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MÉTA
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mieux trahir ; mais le scepticisme franc, conséquent de Hume, qui nie simplement la raison et ne laisse rien debout que les sensations et les idées des sensations. Le problème ainsi posé devient une question de fait : la raison pourra être constatée comme on constate la sensibilité, et les mêmes preuves qui attesteront son existence, rendront témoignage de son autorité, nous voulons dire de sa valeur objective, comme nous venons de le remarquer à l’instant même, et comme on achèvera de s’en convaincre par les considérations que nous aurons à présenter bientôt sur la méthode.

Après avoir établi d’une manière générale la communication de la raison avec la nature des êtres, ou de la pensée avec la réalité, il faut considérer celle-ci sous tous les points de vue essentiels qu’elle offre à notre intelligence ; il faut examiner chacune des idées qui sont, pour ainsi dire, la substance même de notre pensée, dans les rapports qu’elles présentent entre elles et avec le fond des choses. Ainsi on se demandera ce que c’est que l’unité, la substance, la cause, le temps, l’espace, la durée, l’étendue, l’identité, le bien, l’infini, le possible, le nécessaire, non-seulement dans l’esprit qui les conçoit ou dans le fait intellectuel qui les révèle, mais dans les objets eux-mêmes. On sera amené à rechercher si ce sont des êtres, ou des attributs, ou de simples rapports ; on aura à se prononcer, par exemple, au sujet du temps et de l’espace, pour Leibniz, ou pour Clarke, ou pour Kant ; au sujet de la substance, de la cause, de l’être proprement dit, pour Platon ou pour Aristote, pour Descartes ou Leibniz, pour Malebranche, Spinoza, ou ce qu’on a appelé en Allemagne la philosophie de la nature. Tous ces éléments, ou, pour parler avec plus de justesse, ces aspects divers de l’existence, après avoir été considérés séparément et d’une manière analytique, devront être rapprochés les uns des autres et ramenés à une même synthèse.

Tous les autres problèmes de la métaphysique sortiront naturellement de la solution qu’on aura donnée à celui-ci. Supposez qu’on soit arrivé à ce résultat, qu’il n’y a qu’une substance unique dépourvue de conscience et de liberté, on sera tenu d’expliquer l’existence des êtres intelligents et libres et celle de l’ordre moral auxquels ils sont soumis. On sait que là est précisément la difficulté du spinozisme et du matérialisme. Si l’on croit, au contraire, avec quelques philosophes plus modernes, que la pensée seule, c’est-à-dire les notions abstraites ou l’élément purement logique de l’esprit, constitue à lui seul l’essence des choses et le principe de tout ce qui est, alors, au contraire, il faudra rendre compte de tout ce qu’il y a de vie, de force, de sensibilité, d’aveugle passion et de mouvement spontané dans la nature. Enfin, dans tous les cas possibles, on sera obligé de chercher les rapports des existences particulières et déterminées avec les conditions universelles de l’existence, de l’homme avec la nature, de l’esprit avec la matière et de tous deux ensemble avec l’infini. Indépendamment de ces spéculations générales, il y a encore ce qu’on appelle habituellement la métaphysique de chaque science, et qui n’est qu’une application des idées métaphysiques aux différentes branches des connaissances humaines. Ainsi, laissant de côté tous les phénomènes particuliers qui se constatent par les sens et les ois qui se déterminent par le calcul, on voudra savoir, en physique, ce que c’est que la gravitation, l’électricité, le fluide magnétique ; en histoire naturelle, ce que c’est que l’organisation ou ces formes animées qui se conservent inaltérables dans les genres et les espèces ; en physiologie, ce que c’est que la vie et la mort, quel est le principe qui circule dans l’économie animale, qui préside à toutes les fonctions et unit sous son empire les éléments les plus hétérogènes. Personne n’oserait nier l’importance de ces questions et l’immense intérêt qui s’y attache ; mais devant les hypothèses contradictoires, souvent extravagantes, par lesquelles on y a répondu, on se demande si elles sont à la portée de notre faible intelligence et s’il y a une voie quelconque qui nous ouvre un accès auprès d’elles, c’est-à-dire une méthode qui leur soit applicable.

II. Presque toutes les erreurs, ou plutôt les aberrations qu’on reproche à la métaphysique, ont leur origine dans les fausses idées qu’on s’est faites de la méthode de cette science. Ainsi les uns ont voulu lui appliquer exclusivement le procédé des géomètres, c’est-à-dire qu’ils ont cherché à découvrir les principes mêmes de l’existence, la réalité souveraine par des moyens qui ne donnent que des abstractions, telles que des rapports et des quantités : cette méthode est celle de Spinoza. Les autres, se mettant, en quelque sorte, à la place de l’infini ou s’identifiant avec lui du premier coup, ont voulu nous expliquer par le développement successif de leurs idées le développement même des êtres et la génération éternelle, jamais interrompue de de Dieu, de l’homme et de l’univers. C’est la marche qu’ont suivie certains philosophes de l’Allemagne qui, par une suite indéfinie de distinctions et de combinaisons arbitraires, présentées sous forme de thèses, de synthèses et d’antithèses, ont cru avoir mis à nu tous les mystères de la création, tous les secrets de l’univers. Elle est désignée sous le nom de procès dialectique (voy. Hegel). Enfin, d’autres se sont efforcés de s’élever au-dessus de la raison même et d’atteindre à la suprême vérité, à la contemplation de l’infini, en s’affranchissant de toutes les conditions que la science impose, par les seules forces de l’enthousiasme et de l’amour. Cette tentative est le fond commun du mysticisme, le trait distinctif de tous les systèmes qu’il a mis au jour depuis l’école d’Alexandrie jusqu’à Jacob Boehm, Fénelon et Saint-Martin. Avec des procédés comme ceux-ci : l’inspiration aveugle, une dialectique chimérique qui n’a que le nom de commun avec celle de Platon, et des définitions, des axiomes arbitraires faussement imités de la géométrie, comment s’étonner qu’on soit arrivé à discréditer les recherches vers lesquelles l’esprit humain, malgré tant de déplorables échecs, se sentira toujours entraîné ?

Le premier de tous les problèmes qui se proposent au métaphysicien est, comme on a pu s’en convaincre plus haut, une question de fait : il s’agit de savoir, d’abord, s’il y a en nous, non-seulement des idées, mais des croyances universelles et nécessaires ; ensuite si ce n’est pas enlever à ces croyances ou à ces idées le double caractère qui les distingue, c’est-à-dire l’universalité et la nécessité, que de les considérer comme des formes inhérentes à notre constitution, comme des lois relatives et contingentes. Or, le seul moyen de résoudre une question défait, c’est la méthode d’observation, c’est l’analyse et l’expérience. L’expérience s’étend aussi bien à nos idées qu’à nos sensations, et si elle ne les produit pas elle-même, elle peut, du moins, nous apprendre si elles existent ou n’existent pas en nous, si elles possèdent ou non certains caractères qu’il est impossible de leur enlever sans les détruire. Une fois entré dans cette voie, on se trouve par là même au