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de satisfaire le sens commun, et Arnauld a heureusement devancé, dans ses recherches à ce sujet, Thomas Reid et l’école écossaise. Mais il ne s’est point arrêté là, et non-seulement contre Malebranche, mais contre Nicole, Huyghens et le P. Lami, il a soutenu, malgré l’autorité de saint Augustin, que nous ne voyons en Dieu aucune vérité, pas même les vérités nécessaires et immuables ; que nous les découvrons toutes par le travail intérieur de notre esprit, la com­paraison et le raisonnement (Œuv. compl., t. XL, p. 117 et suiv.)· Or cette seconde partie de son opinion est radicalement fausse. 11 est impossible de comprendre les premiers princi­pes, les axiomes, dans le nombre des conceptions qui s’expliquent par les procédés de l’analyse et de l’abstraction comparative : leur portée absolue dépasse infiniment les étroites limites de l’expé­rience ; faute de l’avoir reconnu, Arnauld, disci­ple de Descartes, abandonne les traditions de son école et finit par tomber dans la même er­reur que Locke. Ajoutons que l’esprit aperçoit toute vérité là où elle se trouve : l’étendue dans les corps parce qu’elle est un de leurs attributs ; les corps dans la nature parce qu’ils en font partie. Mais quel peut être le centre des vérités nécessaires et immuables, sinon une substance également nécessaire, immuable, infinie, sinon Dieu ? Il ne semble donc pas si étrange de pen­ser qu’en les découvrant l’esprit contemple les perfections divines ; et ce qui, au contraire^ est inacceptable, c’est de les isoler de la vérité incréée, et de les faire dépendre d’un rapport mo­bile entre les pensées de l’esprit humain.

La théodicée doit encore à Arnauld d’intéres­santes recherches sur l’action de la Providence divine. Dans ses Réβexions philosophiques et théologiques sur le nouveau système de la na­ture et la grâce, il établit contre Malebranche les quatre points suivants : le premier, que l’idée de Têtre parfait n’implique pas nécessairement qu’il ne doive agir que par des volontés généra­les et par les voies les plus simples ; le second, que, loin de suivre dans la création du monde les voies les plus simples, Dieu a fait une infi­nité de choses, par des volontés particulières sans que des causes occasionnelles aient déter­miné ses volontés générales ; le troisième, que Dieu ne fait rien par des volontés générales qu’il ne fasse en même temps par des volontés particulières ; quatrièmement enfin, que la trace des volontés particulières se retrouve dans la conduite même de l’homme, et, en général, dans tous les événements qui dépendent de la liberté. Des propositions aussi graves demande­raient un examen approfondi ; nous nous bor­nons à les indiquer : la discussion en viendra en son lieu.

En résumé, Arnauld, théologien de profession, philosophe par circonstance, a maintenu avec une égale énergie les droits de la raison et ceux de la foi. Par un ouvrage qui est un chef-d’œuvre, l’Art de penser, il a porté à la scolastique un dernier coup dont elle ne s’est pas relevée. Dans son traité des Vraies et des Fausses idées, il a devancé l’école écossaise par sa théorie de la perception et ses arguments contre l’hypothèse des idées représentatives. Ces titres sont suffisants pour lui assurer une place honorable à la suite des maîtres de la philosophie moderne, qu’il aurait sans doute égalés, si d’autres soucis, d’autres études, d’autres luttes n’avaient pas rempli sa vie et comme absorbé cette vigoureuse intelligence.

Les œuvres d’Arnauld, recueillies à Lausanne en 1780, forment 42 volumes in-4, auxquels il faut joindre 2 volumes de la Perpétuité de la foi de l’Êglise catholique touchant l’Eucharistie. et la Vie de l’auteur, 1 vol. Les ouvrages relatifs à la phi­losophie se trouvent aux tomes XXXVIII, XXXIX et XL ; les œuvres littéraires dans les deux tomes suivants. Il existe deux éditions récentes des Œuvres philosophiques d’Arnauld : l’une de M. J. Simon, Paris, 1843, in-12 ; l’autre de M. C. Jourdain, Paris, 1843, in-12. Toutes deux sont précédées d’introductions. Brucker, dans son Historia phi­losophica doctrinœ de ideis, in-8, Augsb., 1723, a donné un résumé fidèle de la polémique d’Ar­nauld et de Malebranche. On lira aussi avec in­térêt un chapitre de Reid (Essais sur les facultés intellect., ess. II, ch. xm), relatif à cette polémi­que, quoiqu’il n’ait pas toujours bien compris la pensée du philosophe de Port-Royal. C. J.

ARNOLD df. Villanova, philosophe contem­porain de Raymond Lulle et attaché à ses doc­trines. Ses œuvres ont été recueillies et annotées par Nie. Taurellius, Bas., 1585, in-f°.

ARRIA, femme philosophe qui embrassa les doctrines de Platon ; elle est connue surtout par l’éloge qu’en fait Galien, dont elle était contem­poraine. C’est à son instigation, dit-on, que Diogène Laërce, quoiqu’il ne lui consacre pas même une mention, a composé son recueil, si précieux pour l’histoire de la philosophie. Il ne faut pas la confondre avec Arria, femme de Pétus.

ARRIEN (Flavius Arrianus Nicomediensis), né àNicomédie en Bithynie, vers la fin du Ier siècle de l’ère chrétienne, se distingua à la fois comme guerrier^ comme nistorien, comme géographe, comme écrivain militaire, et enfin comme phi­losophe. Il commença par servir dans l’armée romaine, et fut élevé ensuite, grâce à sa valeur et à ses talents, au poste important de préfet de la Cappadoce. On estime beaucoup son ouvrage sur les Campagnes d’Alexandre, son Histoire de Vlnde, et plusieurs fragments qui intéressent la navigation et l’art militaire ; mais nous n’avons à nous occuper ici que du philosophe. Arrien était un zélé disciple d’Épictète, dont les doctrines nous seraient inconnues sans lui. Il a réuni toutes les idées de son maître en un corps de doctrine auquel il a donné le nom de Manuel (Έγχειρίδιον, Enchiridion) ; c’est le fameux Manuel d’Épictète. Il a aussi rédigé en huit livres les leçons de ce philosophe pendant qu’il enseignait à Nicopolis ; mais la moitié seulement de cet ouvrage, c’est-àdire les quatre premiers livres, est arrivée jusqu’à nous. Pour les différentes éditions de ces deux écrits et pour les travaux modernes dont ils ont été l’objet, voy. l’article Épictète.

ART. Ce mot a plusieurs sens différents qui se déterminent aisément par opposition avec d’autres termes. Par opposition à la nature, l’art est le travail de l’homme. Par opposition aux métiers qui ont pour but l’utile, aux sciences qui cher­chent le vrai, les arts ont le beau pour objet et se nomment pour cette raison les beaux-arts, se distinguant encore des belles-lettres, parce qu’ils se proposent la production du beau par les formes, les couleurs, les sons, et celles-ci par le discours. Mais c’est surtout quand le mot art est opposé absolument au mot science qu’il est d’un usage plus particulièrement philosophique. La science est desintéressée, c’est un des caractères essentiels que lui assigne Aristote ; elle recherche la vérité, sans s’inquiéter de l’application qu’on en peut faire et du profit qu’on en peut tirer ; elle demeure dans les régions élevées de la pure théorie. L’art se préoccupe d’une façon générale de l’application possible des vérités théoriques, en proposant à l’esprit des méthodes de travail, et peut descendre jusqu’à la pratique même de ces règles. Par exemple, ceux qui réduisent la logique à l’étude des