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mœurs et les manières d’une nation, le commerce, la monnaie et le nombre des habitants. Tout n’est pas irréprochable dans les théories économiques de Montesquieu, il s’en faut ; mais, quand on se rapporte à l’époque où il publia l’Esprit des lois, on est étonné de la force avec laquelle il sut secouer un grand nombre de préjugés fort enracinés au milieu du xvm c siècle, et qui avaient presque la valeur d’axiomes. Sur ce point comme sur tout le reste, sa liberté d’esprit est entière ; et, s’il se trompe quelquefois, le plus souvent ses idées sont fort en avant de celles de ses contemporains. Ce qu’il dit du commerce et de son importance dans la vie d’une grande nation, du respect qui est dû à ses intérêts, n’était ni sans valeur ni sans nouveauté à cette époque de préjugés aristocratiques. Le livre XXIV a pour objet les lois dans le rapport qu’elles ont avec la religion établie dans chaque pays, considérée dans ses pratiques et en elle-même. Il y examine les diverses religions par rapport au bien que l’on en peut tirer dans l’état civil et politique. Il pose parfaitement le problème politique de l’utilité des religions en ces termes : « La question n’est pas de savoir s’il vaudrait mieux qu’un certain homme ou un certain peuple n’eût point de religion, que d’abuser de celle qu’il a ; mais de savoir quel est le moindre mal, que l’on abuse quelquefois de la religion, ou qu’il n’y en ait point du tout parmi les hommes. » La question ainsi posée est résolue par les enseignements de l’histoire. Il est curieux de rapprocher cette opinion de l’auteur des Lettres persanes, mûri par l’étude, par l’âge et par l’expérience, des attaques multipliées dont les religions en général, et le christianisme en particulier, étaient alors l’objet de la part de presque tous les écrivains du temps. Personne assurément ne peut mettre en doute l’indépendance entière de pensée de Montesquieu. Cette partie de Y Esprit des lois atteste combien cette haute intelligence savait, à l’occasion, se dégager de toutes les minces préoccupations du jour, et se défendre même des plus communes passions de son siècle. C’est dans le livre XXIV (ch. m) que, développant les avantages de la religion chrétienne pour fonder et soutenir un gouvernement modéré, il s’écrie : « Chose admirable ! la religion chrétienne, qui ne semble avoir d’autre objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celleci. » On comprend alors pourquoi l’homme qui a tracé ces lignes eut peu de sympathie pour les encyclopédistes ; et comment, tout en restant, dans toute l’acception du mot, libre penseur, il ne voulut jamais asservir sa plume ni ses idées au joug de ce qu’on nommait le parti philosophique ; dont Voltaire s’appelait le patriarche.

Le livre XXV, intitulé Des lois dans le rapport Qu’elles ont avec l’établissement de, la religion de cli<t</, ir pays ci sa police extérieure, est comme le développement et l’application des idéi m intenues dans le livre pi écédent ; il est question des leiiiplrs. des ministres de la relides monastères, de l’inquisition ; et, sur chacun de ces points, Montesquieu énonce sa pensée avec une franchise entière, mais sans rien’lue qui rappelle le ion épigrammatique des Lettres persanes.

Apres avoir ainsi parroum la série de problèmes qui touchent a l’établissement des sociétés et au maintien des gouvernements, Mon quîeu aborde quelques questions d’un général encore, mais moins universel que les il Ute I. Mans le livre XXVI, il B*OCCUpi lois dans le rapport qu’elle., doiv< ni avoir avec l’ordre des choses sur lesquelles elles statuent ; il s’y occupe de bien distinguer les lois divines des lois humaines, et de marquer sur plusieurs points la limite morale qui est imposée au pouvoir du législateur. On retrouve, en parcourant ce livre, l’application constante de l’un des premiers principes proclamés par Montesquieu au début de V Esprit des lois, à savoir, que rien n’est arbitraire dans la société, et partant, que les lois, loin d’aller contre les rapports naturels des choses, doivent, au contraire, les reproduire le plus complètement possible.

Après avoir ainsi fait la théorie à peu près complète des principes qui doivent présider à la législation politique et civile de tous les gouvernements, quelle que soit d’ailleurs leur forme extérieure, Montesquieu en appelle à l’histoire des diverses législations du moyen âge pour expliquer certaines particularités des législations modernes. Dans le livre XXVII, il traite de l’origine et des révolutions des lois des Romains sur les successions, et dans le livre XXVIII, de l’origine des révolutions des lois civiles chez les Français. Enfin, dans le livre XXIX, il traite de la manière de composer les lois, donnant ainsi, comme épilogue, en quelque sorte, la théorie même de la théorie. Ce livre aboutit à un très-court chapitre intitulé Des idées d’uniformité, qui a été très-peu remarqué et qui sert autant que les autres chapitres plus considérables à caractériser le génie politique de Montesquieu, génie ami des traditions et de l’histoire, ami du progrès, mais ennemi des révolutions radicales et des bouleversements a priori. Montesquieu, dans ce morceau, combat par quelques phrases vives et énergiques la manie de tout niveler, de tout ramener à un même mode d’exécution, de tout réglementer de la même façon. « Lorsque les citoyens suivent les lois, dit-il, qu’importe qu’ils suivent la même ? » Jamais, assurément, l’homme qui a écrit cette phrase n’aurait inspiré les travaux de la Constituante ni la plupart des lois organiques de la Convention. Mais n’y a-t-il pas un fond de justesse dans cette antipathie si marquée et si vive de Montesquieu contre les idées d’uniformité ; et ces idées n’ont-elles pas, dans leur exagération même, autant d’inconvénients que l’esprit municipal et l’esprit de localité qui a si longtemps régné au moyen âge, surtout en Italie et en Espagne, et qui a été si violemment et si absolument comprimé par la centralisation administrative que la Convention et l’Empire ont donnée à la France ? Les deux livres suivants, le XXX e et le XXXI e, qui terminent Y Esprit des lois, ont pour objet la théorie des lois féodales chez les Francs, dans leur rapport avec l’établissement et avec les révolutions de la monarchie française. Ces deux livres forment, pour ainsi dire, un hors-d’œuvre quant au reste de l’ouvrage. Montesquieu y déploie une érudition fort peu à la mode au xvm’siècle ; c’est la partie de son ouvrage qui a us résisté à la critique ; et cela s’expliquera facilement si on se rappelle les idées que l’on se faisait en France, à cette époque, sur le moyen âge et la féodalité. La critique historique, qui a brillé d’un si vif éclat en France au lencement de ce siècle, n’était guère en honneur parmi les lettrés de 1748 ; et pourtant, même dans ces deux livres, on retrouve encore les qualités ordinaires de Montesquieu, sa haute pénétration historique, et sa puissance à reconstruire le passé en donnant la clef et le sens des institutions ci îles ei politiques. Ici est, dans SOH ensemble et d.nis SI Structure générale, VEsprit des lois. L’impression qui