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sentiment, et comment l’unité du moi a pu sortir d’un assemblage confus d’éléments en dés­ordre ; ou enfin vous vous réfugierez dans le système de Gassendi et vous armerez contre vous les sciences physiques et la métaphysique à la fois ; en un mot, vous serez forcé de recommencer l’histoire entière de l’atomisme, pour arriver fi­nalement au point où nous en sommes, c’est-àdire à ne pas séparer l’idée de la matière du phé­nomène de la divisibilité, par conséquent, à la regarder elle-même comme un simple phéno­mène. De cette manière, l’histoire de la pnilosophie atomistique est la meilleure réfutation de ce système, et cette réfutation est en même temps celle du matérialisme tout entier. Elle nous mon­tre toutes les hypothèses imaginées jusqu’aujour­d’hui pour élever la matière au rang d’un prin­cipe absolu, se détruisant les unes les autres et abandonnant enfin, vaincues par leurs propres luttes, le champ de la philosophie. Cependant les recherches, ou, si on l’aime mieux, les inventions de tant de grands esprits n’ont pas eu seulement un résultat négatif ; la philosophie atomistique a été éminemment utile à l’étude des corps, et peutêtre aussi, comme nous l’avons avance plus naut, a-t-elle mis sur la voie de la théorie des mo­nades.

Voy. la Philosophie atomistique, par Lafaye (Lafaist), in-8, Paris, 1833, et pour les détails, les articles Empedocle, Anaxagore, Démocrite, Épicure, Gassendi, etc.

attalus. philosophe stoïcien, qui vivait dans le Ier siècle ae l’ère chrétienne ; nous ne savons absolument rien de lui, sinon qu’il fut le maître de Sénèque.

ATTENTION (de tendere ad, application de l’esprit à un objet). Nous recevons à tout instant d’innombrables impressions qui, étant très-con­fuses et très-obscures, passeraient toutes inaper­çues, si quelques-unes ne provoquaient une réac­tion de la, part de l’âme. Cette réaction, par la­quelle l’âme fait effort pour les retenir, est ce qu’on nomme attention. Je ne suis pas encore attentif lorsque, ouvrant les yeux sur une cam­pagne, j’aperçois d’un regard les divers objets qui la remplissent ; je le deviens, lorsque, attiré par un objet déterminé, je m’y attache pour le mieux connaître.

Le premier et le plus saillant des phénomènes que l’attention détermine, est l’énergie croissante des impressions auxquelles l’âme s’applique, tan­dis que les autres s’affaiblissent graduellement et s’effacent. L’état où nous nous trouvons quand nous assistons à une représentation théâtrale en est un exemple frappant. Plus nous avons les yeux fixés sur la scène, plus nous prêtons l’oreille aux paroles des acteurs, plus, en un mot, les péripé­ties du drame nous attachent, moins nous voyons, moins nous entendons ce qui se passe autour de nous. Peut-être en perdrions-nous tout à fait le sentiment si notre attention parvenait à un degré encore plus intense. Dans le tumulte d’une ba­taille, un soldat peut être blessé sans en rien sa­voir. Archimède, absorbé dans la solution d’un problème, ne s’aperçut pas, dit-on, que les Ro­mains avaient pris Syracuse, et mourut victime de sa méditation trop profonde. Reid (Essai sur les fac. actives, ess. II, ch. m) connaissait une personne qui, dans les angoisses de la goutte, avait coutume de demander Péchiquier, « comme elle était passionnée pour ce jeu, elle remarquait qu’à mesure que la partie avançait et fixait son attention, le sentiment de sa douleur disparais­sait. »

Chacun a pu remarquer aussi que l’attention permet de domêler dans les choses beaucoup de propriétés et de rapports qui échappent à une vue distraite. Comme un ingénieux écrivain l’a dit, elle est une sorte de microscope qui grossit les objets, et en découvre les plus unes nuances Lorsque nous n’avons pas été attentifs, il ne reste à l’esprit que de vagues perceptions qui se mêlent et se détruisent. Cette vue imparfaite des objets mérite à peine le nom de connaissance ; aussi quelques philosophes ont-ils pu avancer, non sans raison, que, pour connaître, il fallait être atten­tif. Toutefois, présentée sous une forme aussi ab­solue, cette proposition est exagérée. Si une notion quelconque, aussi vague qu’on le voudra, ne pré­cédait pas l’attention, comment notre âme se por­terait-elle vers des objets dont elle ne soupçonne­rait pas même l’existence ? Ignoti nulla cupido. dit le poëte, et la raison avec lui.

Un dernier effet de l’attention important à sinaler, c’est la manière dont elle grave les idées ans la mémoire. Lorsque nous avons fortement appliqué notre esprit à un objet, il est d’observa­tion constante que nous en conservons beaucoup mieux le souvenir ; l’expérience nous dit même que les faits auxquels nous sommes attentifs, sont les seuls que nous nous rappelions. « Si quelqu’un entend un discours sans attention, dit Reid (ib.), que lui en reste-t-il ? s’il voit sans attention l’é­glise de Saint-Pierre ou le Vatican, quel compte peut-il en rendre ? Tandis que deux personnes sont engagées dans un entretien qui les intéresse, l’horloge sonne à leur oreille sans qu’elles y fas­sent attention : que va-t-il en résulter ? la minute d’après, elles ne savent si l’horloge a sonné ou non. »

Étudiée en elle-même, l’attention est un phé­nomène essentiellement volontaire ; comme tous les autres phénomènes du même ordre, elle subit l’influence de divers mobiles dont les principaux sont le contraste, la nouveauté, le changement ; souvent elle est provoquée avant qu’aucune dé­cision de l’âme ait pu intervenir ; mais elle n’en demeure pas moins soumise à l’autorité supé­rieure du moi. Je la donne ou la retire, comme il me plaît ; je la dirige tour à tour vers plusieurs points ; je la concentre sur chaque point aussi longtemps que ma volonté peut soutenir son ef­fort.

Condillac (Logique, lre partie, ch. vn) pensait que toute la part de l’âme, lorsqu’elle est atten­tive, se réduisait à une sensation « que nous éprouvons, comme si elle était seule, parce que toutes les autres sont comme si nous ne es éprouvions pas. » Il est évident qu’abusé par l’esprit de système, Condillac n’avait pas reconnu la nature vraie de l’attention, qui est la dépen­dance du pouvoir personnel, opposé au rôle pas­sif que nous gardons dans les faits de la sensi­bilité.

M. Laromiguière (Leçons de Philosophie, lre partie, leçon iv) a mis dans tout son jour cette grave méprise du père de la philosophie sensualiste ; il a rappelé la différence établie par tous les hommes entre voir et regarder, enten­dre et écouter, sentir et flairer^ en un mot, pâ­tir et agir ; mais il est tombe lui-même dans une confusion fâcheuse, lorsqu’il a envisagé l’at­tention comme la première des facultés de l’en­tendement, et celle qui engendre toutes les au­tres. Puisque l’attention est volontaire, elle est aussi distincte de l’intelligence que la sensibilité ; car nos idées ne dépendent pas plus de nous que nos sentiments. Cette différence est d’ailleurs con­firmée d’une manière directe par l’observation. Ainsi que la remarque en a été souvent faite, je puis m’appliquer avec force à une vérité sans la comprendre, a un théorème de géométrie sans pouvoir le démontrer, à un problème sans pou­voir le résoudre.