemble des connaissances philosophiques transmises au monde romain par le génie des Grecs. Du reste, saint Augustin est loin de s’en défendre, et sa reconnaissance, pour les hommes dans les travaux desquels il a puisé une partie de son savoir, éclate avec enthousiasme dans plusieurs de ses écrits. Dans la Cité de Dieu, en particulier (liv. X, ch. n), il reconnaît que les platoniciens ont eu connaissance du vrai Dieu, et regarde ^opinion de Platon sur l’illumination divine comme parfaitement conforme à ce passage de saint Jean (c. i, v. 9) : Luxvera quœ illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. Ii revient même sur une erreur par lui commise en supposant que Platon avait reçu la connaissance de la vérité de Jérémie, qu’il aurait vu dans son prétendu voyage en Egypte. Il rétablit de bonne foi les dates, qui mettent un intervalle de plus d’un siècle entre le prophète hébreu et le philosophe grec (la Cité de Dieu, liv. VIII, c. xi) ; mais il n’en maintient pas moins ce qu’il a avancé de Platon. La seule différence qu’il trouve entre lui et saint Paul, c’est que l’apôtre, en nous faisant connaître la grâce, nous a montré, agissant et opérant, le Dieu qui, pour la philosophie platonicienne, n’était qu’un objet de contemplation.
Saint Augustin était trop éclairé, son érudition trop étendue, sa supériorité sur la plupart de ses contemporains trop peu contestable, pour qu’il crût avoir à redouter quelque chose de la science, ou qu’il pensât que la foi qu’il défendait dût perdre à en accepter le secours. Dans le second livre du Traité de l’Ordre, il fait voir que la science est le produit le plus digne d’admiration de la raison ; il la décompose dans ses divers éléments : la grammaire, la dialectique, la rhétorique, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie, et il en rétablit ensuite les rapports et l’ensemble. Telle qu’elle est, il la considère comme une introduction, comme une préparation nécessaire à la connaissance de l’àme et de Dieu, qui constitue à ses yeux la véritable sagesse. Mais nulle part il n’a’exprimé son opinion sur la dignité de la science, sur le devoir pour l’esprit d’en sonder les profondeurs, aussi bien que dans le morceau suivant, où il applique à cette recherche le quœrite et invenietis de saint Matthieu : « Si croire, dit-il (de Lib. Arb., lib. II, c. n), n’était pas autre chose que comprendre, s’il ne fallait pas croire d’abord, pour éprouver le désir de connaître ce qui est grand et divin, le prophète eût dit inutilement : « Si vous ne « commencez par croire, vous ne sauriez com« prendre. » Notre-Seigncur lui-même, par ses actes et par ses paroles, a exhorté à croire ceux qu’il a appelés au salut ; mais, en parlant du don qu’il promet de faire au croyant, il ne dit pas que la vie éternelle consiste a croire, mais bien à connaître le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ qu’il a envoyé. A ceux qui croient déjà, il dit ensuite : Cherchez et vous trouverez ; car on ne saurait regarder comme trouvé ce qui est cru sans être connu, et personne n’est capable de parvenir à la connaissance de Dieu ; s’il ne croit d’abord ce qu’il doit connaître ensuite. Obéissons donc au precepte du Seigneur, et cherchons sans discontinuer. Ce que ses exhortations nous invitent à chercher, ses démonstrations nous le feront comprendre autant que nous le pouvons dès cette vie, et selon l’état actuel de nos facultés. »
Nous ne pouvons terminer cette esquisse des doctrines philosophiques de saint Augustin, sans dire quelque chose des deux plus célèbres ouvrages de ce Père. Nous voulons parler des Confessions et de lu Cité de Dieu.
Les Confessions sont l’histoire des trente-trois premières années de la vie de saint Augustin, et surtout des mouvements intérieurs qui l’agitèrent dans sa longue incertitude entre les principes du manichéisme et les dogmes orthodoxes qu’il embrassa enfin en 386. 11 ne cherche ni à dissimuler ses fautes, ni à exagérer son repentir. L’enthousiasme qui règne dans ces récits est un enthousiasme sincère, quoique dans l’expression on retrouve quelquefois les habitudes du rhéteur. Cette biographie se termine à la mort de sa mère, qu’il raconte à la fin du IXe livre. Les quatre derniers contiennent diverses solutions qui préoccupaient vers cette époque l’esprit de saint Augustin, et principalement l’ébauche des livres qu’il écrivit plus tard sur la Genèse contre les manichéens.
Quant à la Cité de Dieu, vantée outre mesure par des écrivains dont plusieurs semblent n’en avoir connu que le titre, cet ouvrage est loin de répondre à l’idée qu’on s’en fait. Composé pour démontrer que la prise de Rome par Alanc n’était pas un effet de la colère des dieux irrités du triomphe du christianisme, il présente quelques aperçus très-faibles sur le gouvernement temporel de la Providence, et sur les côtés défectueux de la religion et de la politique des Romains. Cet examen de la supériorité du vrai Dieu sur les dieux du paganisme ne saurait être d’aucun intérêt pour nous, et il nous importe peu de savoir si les demi-dieux de l’antiquité sont ou ne sont pas les démons des traditions chrétiennes. Cette lutte des deux cités, ou plutôt du peuple élu avec les peuples que Dieu a laissés dans l’ignorance de la vérité, et que saint Augustin parcourt depuis l’origine du monde jusqu’à la consommation des siècles, est plus remarquable par l’érudition que par l’ordre et le discernement, et ne remplit nullement l’attente de ceux qu’attire naturellement un titre si magnifique.
AYICÀ vie= 127 = En résumé, les ouvrages de l’évêque d’Hippone témoignent d’une vaste érudition, d’une connaissance, sinon très-profonde, au moins étendue de la philosophie antique, d’un esprit facile, enthousiaste et sincère. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est le besoin incessant de se rendre un compte raisonné de sa croyance, de pénétrer aussi avant dans l’intelligence du dogme, que le