et goûtés. La science ou la vertu, la vertu ou la science, l’alternative est toujours bien belle ; et quel que soit le parti qu’on adopte, ou plutôt vers lequel on penche, on ne risque guère de déchoir ni de s’égarer. Cependant la raison humaine a fait son choix ; elle incline à Socrate et à Platon plus qu’à Aristote et à Théophraste. Dans le spiritualisme de notre temps, dont M. Cousin a si longtemps et si fermement tenu le drapeau, c’est encore Platon qui occupe le plus de place ; et Aristote, tout admiré qu’il est, n’a pas reçu les mêmes hommages et ne nous a pas soufflé les mêmes inspirations. C’est que la science nous fait penser ; elle ne nous fait pas agir, malgré les illusions dont elle se berce trop souvent. Le platonisme est et restera la réelle école de la vie ; le péripatétisme est surtout l’école de la nature. Ce qui doit même un peu nous étonner, c’est que notre époque, où les sciences font tant de bruit ; et jouissent d’une telle vogue, n’ait pas poussé plus loin qu’elle ne l’a fait la réhabilitation d’Aristote. Nous sommes demeurés dans les limites quand il était si facile de les dépasser. On a vanté son génie, mais on ne s’est pas approprié ses opinions ; et de nos jours les savants suivent sa méthode sans bien se rendre compte de tout ce qu’il a fait pour eux. Par habitude, on rapporte toujours à Bacon le réveil de l’esprit moderne ; et l’on ne voit pas assez que l’esprit moderne n’a fait que reprendre absolument la trace et les exemples d’Aristote et de l’antiquité, dès que les circonstances plus favorables lui ont permis de renouer la chaîne interrompue de la tradition hellénique. Malgré ce qu’en peut croire notre vanité trop facile à se satisfaire et à s’aveugler, nous n’avons pas découvert une voie nouvelle dans les deux ou trois derniers siècles qui viennent de s’écouler. La science, que l’Orient n’a jamais connue sous aucune forme, est née dans la Grèce où elle a été cultivée comme la poésie, comme les arts, comme les lettres avec une perfection que notre amour-propre a grand’peine à s’avouer, quoiqu’elle n’ait rien d’humiliant pour nous. Nous en savons mille fois plus que la Grèce, de même que nos successeurs en sauront un jour mille fois plus que nous. Mais c’est la Grèce qui a et conservera la gloire supérieure d’avoir tout commencé et d’avoir ouvert la carrière où nous devons tous marcher. Pour sa part spéciale, Aristote est à l’apogée de la science grecque, et sans diminuer rien de ce qui est venu avant ou après lui, à cet égard il domine le monde ancien comme il a dominé le moyen âge, le plus savant des philosophes et le plus philosophe des savants. Il observe les faits aussi bien que personne ; et il sait de plus que l’observation est la condition préalable de la science, qui ne peut rien sans des matériaux exactement recueillis. Ce n’est pas le xviie siècle ni le xviiie qui ont fondé la méthode d’observation : c’est Aristote, comme ses ouvrages l’attestent quand on prend la peine de les consulter ; personne parmi les modernes n’a plus fortement ni plus fréquemment recommandé l’observation de la nature et de la réalité. L’éloge peut même être poussé plus loin ; et l’on peut ajouter encore à la louange d’Aristote qu’il a pratiqué et conseillé l’expérimentation dans la mesure où elle était possible dans ces temps reculés. La science contemporaine, si elle était plus éclairée ou plus modeste, devrait proclamer dans Aristote son glorieux ancêtre et son précurseur ; non pas qu’il ait à lui seul tout fait dans la science telle que l’a connue l’antiquité grecque, mais il en est le plus complet et le plus illustre représentant. Il clôt cette période à jamais écoulée de la pensée humaine où le domaine trop varié de la philosophie comprenait encore toutes les sciences, en les réunissant on un faisceau qui depuis lors a dû se diviser. Personne ne l’a embrassé ni étreint d’une main aussi vigoureuse qu’Aristote, et il restera comme un modèle inaccessible et impérissable. sans cesse proposé aux siècles, mais que les siècles ne reproduiront pas. Parmi ces génies souverains et inégaux, il restera le plus extraordinaire si ce n’est le plus beau. Il est autant que qui que ce soit digne de la Grèce, qui seule pouvait enfanter un tel fils ; et parmi tous ces personnages merveilleux dont elle nous a transmis les œuvres et le souvenir, celui-là est avant tout, comme le disait de lui son incomparable maître, l’entendement et l’intelligence universelle.
Pour étudier cet immense sujet, dont on n’a pu indiquer ici que les points les plus saillants, voici les principaux ouvrages qu’il faudrait consulter :
Pour la biographie d’Aristote : Diogène Laërce (liv. V), qui a fait usage des travaux spéciaux de ses prédécesseurs fort nombreux et beaucoup plus habiles que lui ; l’Anonyme publié par Ménage dans le second volume de son édition de Diogène Laërce ; puis la biographie attribuée à Ammonius et qu’on trouve habituellement à la suite de son commentaire sur les Catégories ; Nunnesius en a donné une édition spéciale in-4, Helmstædt, 1666. Buhle a réuni toutes ces biographies dans le premier volume de l’édition complète qu’il avait commencée. — Parmi les modernes on peut citer Patrizzi, dans son premier livre des Discussiones peripateticœ, si hostile contre Aristote ; — Andréas Schott, qui a écrit la vie comparée d’Aristote et de Démosthène, in-4, Augsb., 1603 ; — Buhle, et surtout M. Ad. Stahr qui a résumé tous les travaux antérieurs, dans ses Aristotelia, 2 vol. in-8, Halle, 1832 (ail.) ; le premier est consacré tout entier à la biographie. On pourrait ajouter aussi des articles de Dictionnaires, comme celui de Bayle, la Biographie universelle ; l’article de M. Zell, dans l’Encyclopédie générale (all.). La vie d’Aristote, en anglais, par M. J. W. Blakesley, 1839, et enfin les Biographies résumées des historiens de la philosophie, Brucker, Tennemann, Ritter, Zeller, etc., etc.
Pour la connaissance du système général d’Aristote, d’abord les Œuvres complètes dont la première édition a été publiée par les Alde, 5 vol. in-f°, Venise, 1495-1498 ; l’édition de Silburge, 11 vol. in-4, Francf., 1584-1587, également sans traduction, mais avec des notes courtes et substantielles ; celle de Duval, 1619, plusieurs fois reproduite ; celle de Buhle, 1791-1800, laissée inachevée au cinquième volume ; celle de l’Académie de Berlin, in-4, 1831-1837, dont il a paru quatre volumes, deux de texte, avec des variantes nombreuses, mais incomplètes, tirées des principaux manuscrits de l’Europe ; une traduction latine revue, mais non refaite de toutes pièces, et des commentaires grecs qui ne sont donnés que par extraits. Il doit paraître encore au moins un volume de commentaires. On ne sait si M. Brandis, l’un des éditeurs avec M. Bekker, y ajoutera des notes.
Enfin l’édition complète de la Bibliothèque grc que de Firmin Didot, avec une table des plus étendues et une traduction latine. Après les éditions complètes, il faut consulter les Commentaires généraux d’Averroès, traduits de l’arabe en latin, 11 vol. in-8, Venise, 1540, et d’Albert le Grand, 5 vol. in-f°, Lyon, 1651. Il n’y a jamais eu de commentaire général en grec. — Après les commentaires, les traductions complètes • en latin, du cardinal Bessarion, in-f°,