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On ne peut pas ignorer, sans doute, par quel­ques autres passages, que saint Augustin recon­naît à l’âme une existence substantielle ; cepen­dant, presque partout, les expressions qu’il em­ploie feraient soupçonner qu’il la considère plus volontiers comme la conception abstraite de la raison, de la sagesse, etc. On est même amené à croire que, dans certains passages, saint Au­gustin suppose à l’âme une éternité simplement conditionne.le : impossible, si elle s’écarte de la raison et de la vérité ; possible, nécessaire même, si elle s’y conforme de plus en plus (de Immort. Animœ, c. vi). Quoique saint Augustin rappelle à la fin du même chapitre que nous citons qu’il a déjà démontré que l’âme ne pouvait se sépa­rer de la raison, et que, de toutes ces prémisses, il conclue qu’elle est immortelle, la difficulté qui reste n’est, pas moins grande, puisqu’il est incon­testable que l’âme s’écarte souvent de la raison et rejette la vérité, et que c’est sur cette possi­bilité même que repose l’idée du péché et la doc­trine du libre arbitre. Du reste, cette incertitude se produira toujours, lorsqu’on cherchera l’im­mortalité de l’âme ailleurs que dans sa nature et son essence, lorsqu’on la placera dans certaines modifications qu’elle peut ou non recevoir, dans certaines lois auxquelles elle peut ou non se con­former. Saint Augustin admet donc ici, sur la foi de quelques anciens, principalement d’Aristote, et sans en saisir toute la portée, des principes qui par quelques-unes de leurs conséquences se rapprocheraient facilement de plusieurs doctri­nes modernes justement suspectes.

Ce n’est pas qu’il n’ait considéré l’âme sous le rapport de son existence substantielle ; mais il a moins insisté sur ce point, et là aussi, nous surprenons dans ses écrits des affirmations inat­tendues. Ainsi, dans le chapitre vm du traité de l’immortalité, il fonde l’immortalité de l’âme sur ce que, étant de beaucoup meilleure que le corps, et le corps ne faisant que se transformer sans pouvoir^ être anéanti, l’âme doit, à plus forte raison, échapper au néant. Cependant nous devons reconnaître que le principe de l'indestructibilité de la substance, ainsi que celui-ci : Rien ne se peut créer, rien ne se peut anéan­tir, n’y sont pas aussi formellement exprimés que semblent le croire plusieurs des abréviateurs ecclésiastiques de ce Père (Nouv. Biblioth. ecclés., par Ellies Dupin, t. III, p. 545.—Biblioth. portative des Pères, t. V, p. 59).

Au milieu des graves sujets que saint Augus­tin a traités, il a été plus d’une fois appelé à s’expliquer sur des questions psychologiques d’un ordre secondaire, auxquelles nous ne nous arrêterons pas. Nous signalerons seulement la théorie des idées représentatives des objets, théo­rie plus ancienne que saint Augustin, quoi­qu’elle ait traversé le moyen âge, en partie sous l’autorité de son nom et de ses écrits, avant de devenir, dans la philosophie de Locke, la base de l’idéalisme de Berkeley et de Hume, et plus tard l’objet des attaques de Reid et de Dugald-Stewart. C’est au chapitre vu du second li­vre du Libre Arbitre qu’il a établi la doctrine d’un sensorium central qui perçoit les impressions des sens, impressions transformées en idées, en images, et qui ne sauraient être les objets eux-mêmes tombant immédiatement sous l’action de nos organes.

De toutes les doctrines psychologiques de saint Augustin, la plus digne d’attention est celle qu’il a émise sur la nature du libre arbitre. Les rapports étroits qui existent entre cette question et celle de la grâce, et l’autorité dont jouit l’évêque d’Hippone dans l’Église, principalement à cause de la manière dont il a combattu les pélagiens, donnent une importance particulière à ce qu’il a écrit sur cette matière.

Le traité du Libre Arbitre, divisé en trois li­vres, fut achevé en 395, vingt-deux ans, par con­séquent, avant la condamnation de Pélage par le pape Innocent Ier, en 417. Il était dirigé con­tre les manichéens, qui affaiblissaient la liberté en soumettant l’homme à l’action d’un principe du mal égal en puissance au principe du bien. Il était naturel que, pour combattre avec succès de semblables adversaires, saint Augustin accor­dât le plus possible au libre arbitre. Aussi voit-on, par une lettre adressée à Marcellin, évêque, en 412, qu’il n’est pas sans crainte que les pélagiens ne s’autorisent de ses livres composés longtemps avant qu’il fût question de leur erreur. La philosophie ne peut donc rester indifférente au désir d’étudier de quelle manière l’auteur du traité du Libre Arbitre a pu se retrouver plus tard le défenseur exclusif de la grâce, et conci­lier ses principes philosophiques avec les don­nées de la révélation. Nous ne pouvons, toute­fois, sur ce point, présenter que de courtes ex­plications.

Dans ses livres sur le Libre Arbitre, saint Augustin reconnaît que le fondement de la li­berté est dans le principe même de nos déter­minations volontaires. Le point de départ de tout acte moral humain est l’homme seul, con­sidéré dans la faculté qu’il a de se déterminer sans l’intervention d’aucun élément étranger (de Lib. Arb. lib. III, c. ii). Dans sa manière de dé­finir le libre arbitre, le mérite de la bonne action appartient à l’homme ; rien n’a agi sur sa vo­lonté en un sens ou en un autre ; sa détermina­tion est parfaitement libre.

Saint Augustin a-t-il maintenu ces principes dans sa controverse contre Pélage ? une étude plus attentive des saintes Écritures, et princi­palement de saint Paul, ne lui a-t-elle pas fait modifier sa manière de voir ? 11 ne parait pas le croire ; mais l’examen philosophique de ses écrits ne nous semble laisser aucun doute à cet égard. Entre la doctrine de saint Paul (Philipp c. ii, v. 13), que Dieu opère en nous le vouloir et le faire (operatur in nobis et velle et perfi­cere), doctrine h laquelle plusieurs écoles de phi­losophie, l’école de Descartes en particulier, ne sont pas restées étrangères, et celle qui recon­naît un libre arbitre véritable, la conciliation ne paraît pas s’offrir d’elle-même, l’accord complet est difficile. Sans doute, nous voyons l’homme exercer tous les jours une action quelquefois heureuse, plus souvent funeste, sur la volonté des autres, et nous sommes néanmoins forcés de reconnaître que, sous l’empire de la séduction la plus adroite, comme de la menace la plus puis­sante, le libre arbitre persiste. De là il semble­rait naturel de conclure que, le pouvoir divin étant infiniment supérieur à celui de l’homme, il peut toujours agir sur notre volonté sans que le libre arbitre en soit blessé ; mais les rapports ne sont pas les mêmes dans ces deux situations. Dans la première, ce n’est toujours qu’une force humaine en face d’une force humaine, une vo­lonté humaine sous l’action d’une séduction hu­maine, deux puissances extérieures l’une à l’au­tre et de même nature, aux prises dans une lutte de leur ordre ; tandis que, dans le fait de la grâce, les déterminations de la volonté dépendent d’une action intérieure et plus profonde que celle de l’homme. Or, l’investigation philosophique, pous­sée jusqu’où elle peut légitimement aller, arrive toujours à ce résultat, que la liberté existe là seulement où la spontanéité de la volonté est intacte. Si Dieu siège en quelque sorte au cen­tre de l’homme pour régler les mouvements de son