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forme, la philosophie antique, bien plus que les livres révélés. Quelques reflexions même ne rappellent que trop la subtilité de Sénèque.

Par suite des idées que nous venons d’expo­ser, la religion, aux yeux de saint Augustin, est le moyen de réunir à Dieu l’homme qui s’en trouve éloigné, l’acte qui nous ramène a notre véritable source. Deum, dit-il (de Civil. Dei, lib. X ; c. m) avec des expressions que leur singularité nous engage à conserver, qui fons est nostrœ beatitudinis, et omnis desiderii nostri finis, eli­gentes, imo potius religentes, amiseramus enim négligentes ; hunc, inquam, religentes, unde et religio dicta est, ad eum dilectione tendamus, ut perveniendo quiescamus.

Pour saint Augustin, le mot religio suppose donc avec raison deux termes : Dieu et l’homme. Aussi, tandis que quelques doctrines sorties du sein àe l’Église par les hérésies qui le déchirè­rent tendaient à confondre l’homme, la nature et Dieu en un seul être, et que d’autres, origi­naires de l’antiquité grecque, enfermaient Dieu dans l’univers, comme l’àme dans le corps, le vit-on distinguer soigneusement la cause et l’ef­fet, et s’élever avec force contre toute philoso­phie qui identifie la matière et l’homme avec Dieu, ou seulement qui, tout en distinguant Dieu de la matière, l’en revêt en quelque sorte, et le place au centre du monde pour en vivifier et en mouvoir les diverses parties. De pareilles aberrations lui paraissaient le comble de l’im­piété (ib., lib. IV, c. xii).

Dans l’obligation de distinguer, par une juste critique, entre les sources philosophiques et les sources révélées auxquelles puisa saint Augus­tin, il est évident pour nous que sa connaissance du platonisme, encore qu’imparfaite, lui suffi­sait pour ne pas admettre la grossière théologie des stoïciens, qui enfermaient Dieu dans son œuvre, et le réduisaient à la simple condition d’une force physique ou d’un principe moteur.

Psychologie. Dans la psychologie de saint Augustin, « la nature de l’âme est simple. Elle n’a rien’en elle que la vie et la science, car elle est elle-même la science et la vie. Aussi ne peut-elle perdre la science et la vie, pas plus qu’elle ne peut se perdre elle-même, tant qu’elle est, ou se priver d’elle-même. Elle est tout en­tière présente dans chacune des parties du corps, sans être plus dans l’une, moins dans l’autre, encore qu’elle n’opère pas les mêmes choses par­tout et dans tous les membres. C’est pourquoi le corps est une chose, la vie et l’àme une autre. La nature de l’âme étant spirituelle, l’âme ne contient aucun mélange, rien de condensé, rien de terrestre, d’humide, d’aérien ou d’igné ; elle n’a point de couleur, n’est contenue dans aucun lieu, enfermée par aucun système d’organes, li­mitée par aucun espace ; mais on doit la conce­voir et se la représenter comme la sagesse, la justice et les autres vertus créées par le ToutPuissant. » Voy. de Civitate Dei, lib. XI, c. x ; de Immortalité Animœ, et de Quantitate Ani­mez, passim.

Cette dernière partie de la définition semble exclure de l’âme l’idée de substance, pour la ré­duire à des vertus abstraites, qui ne pourraient, dans ce cas, trouver leur base substantielle que dans Dieu lui-même. Nous ne tirerons pas la conséquence extrême de ces principes, nous bornant à faire remarquer que la doctrine de saint Augustin sur l’âme n’est pas en tout point d’accord avec elle-même ; que, d’un côté, il la considère comme une substance, d’un autre, comme une qualité ; qu’il flotte entre les sys­tèmes de l’antiquité^, ou plutôt qu’il en rappro­che les divers éléments d’une manière qui n’est pas toujours heureuse. Il est cependant juste de reconnaître qu’il est plus particulière­ment platonicien. Dans la définition la plus concise qu’il ait donnée de l’âme (de Quantitate Animœ. c. xm), il s’exprime ainsi : « L’âme est une substance douée de raison, disposée pour ouverner le corps. » Cette définition rappelle la octrine de Platon, résumée de la manière sui­vante par Proclus (Comm. in Alcib.) : « L’homme est une âme qui se sert d’un corps. ■>

Ainsi définie, l’âme parcourt sept situations, s’élève successivement par sept degrés différents. Dans sa première condition, elle anime par sa présence un corps terrestre et mortel, elle en forme l’unité et le conserve ; dans la seconde, la vie se manifeste par les organes des sens ; dans la troisième, l’homme devient l’unique objet de l’attention : de là l’invention de tant de langues diverses, des arts, des jeux, des charges, des lois, des dignités, de la poésie, du raisonnement, etc. ; dans la quatrième, commence à se montrer le désir du bon : l’âme a. pour la première fois, conscience de sa dignité propre et de la fin pour laquelle elle a été créée ; elle entre ensuite dans la cinquième période, dans laquelle elle marche à Dieu avec confiance ; dans la sixième, l’âme dirige vers Dieu lui-même son intelligence, elle commence à le voir tel qu’il est ; le septième degré n’est plus même un degré de cette ascen­sion glorieuse, c’est une situation fixe et con­stante, dans laquelle l’âme jouit de Dieu, heu­reuse et éclairée de sa lumière ; la langue de l’homme ne saurait en parler dignement (de Quantitate Animœ, c. xxxni).

Quant à l’origine de l’âme, saint Augustin la trouve dans Dieu : Deum ipsum credo esse, ditil. a quo creata est (ib., c. i). Cette origine, la plus générale possible, ne l’empêche pas de re­chercher les systèmes particuliers, à l’aide des­quels on a tenté de s’en faire une idée plus précise. Il distingue quatre opinions qui lui pa­raissent également admissibles, et qu’il essaye d’accorder avec le péché originel par des rai­sonnements plus ou moins satisfaisants. La pre­mière est que les âmes sont formées par celles des parents ; la seconde, que Dieu en crée de nou­velles à la naissance de tous les hommes ; la troi­sième, que, les âmes étant déjà créées, Dieu ne fait que les envoyer dans les corps ; la qua­trième, qu’elles y descendent d’elles-mêmes (Li­ber. arbitr., lib. III, c. x). Mais ce que nous nous hâtons de constater avec plus d’intérêt que ces hypothèses, c’est que saint Augustin, fidèle à l’es­prit de la’philosophie platonicienne, regarde Dieu comme l’habitation de l’âme, et, s’il n’ex­prime pas explicitement qu’elle est déjà et tou­jours dans l’éternité par son essence, on peut l’entrevoir sous l’élévation habituelle de sa pensée.

L’âme ainsi considérée sous ces divers rap­ports, son immortalité semble une conséquence nécessaire de sa nature. Saint Augustin’a con­sacré un traité tout entier à cette question, et il y est revenu à plusieurs reprises dans d’autres parties de ses ouvrages. La science moderne pourrait sans doute, en les développant avec une meilleure méthode, en les traduisant dans le lanage de notre temps, donner quelque importance plusieurs de ses arguments ; mais, présentés comme ils le sont, avec obscurité et incertitude, ils perdent beaucoup de leur valeur. L’âme est immortelle, selon saint Augustin, parce que la science, qui est éternelle, y a établi sa demeure ; elle est immortelle, parce que la raison et l’âme ne font qu’un, et que la raison est éternelle. Les développements donnés à ces propositions ne sont ni plus précis, ni plus clairs, ni mieux démontrés.